IMMIGRATION - Les Juifs polonais en France
En 1880, les territoires de l'ancienne République des deux Nations (polonaise et lituanienne) abritent 4 millions de Juifs. La moitié de la communauté juive mondiale ! En France ils ne sont alors que 60.000. Quelques décennies plus tard, après la Shoah et l'émigration des rares survivants, il ne reste que 10.000 Juifs dans l'actuelle Pologne. La France est par contre devenue le troisième pays au monde pour sa population juive (près de 500.000 personnes), après Israël et les Etats-Unis.
De la tolérance aux pogroms
Au 16ième siècle, la Pologne offre le droit de commerce aux Juifs du royaume et annule leur obligation de porter des signes distinctifs. Expulsés d’Espagne ou de l'Empire germanique, persécutés ailleurs, le royaume Polonais devient « un paradis pour les Juifs » qui y immigrent massivement.
Aux 17ième et 18ième siècles, leur sort se dégrade pourtant, et empire sensiblement après la 3ième partition de 1795. La majorité des juifs polonais se retrouvent alors assujettis à l'Empire russe. En 1881 les juifs sont à tort accusés de l’assassinat du tsar Alexandre II. Les pogroms qui suivent marquent un tournant dans l'histoire des Juifs de Pologne. Fuyant les violences et la pauvreté, 2 millions de Juifs quittent les territoires occupés par les Russes et gagnent les Etats-Unis.
La France des Lumières
Beaucoup plus modestes, les premières vagues d'émigration juive vers la France suivent l'exil des élites politiques polonaises entre 1831-1870. La France est alors perçue par les Polonais, encore influencés par Napoléon, comme le bastion de la liberté en Europe. Le Rabbi Nachman de Bratslav considérait même Bonaparte comme le Messie ! Une autre légende voulait que si le Rabbi rencontrait Napoléon, le Messie arriverait. Pourquoi ? Car « Il y avait une étincelle divine dans la Marseillaise ».
Un cadre législatif “révolutionnaire”
L'esprit de 1789 met quelques décennies à se concrétiser en lois. En 1808, sous Napoléon précisément, les juifs français sont les premiers d’Europe à accéder officiellement à l’égalité des droits civiques avec les chrétiens. Une loi de 1831 précise ensuite l'égalité des traitements entre les ministres du culte des différentes religions : les rabbins deviennent des fonctionnaires payés par l'État. Cette situation, sans doute unique au monde, va autoriser un développement remarquable de la communauté juive et la construction de nombreuses synagogues.
Lebn vi Got in Frankraykh ?
Vivre comme Dieu en France est un dicton yiddish qui révèle bien l’attrait exercé par l'Hexagone pendant tout le 19ième siècle. En Pologne, on paraphrase la formule rituelle “l’an prochain à Jérusalem” par un dicton populaire qui est à l'époque moins utopique : “l’an prochain à Paris”. Et pour cause, la France est lentement devenue un foyer culturel juif. En 1789 on ne compte que 500 Juifs dans la capitale française, ils sont 20 fois plus en 1850, et plus de 40.000 en 1900.
Les nouveaux venus s’installent dans le « pletzl » (le quartier juif) de Paris, autour de la rue des Rosiers. Ils travaillent souvent très dur pour des salaires de misère dans l’industrie du bois, la confection, la chapellerie, la fourrure, les cuirs et peaux, spécialisations emblématiques de ces Juifs d’Europe orientale.
Ils sont aussi victimes d’une animosité de plus en plus virulente. On reproche notamment à tous les Juifs d'être des “étrangers” et de comploter avec le voisin allemand. Cet antisémitisme atteint son paroxysme en 1899 au plus fort de l’affaire Dreyfus, puis en 1936 lors de la première élection deLéon Blum, un juif agnostique, à la Présidence du Conseil. La France est violemment divisée en deux camps irreconciliables.
Tensions communautaires
Les rapports entre les juifs français plus sécularisés et bourgeois et les juifs fuyant la Russie sont eux-mêmes délicats. Les nouveaux arrivants considèrent leurs coreligionnaires comme « peu juifs », tandis que les Juifs de France bien intégrés ne regardent pas d’un très bon œil ces immigrés yiddishisants, risquant d'encourager la xénophobie ambiante par leurs "manières". Ainsi l'inauguration de la synagogue russo-polonaise de la rue Pavée en 1914 se fait sans la présence du Consistoire ou du Rabbinat.
Ostracisés par les institutions juives françaises, les Juifs polonais vont recréer au sein de l’immigration des solidarités communautaires, des amicales de toutes sortes, des écoles, ainsi qu’une presse en yiddish au tournant du siècle. Leurs conditions de vie et de travail difficiles poussent certains vers le syndicalisme (comme Henri Krasucki) ou un militantisme politique radical. Plus tard ils se distinguèrent également face au nazisme aux côtés de la résistance juive en France. Mais au début du siècle, cet activisme les marginalise encore davantage.
Pour le meilleur et pour le pire
Cette génération qui arrive en France est parfois, avant même son départ, déjà en rupture avec la génération précédente et une partie des traditions polonaises. Cette situation facilite l'intégration : les normes de la société d'accueil française sont désirées car elles sont synonymes de modernité et d'émancipation.
Cependant, la société française n’est pas guérie de son antisémitisme. Pendant la seconde guerre mondiale, il y eut jusqu'à 1.000 lettres de dénonciation par jour dans la seule ville de Paris. 90.000 juifs perdront la vie lors de la mise en place de la Solution Finale. Le régime de Vichy s'en prit d'ailleurs d'abord aux Juifs étrangers et notamment aux Polonais.
75% des Juifs de France réussissent heureusement à survivre à l'occupation nazie et à la collaboration de l'Etat français. La communauté juive de Pologne n’a pas cette "chance", et seuls 10% de ses 3,5 millions de membres survivront au ghetto et à l'enfer concentrationnaire.
Une intégration réussie
Chanteurs, docteurs, entrepreneurs, écrivains, philosophes, chercheurs... Malgré ces épreuves, l'apport à la culture française de ces immigrants juifs polonais et de leurs descendants est immense. On peut citer dans des genres très différents : Jean-Jacques Goldman, Boris Cyrulnik, Marek Halter,André Citroën, le prix Nobel de Littérature Henri Bergson ou encore le Prix Nobel de PhysiqueGeorges Charpak.
Karl Demyttenaere et Christophe Quirion
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