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Compromis entre la Russie, Israël, la Syrie et l’Iran

Compromis entre la Russie, Israël, la Syrie et l’Iran (011302/19) [Analyse]

Par Stéphane Juffa © Metula News Agency

Avec Jean Tsadik

 

PREAMBULE

C’est un scoop énorme : à Métula, nous avons acquis la conviction absolue que la Russie se trouve à l’origine d’un compromis impliquant la Syrie, Israël et… l’Iran.

 

Attention, il ne s’agit pas d’un accord en vue de la résolution pacifique d’un conflit, non plus que d’une trêve, ces Etats restant en guerre, mais d’aménagements constituant un compromis. Lequel est destiné à la neutralisation d’activités spécifiques, ce qui est concurremment dans l’intérêt commun de ces parties.

 

Nous sommes parvenus à cette certitude non pas sur la base de fuites éventuelles, mais en effectuant des recoupements d’informations et de photographies diffusées par des organes étatiques et médiatiques. Et grâce à notre observation constante de la situation.

 

Il n’y a sans doute pas eu de discussions directes entre l’Iran, Israël et la Syrie. Nous sommes persuadés que c’est la délégation russe de haut rang qui a visité Israël il y a un peu plus de quinze jours qui a tout organisé. Moscou avait probablement négocié les conditions de la participation de Téhéran et de Damas préalablement avec eux.

 

Les négociations conduites en Israël ont été rapides, moins de deux jours selon notre estimation.

 

NATURE DU COMPROMIS

Les Iraniens ont quitté leur centre opérationnel en Syrie, situé sur l’Aéroport International de Damas [carte], dans le très vaste bâtiment appelé Maison de Verre. Ce site servait de quartier général au corps expéditionnaire iranien des Gardiens de la Révolution ainsi qu’à ses forces supplétives du Hezbollah et autres bandes armées. Les Iraniens géraient le trafic, l’entreposage et la transmission d’armes, de munitions et de matériel militaire et électronique à destination de leurs propres troupes et pour le Hezbollah au Liban. Ils disposaient d’une zone de fret réservée sur l’aéroport ainsi que de multiples dépôts, de surface et souterrains. Ils conservaient dans la zone de l’aéroport la plus grande partie de leur armement, y compris des missiles. C’est également dans la Maison de Verre que s’était installé le centre du Renseignement de la "République" Islamique d’Iran en Syrie.

 

Les Iraniens se sont relogés sur l’aéroport T4, aussi dénommé Althias [carte], situé à 160km au nord-est de la Maison de Verre, au milieu du désert syrien, à 60km à l’ouest de la cité antique de Palmyre, et à 233km de Métula, la partie d’Israël la plus proche de T4.

 

Laquelle base aérienne où les forces khomeynistes ont réemménagé a été très utilisée par le contingent russe et l’Armée gouvernementale syrienne durant la guerre qui les a opposés aux combattants de l’Etat Islamique (DAESH) plus à l’Est. Depuis que l’EI a pratiquement été vaincu, principalement par les Peshmerga kurdes des YPG et les militaires de la Coalition Occidentale, les Russes et les Alaouites ont quasiment délaissé T4 et l’ont désormais confiée aux Iraniens.

 

Les Gardiens de la Révolution khomeyniste disposaient depuis longtemps d’une section qui leur était réservée à T4 et qui a plusieurs fois été bombardée et détruite par le Khe’l Avir (l’Aviation israélienne). Ce, notamment les 9 juillet, 9 avril et 10 février de l’an dernier. En février, ce fut la riposte à l’envoi d’un drone bourré d’explosifs que Tsahal avait abattu au-dessus de la vallée de Bet-Shéan (Israël). Lors de la première réplique, ce jour-là, le Khe’l Avir avait perdu un F-16 sur le Golan, suite à une erreur du pilote. En représailles, les chasseurs-bombardiers à l’étoile de David avaient anéanti la section iranienne à T4 d’où le drone avait été lancé. Les photos exceptionnelles de l’incident sont encore visibles sur le site de la Ména.

