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Egypte : de la révolution à la terreur - L’épuration des Coptes est-elle en marche ?

Egypte : de la révolution à la terreur -  L’épuration des Coptes est-elle en marche ?

 

 

Les Coptes deviennent-ils indésirables dans leur propre pays ? Après les émeutes qui ont fait des dizaines de morts au Caire dimanche, la question se pose. Les chrétiens qui manifestaient devant les bâtiments de la télévision ont été rapidement pris en tenaille entre les forces armées qui ne faisaient pas dans la dentelle ( des véhicules blindés ont foncé dans la foule à plusieurs reprises), et des groupes de salafistes et de voyous qui pourchassaient les chrétiens non pas jusque dans les chiottes à la Poutine, mais jusque dans l’hôpital chrétien où les victimes de la répression policière avaient trouvé refuge. Dimanche, à la télévision d’état égyptienne, on diffusait un reportage montrant un soldat blessé qui s’en prenait aux chrétiens, ces « fils de chiens », responsables selon lui de la mort d’un de ses collègues.

Dans un premier temps, le gouvernement et les médias officiels accusaient les Coptes d’être à l’origine des violences et d’avoir tué jusqu’à 19 soldats, accusations reprises sans guère de recul par les sites des grands journaux français comme Le Parisien ou Le Monde. Ces accusations nourrissaient la colère de certains musulmans qui descendaient dans la rue pour faire la peau à ces «chiens de chrétiens ». Pendant toute la nuit, les ratonnades antichrétiennes se sont poursuivies dans les rues du Caire. D’autres musulmans au contraire, admirables de courage et d’humanité, se rendaient place Tahrir en solidarité avec leurs compatriotes.

Au final, le gouvernement parle de 24 morts et de plusieurs centaines de blessés, essentiellement du côté des manifestants coptes. Dés dimanche, un journaliste de l’AFP dénombrait 16 cadavres de chrétiens à l’hôpital copte du Caire.
Les Coptes protestaient ce dimanche à la suite de l’incendie d’une église il y a une dizaine de jours par des musulmans dans une petite ville de la province d’Assouan. Les incendiaires ont semble-t-il été incités à passer à l’acte après que le gouverneur de la province eut déclaré à la télévision- au mépris de la vérité- que l’église était rénovée sans autorisation légale. Depuis des semaines les musulmans locaux faisaient pression sur les autorités pour interrompre la rénovation de ce lieu de culte. Ils avaient obtenu que les signes ostentatoires sur le bâtiment soient enlevés. Comme ces modifications n’étaient pas mises en œuvre assez vite à leur goût, ils s’en sont chargé eux-mêmes, per ignem, brûlant au passage quelques maisons et magasins appartenant aux Coptes du village, après les avoir harcelés continuellement pendant des semaines.

Dans certaines régions rurales d’Egypte les Coptes vivent désormais dans la terreur. Ils sont harcelés par leurs voisins musulmans qui menacent de brûler leurs maisons, s’ils ne détruisent pas eux-mêmes leurs églises. Des tracts sont distribués dans les villages appelant à la destruction des lieux de culte chrétiens qui « menacent l’islam ». Du côté du pouvoir, des mandats d’arrêt sont lancés contre des Coptes accusés d’avoir prié sans autorisation dans leur propre maison.

Que se passe-t-il aujourd’hui en Egypte ? Les persécutions antichrétiennes sont-elles une conséquence de la démocratie naissante? Il suffit de lire le désopilant Hadji Baba de James Morier pour savoir que les persécutions antichrétiennes dans la région ne datent pas d’ hier. En Egypte même, elles n’ont jamais cessé sous les régimes dictatoriaux de Nasser, de Sadate et de Moubarak. A titre d’exemple, cela fait de nombreuses années que des femmes coptes sont enlevées par des musulmans au prétexte qu’elles se seraient converties à l’Islam, dans la bienveillante indifférence des autorités.

