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Des extrémistes coptes et évangéliques à l'origine de la colère du monde musulman

Des extrémistes coptes et évangéliques à l'origine de la colère du monde musulman

 

LE MONDE

Par Christophe Ayad

  

Sam Bacile n'existe pas. L'homme qui s'est présenté, le 12 septembre, comme l'auteur et réalisateur de la vidéo islamophobe ayant entraîné des manifestations contre les enceintes diplomatiques américaines au Caire et à Benghazi, la veille, n'est pas un agent immobilier israélo-américain de 55 ans, comme il l'a affirmé à la presse, mais bien plus probablement un copte (chrétien) originaire d'Egypte, nommé Nakoula Basseley Nakoula. Identifié par l'agence Associated Press, il a confirmé diriger la société qui a produit le film mais nié en être l'auteur.  

Désormais dans la clandestinité, il aurait demandé la protection de la police de Californie, où il vit. Nakoula Basseley Nakoula avait été condamné en 2010 à 790 000 dollars (606 000 euros) d'amende pour escroquerie bancaire. Son dossier judiciaire indique qu'il avait, par le passé, déjà usé de pseudonymes comme Nicola Bacily ou Erwin Salameh.

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Le film, que "Sam Bacile" prétendait avoir été financé à hauteur de 5 millions de dollars par une centaine de donateurs juifs américains, a été tourné avec des moyens dérisoires à l'insu des acteurs – de seconde zone – embauchés pour ce qu'ils croyaient être Le Guerrier du désert, un opus de série Z censé se passer dans l'Egypte des pharaons, et non L'Innocence des musulmans, le brûlot anti-Mahomet dont l'extrait d'un peu plus de treize minutes enflamme une partie du monde musulman.

DES COMÉDIENS TROMPÉS SUR LA NATURE DU FILM

Une actrice, Cindy Lee Garcia, explique avoir été trompée sur la nature du film. Elle assure que les dialogues ont été doublés après le tournage, qui a eu lieu lors de l'été 2011. Un autre comédien, Tim Dax, spécialisé dans les pornos gays, estime lui aussi que sa voix a été réenregistrée, ce qui apparaît évident au visionnage. Lors du tournage, Mme Garcia se souvient de la présence d'un "M. Bacile" sur le tournage, un Egyptien parlant arabe.

Seule autre présence avérée sur le tournage du film, Steven Klein, un assureur californien affilié à l'extrême droite chrétienne évangélique. Se présentant comme un ancien du Vietnam, il est proche des milieux coptes et a fait montre, par le passé, de son obsession d'un complot musulman (il n'aime pas non plus les mormons et les catholiques), en militant contre la construction de mosquées, de temples mormons et de cliniques pratiquant l'avortement. Il a fondé un groupe, Les Courageux chrétiens unis, à qui il a donné un entraînement paramilitaire.

En 2011, il a demandé la démission du shériff de Los Angeles, Lee Baca, traité de suppôt des Frères musulmans. M. Klein fréquente l'Assemblée nationale copte américaine dirigée par Morris Sadek, un extrémiste copte qui a fait la promotion du film sur son site Web. M. Sadek est un proche du pasteur floridien Terry Jones, qui avait menacé de brûler un Coran en public à l'approche du 11 septembre 2010. Ce dernier prétend ne pas connaître "Sam Bacile", mais lui avoir parlé au téléphone.

PLAN MÉDIAS BIEN ÉTUDIÉ

Si la réalisation du film relève de l'amateurisme le plus foutraque, sa diffusion répond à un plan médias bien étudié. Après, semble-t-il, une tentative de projection sans succès au Vine Theater, une salle désuète de Hollywood, le film – du moins sa version courte, personne n'a vu le long-métrage et des doutes subsistent sur son existence même – a été mis en ligne sur YouTube le 1er juillet, sans plus d'écho.

Ce n'est que début septembre qu'apparaît une version en dialecte égyptien. Steven Klein et le pasteur Terry Jones s'en font également les promoteurs. Aussitôt repérée, la vidéo est vue dans le monde arabe et commentée à la télévision égyptienne.

Les violences éclatent le 11 septembre, comme une répétition du scénario infernal imaginé par le pasteur Jones en 2010, qui avait renoncé au dernier moment à cause de la polémique et du risque encouru, notamment par les soldats américains en Afghanistan. Pour finir par brûler des exemplaires du livre saint musulman en mars 2011 après un "procès" public pour "crimes contre l'humanité". Une douzaine de personnes, dont cinq Népalais travaillant pour l'ONU, avaient trouvé la mort dans les émeutes consécutives à l'autodafé à Mazar-e-Charif, dans le nord de l'Afghanistan.

USAGE PERVERS DU 1ER AMENDEMENT

L'affaire de L'Innocence des musulmans met au jour une coalition explosive entre fondamentalistes chrétiens américains et chrétiens d'Orient extrémistes, unis par l'islamophobie et par un usage pervers du 1er amendement de la Constitution américaine, qui garantit une liberté d'expression quasi illimitée aux Etats-Unis.

Ce phénomène n'est pas nouveau. Il a débuté dès les années 1970, au plus fort des tensions entre le président égyptien Anouar Al-Sadate et le patriarche Chenouda. Toutes les associations coptes de la diaspora, aux Etats-Unis ou ailleurs, ne sont pas extrémistes. Mais c'est bel et bien dans la diaspora que s'expriment les plus extrémistes. Avec Internet et des chaînes satellitaires, dont certaines sont basées à Chypre, ils disposent désormais d'une caisse de résonance planétaire.

"Morris Sadek, proche des milieux ultraévangéliques et ultrasionistes américains, est loin d'être représentatif de la diaspora copte, note Laure Guirguis, politologue à l'université de Montréal et auteur de Coptes d'Egypte et reconfigurations politiques (2005-2012), à paraître prochainement. Mais ses outrances et celles de ceux qui l'entourent touchent une corde sensible dans une communauté devenue de plus en plus antimusulmane et crispée sur elle-même ces dernières années."

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