 

Le gouvernement hébreu a accepté la requête des Russes de ne pas empêcher le déménagement des Gardiens de la Révolution, ce qu’ils auraient pu faire aisément. Jérusalem a aussi accédé à la demande de Moscou de ne pas effectuer de raids sur Damas tant que les Iraniens et les Syriens n’utiliseraient pas les aéroports et les autoroutes de la région damascène et du reste de la Syrie pour y amener et y convoyer des armes destinées à l’Armée perse et au Hezbollah. Tant, également, que les Iraniens et les Syriens ne tenteront pas de renforcer leur présence militaire à proximité du Golan. C’est d’ailleurs la politique israélienne depuis longtemps, Israël n’a pas modifié sa stratégie suite au compromis.

 

Mais depuis qu’il est en place et est respecté, le Khe’l Avir n’a pas eu à intervenir dans le ciel syrien. Alors qu’il y menait quasiment une opération par semaine en moyenne à la fin 2018, il n’a pas bombardé les positions syriennes et iraniennes depuis le 20 janvier dernier. Soit lorsque les Iraniens ont abandonné la Maison de Verre, avant même la venue de la délégation russe à Jérusalem.

 

LES RAISONS QUI ONT AMENE AU COMPROMIS

Comme on peut s’en persuader sur les photos, les dizaines de frappes de Tsahal sur les positions ennemies avaient fait très mal aux Iraniens et aux Syriens. Particulièrement les dernières, celles du 25 décembre, du 12 et du 20 janvier, que nous avons abondamment décortiquées dans ces colonnes.

 

Les Iraniens ont perdu des centaines d’hommes lors de ces attaques, qui s’ajoutent à leurs quelques 5 000 soldats qui sont morts depuis que Téhéran est intervenu en Syrie. De plus, Israël a détruit des centaines de tonnes de matériel qu’ils avaient acheminé à grands frais en Syrie, principalement dans les entrepôts de l’Aéroport International. La quasi-totalité desdits entrepôts a elle-même été oblitérée, ainsi que les défenses antiaériennes syriennes censées protéger ce périmètre [photo].

 

Les ayatollahs ont été amenés à réaliser qu’ils ne possédaient pas les moyens de s’opposer à Israël et de réaliser leurs objectifs stratégiques en s’efforçant de reconstruire au fur et à mesure ce que nous leur détruisions. Qu’il s’agisse des armes ou des pertes humaines. De plus, en raison des sanctions économiques américaines terriblement efficaces, ils n’ont d’ailleurs plus les moyens de le faire.

 

Pour ne rien arranger aux affaires des Iraniens, durant les huit années qu’a duré la Guerre Civile en Syrie, et malgré leurs innombrables sacrifices, ils ne sont jamais parvenus – et ce n’est pas faute d’avoir essayé – à tirer le moindre projectile sur le territoire hébreu, ne serait-ce qu’une balle de fusil, ni à abattre un seul de nos avions ou à blesser le moindre de nos soldats. Leur bilan n’est pas maigre, il est vide.

 

Les Russes et les gouvernementaux syriens avaient également un grand intérêt à parvenir à un compromis avec Israël. Eux, dont l’ambition est de montrer qu’ils ont remporté la Guerre Civile et que le pays est désormais pacifié se voyaient démentis lors de chaque attaque israélienne.

 

En dépit des communiqués de leur propagande, annonçant que tous les missiles israéliens avaient été interceptés, nos pilotes détruisaient chaque fois et sans encombre la totalité de leurs objectifs. Cela causait une publicité exécrable pour l’image de la technologie russe et pour la vente de leur matériel militaire, à commencer par leurs systèmes de missiles antimissiles.

