Il faut, maintenant, une intervention en Syrie
Bernard-Henri Lévy
Le 19 mars, cela fera un an, jour pour jour, que des escadrilles d’avions français, puis, dans un deuxième temps, anglais, américains, arabes, auront sauvé Benghazi d’une destruction annoncée.
Eh bien, les choses étant ce qu’elles sont et si, non seulement la France, mais la communauté internationale ne se ressaisissent pas, cet anniversaire risque d’avoir un mauvais parfum de cendres et d’échec.
Car il y a, aujourd’hui, un nouveau Benghazi.
Il y a une ville, dans la région, qui est dans l’exact cas de figure qui était celui de Benghazi.
Il y a une ville qui se trouve, pour être précis, dans une situation presque pire que celle, alors, de Benghazi puisque le même type de chars, positionnés de la même façon, à la même distance des populations civiles désarmées, sont, cette fois, depuis des mois, déjà passés à l’œuvre.
Cette ville, c’est Homs.
C’est cette capitale syrienne de la douleur où l’on cible les journalistes et massacre, indistinctement, les civils.
Et le fait est : ce que nous avons fait là, nous ne le faisons pas ici ; les mêmes chars que nos aviateurs ont cloués au sol, en Libye, quelques heures avant qu’ils ne se déchaînent opèrent, en Syrie, dans l’impunité la plus totale.
Alors je sais, bien sûr, que les situations ne sont pas, non plus, identiques.
Et nul ne peut ignorer que la géographie du pays, le fait que l’on n’y dispose pas de l’équivalent de cette vaste zone d’appui qu’était la Cyrénaïque libérée ou le fait, encore, qu’il dispose de deux alliés de poids que n’avait pas Kadhafi et qui sont l’Iran et la Russie, rendent l’intervention compliquée.
N’empêche.
Il y a un moment où trop, c’est trop.
Il y a un moment où, face au carnage, face à la bagatelle des 8 000 morts qu’ont faits les chars de Bachar el-Assad, face à la lugubre bouffonnerie de ce référendum que l’on prétend organiser, de surcroît, sous les tirs de snipers et les obus, il faut avoir l’élémentaire dignité de dire stop.
Il y a un moment, oui, où une communauté internationale qui a voté à une écrasante majorité (137 voix, le 16 février, à l’assemblée générale des Nations unies) la condamnation de l’assassin ne peut plus se laisser prendre en otage, et paralyser, par ces deux Etats voyous que sont, en la circonstance, la Chine et la Russie (confronté à une menace qui n’en était, je le répète, qu’au début de son exécution, le président Sarkozy n’avait-il pas confié aux représentants du Conseil national de transition libyen venus, le 10 mars 2011, à l’Elysée, lui demander une intervention qu’il ferait tout, naturellement, pour obtenir l’aval des Nations unies mais que, si d’aventure il ne l’avait pas, il se satisferait, vu l’urgence, d’une instance de légitimité de format plus réduit et adossée à l’Union européenne, à l’Otan et à la Ligue arabe ?).
Et quant à l’argument, enfin, de la géographie, quant à l’idée selon laquelle une intervention en zone urbaine serait plus problématique qu’une frappe dans le désert, c’est une excuse qui ne tient pas davantage : d’abord parce qu’il y a aussi, à Homs, comme à Idlib ou Banias, des chars positionnés à quelques kilomètres de la ville et donc neutralisables ; mais, surtout, parce que les amis de la Syrie ont à leur disposition toute une gamme d’interventions qui ne seraient pas la simple réplique de ce qui a marché en Libye, mais s’adapteraient, par force, au terrain.
Ils peuvent instaurer, par exemple, dans l’esprit de ce qu’a proposé, la semaine dernière, à Washington, le ministre qatarien des Affaires étrangères, des périmètres de sécurité, garantis par une force de maintien de la paix arabe, aux frontières de la Jordanie, de la Turquie et, peut-être, du Liban.
Ils peuvent, dans l’esprit de ce qu’a avancé, au même moment, le ministre des Affaires étrangères turc, imposer, au cœur du pays, de véritables no kill zones sanctuarisées par des éléments de l’Armée syrienne libre que l’on équiperait en armes défensives.
Ils peuvent, hors de ces zones, faire passer aux Syriens libres les armes nécessaires pour détruire, eux-mêmes, celles des pièces d’artillerie que l’armée de Damas a postées près des écoles ou des hôpitaux.
Ils peuvent décider de zones interdites, dans le ciel, aux hélicoptères et avions de la mort et, sur la terre, aux convois blindés transportant troupes et matériel.
Ils peuvent, avec l’appui d’une armée turque qui, face à la menace iranienne, a depuis longtemps choisi son camp et dispose des deux bases otaniennes d’Izmir et Incirlik, veiller au respect de ces zones et, si besoin, l’imposer.
Et il ne serait pas non plus inutile que les mêmes amis de la Syrie suggèrent aux « frères » égyptiens de fermer le détroit de Suez à tous les navires iraniens du type de celui qui, la semaine dernière encore, déchargeait armes et instructeurs sur la base russe de Tartous.
Tout cela est risqué ?
Bien sûr.
Mais moins que la guerre civile à laquelle travaille Assad et qui transformerait la Syrie en un nouvel Irak.
Moins que le renforcement, si Assad l’emportait, de cet axe chiite dont on rêve à Téhéran et qui menace la paix du monde.
Et moins que le désastre moral auquel nous aurions à faire face si la «responsabilité de protéger», superbement assumée en Libye, devait, en Syrie, retourner dans l’enfer des idéaux trahis.
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