Il est cependant indéniable que les persécutions antichrétiennes redoublent avec la transition en cours. Selon une ONG copte, près de 100000 chrétiens auraient fui l’Egypte depuis le début du « printemps arabe » en janvier 2011, en raison des persécutions dont ils sont victimes de la part de certains de leurs compatriotes musulmans. Nous avons du mal à admettre en Occident que la démocratie puisse être d’une façon ou d’une autre la source d’un mal plus grand qu’un régime dictatorial. Un régime libre ne doit pas seulement instaurer le règne de la majorité, il doit aussi, et doit peut-être surtout, protéger les minorités. Mais le mot démocratie ne produit à lui seul aucun effet magique : réduit à la seule règle de la majorité ce n’est qu’une tyrannie, celle du plus grand nombre, qui en chasse une autre. Et de fait, l’on entend aujourd’hui des opinions en Egypte qui ne sont guère compatibles avec l’idée que nous nous faisons de la liberté. Les minorités y sont souvent accusées, comme en Syrie, d’avoir collaboré avec les dictatures.

Beaucoup en Egypte en appelle à l’avènement d’un pouvoir qui représente « vraiment » la population, c’est-à-dire d’un pouvoir qui doit être « vraiment » musulman et d’une législation qui doit être « vraiment » fondée sur la Charia. C’est la raison pour laquelle un gouverneur chrétien a pu être révoqué sous la pression populaire il y a quelques mois : en tant que chrétien, il ne représentait pas « vraiment » l’immense majorité musulmane de la population1.

Plus radicalement, plusieurs leaders salafistes égyptiens ont récemment déclaré, sans susciter de polémiques très vives, que l’avenir des chrétiens en Egypte, c’était ou la soumission ou la conversion, ou la mort. D’autres leaders musulmans affirment que l’unité de l’Egypte ne pourra se réaliser que sous la férule de la Charia. Partout, non seulement en Egypte, mais aussi en Tunisie ou en Libye, les partis islamistes apparaissent comme étant les mieux à même de prendre et d’exercer le pouvoir : ils représentent l’immense majorité de la population, ils ont pour eux l’ aura de ceux qui ont les premiers résisté aux tyrans vendus à l’Occident. Ils ont aussi l’autorité dont disposent dans les pays musulmans ceux que l’on considère comme étant les plus pieux. Que pèsera un gazouillis sur tweeter d’un révolutionnaire en herbe numérique ou un compte facebook doté de plein d’amis occidentaux révolutionnant à distance face à cela ?

Partout ou presque dans le monde arabe, les chrétiens sont menacés. Il est troublant de constater que le sort des chrétiens ne diffère pas vraiment selon les cas. Que la démocratie ait été imposée par la force comme en Irak, qu’elle ait été obtenue par un soulèvement populaire comme en Tunisie ou en Egypte, ou par un mélange des deux comme en Libye, le résultat est le même : les chrétiens sont en danger. C’est même paradoxalement dans les pays dans lesquels a eu lieu une intervention étrangère que la situation est la plus dramatique2.

Dans les époques troublées, la soif de purification des groupes humains est impossible à rassasier.Les Dieux ont soif, écrivait Anatole France à propos de la révolution française en titre de son meilleur livre. La transition vers la démocratie de l’Egypte, dont les historiens se souviendront peut-être qu’elle fut lancée par le gouvernement Moubarak lorsqu’il autorisa le pluralisme à l’élection présidentielle de 2005, est une de ces époques troublées. Comme en Chine sous Mao durant le « Grand Bond en Avant », lorsque furent massacrés les moineaux pendant la campagne d’hygiène dite des « quatre nuisibles », cette soif de purification a d’abord frappé les animaux.

En mai 2009, tirant profit de la grippe H1N1, le gouvernement égyptien avait orchestré une hallucinante campagne d’abattage des dizaines de milliers de porcs élevés par les chiffonniers coptes du Caire, sans que leur sort n’éveille de compassion dans le reste de la population, y compris copte, d’Egypte. Il n’y a désormais plus de porcs en Egypte et les chiffonniers coptes s’en trouvent plus misérables encore. Le sort des porcs égyptiens, disparus soudainement d’une région qui les avait domestiqués depuis des millénaires préfigurera-t-il celui des chrétiens, dont l’ancienneté sur la terre d’Egypte est presque aussi grande ?

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