Israël et les sociétés arabes
Les dernières tensions entre Israël et l’Égypte sont un test éprouvant les futures relations entre les démocraties arabes en devenir et l’État hébreu.
« L’Etat de Sadate, prolongé par celui de Moubarak, fit la paix avec Tel-Aviv... Parallèlement, la société égyptienne s’enfonçait dans une culture de l’antisémitisme le plus archaïque, le plus haineux, le plus fermé ».
Plusieurs penseurs libéraux – Leo Strauss, Raymond Aron, Karl Popper… – notèrent que les démocraties ne se font pas la guerre entre elles. A cela, on peut opposer les comportements malintentionnés des Etats-Unis et de la France avec plusieurs jeunes démocraties d’Amérique latine et d’Afrique. A cela surtout, on a aujourd’hui une occasion historique de vérification «in vivo». La démocratisation des pays arabes du Moyen-Orient amènera-t-il Israël à un changement de comportement envers des partenaires désormais également démocratiques ?
On peut observer, depuis la création de l’Etat hébreu, une ligne de progression logique : plus les Etats arabes se rapprochaient d’Israël – par l’indifférence, la coopération secrète ou la paix – et plus les sociétés arabes se mobilisaient contre l’Etat juif. On passa ainsi des guerres classiques – 1948, 1967, 1973 – affrontement entre des armées constituées, aux guerres «populaires» – mouvements palestiniens, guérillas libanaises – enfin à l’Intifada et aux affrontements asymétriques sous l’œil glouton des médias. Comme si, face au monolithe israélien, le front arabe se liquéfiait selon une loi secrète : moins d’Etat et plus de société sur le champ de bataille.
Le cas égyptien est symptomatique : l’Etat de Sadate, prolongé par celui de Moubarak, fit la paix avec Tel-Aviv, coopéra économiquement, accéléra les échanges et les collaborations. Parallèlement, la société égyptienne s’engonçait dans une culture de l’antisémitisme le plus archaïque, le plus haineux, le plus fermé. Comme si, par vases communicants, un problème non-résolu au niveau de l’Etat – la question palestinienne – était récupéré par la société.
De cette réalité paradoxale – Etat en paix, société en guerre – les Israéliens sont conscients. Déjà à l’époque des accords de Camp David entre Sadat et Begin, les opposants firent remarquer qu’Israël concluait un accord avec un Etat non-représentatif de la société, et la promesse de paix égyptienne se retrouvait à la merci du moindre coup d’Etat – on peut ajouter : ou de la moindre transition démocratique. En effet, qu’est-ce la démocratie si ce n’est – d’abord – un gouvernement représentatif de la société, une espèce de concordance minimale entre la structure étatique et la volonté de la société ?
Les accords de paix entre Israël et les pays arabes se résumèrent souvent à ce que les armées arabes retournassent leurs armes, du front israélien au front intérieur. L’Egypte, encore une fois, est symptomatique : Sadat fit de l’ennemi principal, non plus l’Etat d’Israël, mais la société égyptienne – en termes plus courants : l’islamisme, la subversion, le terrorisme. C’est également, très largement, la solution syrienne sous Assad : congeler le front du Golan et mobiliser l’Etat alaouite contre toute opposition intérieure.
Israël a une chance, aujourd’hui : celle de s’adresser à des gouvernements pour la première fois loyaux à leurs propres sociétés : le ressentiment arabe contre l’Etat hébreu s’exprimera par la voie officielle, qui vaut mieux que les explosions de haine terroristes ou médiatiques.
A la remarque de Leo Strauss et Karl Popper, il faut ajouter un supplément : les Etats démocratiques «occidentaux» ne se font pas la guerre entre eux. A propos du comportement de plusieurs démocraties occidentales envers des sociétés radicalement différentes : les Etats-Unis dans le Far-West, l’Europe dans les colonies, l’Afrique du Sud avec les Noirs, on a parlé de «Herrendemocracy», de démocratie des seigneurs. Ici le respect des lois, là-bas la sauvagerie la plus absolue, ici la métropole, là-bas les colonies, ici la France des Lumières, là-bas la pacification de l’Algérie. On pourra multiplier les exemples ; une même règle binaire détermina le comportement des régimes libéraux occidentaux avec les «autres» exotiques.
Le XXIe siècle sera certainement le siècle de démocraties globales, de moins en moins occidentalisées : l’enjeu est désormais de penser des formes de paix sincères entre sociétés différentes.
Adam Zili
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