 

Désormais, les Russes peuvent affirmer pour la galerie que ce sont eux qui nous tiennent éloignés de Damas, et même clamer sur un air menaçant que nos attaques sont illégitimes et qu’elles doivent cesser, personne n’est dupe. Des images satellites montrent que les hommes de Poutine ont finalement déployé les S-300 qui, en septembre, étaient censés, selon le Kremlin, être opérationnels en une semaine. En réalité ils ne fonctionnent pas mieux que les dizaines d’autres missiles sol-air que nous avons désintégrés. Si Israël ne possédait pas la technologie pour brouiller les S-300 et les S-400, elle n’aurait jamais envoyé ses pilotes en mission des centaines de fois sur l’ensemble du territoire syrien. Y compris, le 18 septembre dernier sur Lattaquié, le centre névralgique du déploiement russe en Syrie protégé par des S-400.

 

L’Armée d’Assad a aussi subi d’énormes dégâts lors de nos raids des mois écoulés, tant sur le plan humain que matériel. Les dommages qu’elle a essuyés sont colossaux, particulièrement au niveau de ses infrastructures militaires. Et c’est l’aéroport international syrien, en fin de compte, qui a été ravagé, vague après vague, par nos assauts. Ces derniers ont coûté aux Syriens la majorité de leurs missiles de défense antiaérienne, et les Russes n’ont pas non plus les moyens ou l’envie de passer leur temps à les remplacer gratuitement.

 

Tant pour les Russes que les Syriens, les Israéliens ne constituent pas pour le moment le problème principal qui est en revanche l’obsession des ayatollahs. Or les sacrifices que la monomanie de Rohani leur a causés jusqu’à maintenant ne se justifient plus. C’est ce qui les a amenés à "encourager" les Perses à quitter Damas et à ne plus y revenir.

 

CHANGEMENT DE JEU

De fait, le repli des Iraniens vers T4 marque leur défaite militaire, leur débâcle même. Le miroir d’une stratégie hors de leur portée, d’une misérable adaptation tactique et d’un entêtement coupable autant qu’hors de prix.

 

Il y a plus grave, de leur point de vue : si les Israéliens les ont frappés trois fois à T4, rien de ce que je connais ne pourra les empêcher d’y intervenir une quatrième fois, voire une cinquième, si nécessaire.

 

La base aérienne d’Althias est une oasis dans le désert, tout ce qui s’y déroule est extrêmement visible à partir du ciel et de l’espace. Par exemple, contrairement à ce qui se passait à l’aéroport de Damas, où les vols des cargos iraniens se mélangeaient avec les vols civils, ceux de l’Armée syrienne et ceux du corps expéditionnaire russe, à T4, on sait que tous les mouvements aériens sont en principe destinés aux Gardiens de la Révolution, et cela les rend bien plus faciles à surveiller et terriblement vulnérables.

 

Pour les convois routiers d’éventuelles livraisons au Hezbollah au Liban, ils sont à découvert sur les routes du désert sur au moins une centaine de kilomètres, ce qui en fait des cibles pour Cessnas, non pour des F-35.

 

A regarder les choses en face, cet exil intérieur à proximité de Palmyre signifie en fait la fin de la double stratégie perse visant à constituer une présence offensive constante entre Damas et la frontière israélienne, ainsi qu’un pont aérien et terrestre permanent, afin d’approvisionner le Hezbollah au Liban, pour qu’il puisse éventuellement y ouvrir un second front face à l’Etat hébreu et aussi, s’assurer indéfiniment la mainmise sur le pays des cèdres.

 

La géographie et les rapports de force étant ce qu’ils sont, les stratèges de l’Armée iranienne sont bien conscients qu’il leur sera extrêmement difficile de monter des opérations contre Israël à partir de T4. Aussi, s’ils ont accepté d’y transférer leur quartier général, c’est pour protéger symboliquement leur honorabilité : ils n’abandonnent pas la Syrie, ils s’y déplacent. Cela est fait pour adoucir la pilule de la défaite et pour dissimuler la vérité aux Iraniens sans perdre la face.

 

Est-ce à dire que les ayatollahs ont hissé le drapeau blanc de la reddition ? Loin s’en faut : du point de vue politique, même si cela n’a ni queue ni tête sur le plan stratégique, la guerre contre Israël constitue un élément justificatif principal du maintien de la junte théocratique au pouvoir à Téhéran et des restrictions à peine supportables qu’elle impose à la population. Il faut conduire le Djihad contre les Juifs et cela justifie tous les sacrifices, il est même impossible d’en discuter.

