Un antisémitisme de plus en plus décomplexé en France
Un samedi à Marseille, un jeune en kippa est agressé par un groupe qui vocifère: «Vive Mohamed Merah, nique les juifs...» La tuerie de Toulouse est devenue une référence pour des antisémites «de plus en plus décomplexés» selon la communauté juive française.
Cette agression est relatée dans un rapport du service de protection de la communauté juive, qui fait état d'une hausse de 58% des actes et violences antisémites en 2012 avec un pic juste après le 19 mars, quand Mohamed Merah a assassiné un professeur et trois enfants juifs devant l'école Ozar Hatorah à Toulouse.
Dans les dix jours suivants, 90 actes antisémites ont été recensés. Certains violents, d'autres apologétiques, un tag qualifiant Merah de «preux chevalier de l'Islam».
«Il y a une sorte de désinhibition», déplore Alain Jakubowicz, président de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra): «les auteurs sont de plus en plus décomplexés, ils ne se cachent même plus derrière le faux-nez de l'antisionisme.»
En 2012, un supermarché casher de Sarcelles en banlieue parisienne a été la cible d'une attaque à la grenade. Au total, 614 actes antisémites (violences, dégradations, propos, tracts, etc.) ont été décomptés sur l'année.
C'est plus qu'en 2011 (389), mais moins qu'en 2009 lorsque 832 actes avaient été enregistrés suite à l'offensive israélienne dans la bande de Gaza en décembre 2008. Les policiers invitent toutefois à analyser ces chiffres avec prudence, car on ne connaît pas toujours la véritable motivation des agresseurs.
Persistance de stéréotypes
«Ce qui est nouveau, c'est le caractère hyper violent des actes», souligne le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite et de l'antisémitisme, en soulignant qu'un quart des agressions sont désormais commises avec une arme.
Pour lui, ce «nouvel antisémitisme», qui émane «de jeunes de culture arabo-musulmane» et non plus de l'extrême droite, remonte à la seconde intifada, fin 2000.
«La majorité des auteurs ne sont pas des islamistes radicaux, mais des gens qui sont dans une référence très confuse au Moyen-Orient, à la Palestine, en même temps qu'à des stéréotypes très anciens sur l'argent et le pouvoir supposé des juifs», souligne le chercheur.
De son côté, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, déplorait en juillet l'émergence depuis quelques années d'un «nouvel antisémitisme», «né dans nos quartiers».
En France, vivent à la fois la plus importante communauté juive d'Europe occidentale (entre 500.000 et 700.000 personnes) et la plus grosse communauté musulmane (au moins 4 millions).
Les pouvoirs politiques, toutes étiquettes confondues, ne sont pas restés passifs face à ce regain d'antisémitisme.
Le président socialiste François Hollande a promis de combattre «sans relâche» l'antisémitisme, une «détermination» saluée par le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou lors de sa visite à Toulouse le 1er novembre dernier. Et les responsables musulmans s'étaient associés à leurs homologues juifs pour dénoncer l'antisémitisme après les meurtres.
Mais dans les propos entendus dans certains quartiers, beaucoup y voient aussi la conséquence de jeunes perdus et en manque de repères éducatifs.
Latifa Ibn Ziaten, la mère du premier soldat tué par Mohamed Merah, s'est rendue peu après les faits dans le quartier du tueur là où certains glorifiaient ses actes.
«J'ai abordé les jeunes», elle a d'abord été mal reçue, «mais quand je me suis présentée, (que) j'ai parlé avec eux, c'était un changement total, ils étaient tout autres et j'ai dit: on peut les aider», a-t-elle rapporté.