Autobiographie d'un garçon manqué, par Viviane Lesselbaum
Je suis un garçon manqué. Petite fille, à Tunis, je préférais jouer aux billes ou aux noyaux d'abricots dans la rue avec mes cousins.
Je suis un garçon manqué. Adolescente, je me plaisais dans la compagnie de garçons en culottes courtes et où mon imaginaire me transformait en cow-boy pour ressembler à Red Ryder ou à Hopalong Cassidy. Je ne voulais à aucun prix m'identifier à Calamity Jane.
Je suis un garçon manqué. Jeune fille, apparemment accomplie, je me refusais à lire l'horoscope, les romans-photos, Cinémonde ou feuilleter les revues de mode, ce qui m'ôtait une part de rêve féminin.
Je suis un garçon manqué. Vingt ans. L'âge de la marier, s'inquiétait ma mère. A cette phrase se formait dans ma tête les barreaux d'une prison que, pensai-je, je ne méritais pas. Les prétendants, triés sur le volet, furent sûrement déçus. A chaque présentation je prenais un crayon et me mettais à dessiner sans tenir compte de leur présence.
Je suis un garçon manqué. J'atteignais l'âge canonique de la vieille fille : vingt-deux ans ! Combien de fois ai-je entendu ce refrain : "elle ne se mariera jamais. Elle a des correspondants dans le monde entier, mais lequel se déplacera pour ses beaux yeux ?"
Suis-je vraiment un garçon manqué ? A ma majorité "mentale", je pris plus soin de ma personne. Un sens plus critique se développait en moi quant à mes tenues vestimentaires ; l'accès au rouge à lèvres, aux miroirs et les talons hauts prenaient de plus en plus de place dans mon univers. Des jeunes gens pour qui je ne devais pas être indifférente s'attardèrent en ma compagnie. Ainsi, mon côté garçon manqué céda la place à mes premières émotions.
En septembre 1959 je quitte le cocon familial et le magasin de journaux de mon père où j'ai fait mes universités, pour la France. Avec quelques restes de garçon manqué, je ne cherche pas la compagnie des garçons, à aller aux bals du dimanche des quartiers juifs de Paris. Ma grande soeur, un jour, m'y poussa et c'est cette fois-là que je rencontrais un ashkénaze (c'est quoi un ashkénaze ?) avec qui, si D. veut, en juin 2010, nous fêterons nos noces d'or.
Le reste de garçon manqué qui somnolait en moi décida de se dégager des contraintes ménagères qui bouffaient toute mon énergie. A quarante ans, lorsque ma troisième fille atteignait ses dix ans, je m'inscris aux cours du soir des Beaux-Arts, à l'initiation à la gravure, aux ateliers d'écriture et produit entre-temps trois ouvrages dont un : "Le Passage" sur les Juifs de Tunis de 1930 à1960. Beaucoup plus tard, je m'engageais en politique jusqu'à être pressentie comme député suppléante et faisait entendre ma voix en tant que femme.
Les murs de l'appartement de mes parents à Paris, à cet effet, étaient couverts d'affiches et articles de presse qui concernait leur garçon manqué.
Que devient, aujourd'hui, le garçon manqué ? En Israël je continue à dessiner et peindre, je poursuis ma cinquième année de théâtre, j'exprime par écrit mes révoltes, organise auprès de femmes francophones un atelier d'écriture débordant de garçons manqués, puisque femmes...
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