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Egypte : Invitation prématurée au retour

 

Polémique: Invitation prématurée

 

 

Omar Kamil

 

Les déclarations de Essam Al-Eriane, un leader des Frères musulmans, invitant les juifs d’origine égyptienne à revenir en Egypte ont été accueillies avec beaucoup de mécontentement aussi bien par la rue égyptienne que dans les milieux politiques ... mais pour des raisons différentes. La rue égyptienne a été gagnée par un sentiment d’aversion, motivée en premier lieu non par la réouverture de ce dossier, mais surtout par le moment inapproprié. Vivant dans un pays à peine sorti d’une bataille sociétale autour d’une Constitution loin de faire l’unanimité, un pays qui se noie dans les problèmes économiques et de surcroît divisé entre partisans et opposants du régime des Frères sous le président Morsi, la majorité des Egyptiens estiment qu’il existe des priorités plus pressantes que la question du retour des juifs. Du côté des intellectuels, les réactions se sont imbriquées dans le schéma politique dominant où se disputent un courant islamiste et un autre laïque. Certains ont remis en question la crédibilité d’Essam Al-Eriane, considérant ses propos comme une tentative de courtiser les Etats-Unis « par la porte juive ». On lui a également rappelé la responsabilité historique envers les juifs d’Egypte, non seulement du président défunt Gamal Abdel-Nasser, mais aussi des Frères musulmans. Ceux-ci ont participé à des activités hostiles aux juifs dans les années 1940 et 1950 et ont retourné l’opinion publique contre eux, ce qui a aidé à leur éviction du pays et l'a accélérée. On peut accepter ou rejeter l’un ou l’autre des arguments. Mais ce qui est établi c’est l’importance des déclarations qui remettent sur le tapis la question du retour des juifs égyptiens. Monsieur Al-Eriane occupe une position-clé au sein de la confrérie des Frères musulmans. Il est également conseiller du président de la République. Et bien que la confrérie, aussi bien que la présidence, aient pris leurs distances quant aux déclarations de l’un de leurs responsables, ce dernier persiste et signe. Il ne s’agit donc pas d’un lapsus mais d’une idée présente dans les coulisses de la confrérie et de la cuisine politique de la présidence égyptienne. D’où l’importance de prendre au sérieux les déclarations en question. Mais quelle importance ? Sont-elles importantes du fait qu’elles appartiennent à un haut responsable ? Ou plutôt parce qu’elles ont établi un lien entre le retour des juifs égyptiens et la cause palestinienne ? En fait, ce n’est ni l’un ni l’autre. Avant la révolution du 25 janvier 2011, il n’y avait aucune volonté politique en Egypte de discuter de cette question : les juifs égyptiens étaient simplement un sujet tabou. Oui, les Egyptiens se rappellent tel comédien juif ou telle chanteuse juive, et se souviennent encore de chaînes de magasins juives comme Ben Zion, mais les juifs en tant que partie intégrante de la société égyptienne ont disparu, ou ont été plutôt effacés de la mémoire.

 

 

Aspect dominant

C’était le cas avant ce 25 janvier. Depuis, les choses ont changé. Ceux qui suivent de près l’actualité égyptienne peuvent n’y voir que des querelles entre des partis et courants politiques, des débats autour de la Constitution et des préparations pour des élections législatives. C’est peut être l’aspect dominant, mais il serait erroné de réduire la révolution à une bataille politique, parce qu’une société en révolution est avant tout une société qui se cherche, qui se découvre et qui se recrée. Et c’est bien dans cet espace révolutionnaire que les tabous sont brisés et que les idées sur les composantes culturelles et historiques de la nation se battent en duel. C’est dans ce contexte que les déclarations d’Essam Al-Eriane prennent leur importance, dans la mesure où elles rouvrent le débat sur la composante juive de la nation égyptienne. Mais est-ce que la nation égyptienne de l’après 25 janvier 2011 est prête à considérer la perte, vieille d’un demi-siècle, de sa composante juive ? La réponse ne saurait être tranchée, mais demandera de relever deux défis majeurs. Le premier réside dans l’amalgame de la cause palestinienne et de la question des juifs égyptiens. L’Histoire depuis 1948 montre clairement que les deux parties, égyptienne et israélienne, ont fait exprès de lier ces deux problématiques. C’est d’ailleurs clair dans les déclarations même d’Essam

Al-Eriane : selon lui, les juifs doivent rentrer en Egypte pour faire de la place aux Palestiniens. Le discours nassérien n’était en rien différent : on ne trouvait aucun problème à chasser les juifs hors du pays, comme si c’était une contrepartie de la souffrance palestinienne. Côté israélien, le discours nationaliste voit les choses sous le même angle, mais pour servir d’autres desseins. Là, les juifs égyptiens se retrouvent sur un pied d’égalité avec les Palestiniens : tant que ces derniers revendiquent le droit de retour et des dédommagements, Israël ne cessera pas de revendiquer les biens des juifs, en Egypte comme partout à travers le monde arabe.

Dans quelle mesure ces deux questions peuvent-elles être séparées ? Voilà le défi auquel il est difficile de répondre. Cela dit, une chose est claire : lier la souffrance des Palestiniens et celle des juifs d’Egypte n’a jamais été fructueux, bien au contraire, cela n’a servi qu’à compliquer les choses. Le deuxième défi concerne la problématique essentielle qui ressort des déclarations d’Al- Eriane, mais qui s’est perdue dans la polémique. Combien de temps faudra-t-il à la nation égyptienne pour être capable de rouvrir le dossier de l’expulsion de ses juifs ? La réponse à cette question nous ramène aux objectifs de la révolution. Les Egyptiens se sont révoltés contre Hosni Moubarak pour retrouver leur liberté et se libérer de la dictature militaire fondée en 1952. Ils se sont révoltés pour passer du statut de sujet à celui de citoyen, d’un régime militaire à un Etat de droit. Lorsque ces objectifs se concrétiseront, lorsque l’Egypte deviendra un Etat pour tous ses citoyens, nous pourrons à ce moment-là nous pencher sur notre histoire pour en redresser les torts, et redécouvrir la richesse de sa société, dont sa composante juive. Il est certain qu’un jour nous considérerons le juif égyptien comme un élément essentiel de l’histoire et de la culture de notre pays. Mais le chemin est encore long.

Auteur de Der Holocaust im arabischen Gedächtnis (l’holocauste dans la mémoire arabe).

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