 

Alors, si Téhéran a abandonné la confrontation de proximité, armée contre armée, à partir de Damas et des contreforts du Golan, il l’a immédiatement remplacée par deux alternatives stratégiques : la guerre à distance par missiles à longue portée, et la guérilla du Hezbollah pour déstabiliser le front du Golan.

 

Il y a dix jours, le régime des ayatollahs a annoncé le déploiement d’un missile de croisière de 1 200km, une portée qui épouse parfaitement la nouvelle option de guerre contre Israël. Deux jours plus tard, la junte chiite annonçait le lancement réussi d’un satellite dans l’espace, ce qui s’inscrit dans la même perspective de conflit à distance sans confrontation au sol.

 

La semaine dernière, la "République" Islamique [khomeyniste] d’Iran fêtait son 40ème anniversaire. A cette occasion, Yadollah Javani, le responsable des affaires politiques des Gardiens de la Révolution, a menacé de détruire des villes entières d’Israël au cas où les Etats-Unis attaqueraient la "République" Islamique.

 

Lundi soir, Binyamin Netanyahu a répondu à Javani : "Si ce régime commet la terrible erreur de tenter de détruire Tel-Aviv ou Haïfa, il n’y parviendra pas. Toutefois, ce serait le dernier anniversaire de la révolution qu’ils célèbreraient".

 

Sur le plan tactique, nous sommes, à Métula, d’accord avec M. Netanyahu : le rapport de force dans le domaine des missiles à moyenne portée, des armes de destruction massive et du spatial est encore plus au détriment de Téhéran que ce qu’il a tenté de faire depuis huit ans. Mais il est vrai que les menaces en l’air coûtent moins cher en hommes, en armes et en argent que la guerre en Syrie.

 

La seconde alternative stratégique a elle aussi été mise en œuvre sans tarder : avant-hier, le Hezbollah et les commandos pro-Assad druzes du village de Hader (Golan syrien, à 3.5km de la ville de Majdal Chams en Israël) composant le Fouj al-Joulan [régiment du Golan], conseillés par des officiers iraniens mais sans participation opérationnelle de soldats syriens et iraniens, a entrepris de déstabiliser la frontière du Golan entre la Syrie et l’Etat hébreu.

 

Cela fait longtemps qu’ils s’y emploient sans grands succès, leur objectif consistant à unifier les fronts du Liban-Sud et du Golan. Non pas pour y déclencher une guerre entre Etats, ils ne sont que quelques centaines de commandos, mais dans l’espoir de tuer un soldat de Tsahal, de détruire quelque chose qui appartient à Israël, ou de réaliser une action d’éclat en territoire hébreu.

 

Avant-hier soir, ils préparaient l’un de ces "mauvais" coups dans la zone de Kouneitra lorsque Tsahal, toujours très bien renseigné, en a eu vent. L’Armée israélienne a tiré neuf projectiles sur des positions du Hezbollah et sur un hôpital abandonné qui lui servait de point d’observation. Il y a de nombreux morts et blessés dans les rangs de l’ennemi. Il se dit aussi que Tsahal a visé et détruit des caméras infra-rouge installées par la milice chiite libanaise le long de la frontière.

 

La nuit dernière (mardi à mercredi), un autre accrochage s’est produit, de moindre gravité. Mais cela fait partie du nouveau scénario auquel l’ennemi voudrait nous habituer. Cela peut éventuellement aboutir à une opération militaire limitée dans le Golan syrien. On peut aussi assister ces prochaines semaines à des tentatives éparses de transférer des armes au Hezbollah au Liban, à des transgressions du fragile compromis de la part de partis qui ne font que chercher à exploiter ses éventuelles faiblesses, ce qui entraînerait une riposte immédiate et dévastatrice du Khe’l Avir, qui n’a aucunement réduit sa capacité d’intervention.

 

Reste qu’une page a bel et bien été tournée dans l’affrontement que se livrent la junte islamiste perse et les Israéliens.

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