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"Je me sens français avant d'être juif"

"Je me sens français avant d'être juif"

 

 

Un mois après les attentats commis contre "Charlie Hebdo" et l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes, rencontre avec des juifs dans une épicerie casher.

Par Clément Pétreault

 

"Moi, je pense que Houellebecq a raison, je crois en son roman !" À la caisse de l'épicerie casher d'Antony, la conversation n'est pas littéraire, mais politique. "Nous aurons un jour un président musulman", poursuit Michèle, prof de français à la retraite. Les autres clients n'osent pas trop la contredire, mais, à voir leurs mines déconfites, ils ne partagent pas sa vision politique. En ce jour de shabbat, Michèle n'arrive pas à pardonner. Elle raconte qu'elle a été chassée d'Algérie qu'elle dit avoir "laissée en parfait état", et ne supporte pas de voir ce que ce pays est devenu sans elle. "Les temps sont messianiques", ajoute-t-elle, avant de tourner les talons. 

Ce vendredi, l'ambiance est survoltée au Marché Cashbi d'Yves Bismuth. La peur d'être pris pour cible n'a pas dissuadé les clients qui affluent, malgré l'absence de protection devant le commerce. S'ils n'ont pas peur, tous se disent inquiets pour l'avenir et la place des juifs en France. La minorité est perçue comme une menace : "Il doit y avoir 500 000 juifs en France pour 6 millions de musulmans ! On ne peut pas lutter !" explique Dan, un client de passage. 

Le départ n'occupe pas pour autant tous les esprits. L'alya serait le dernier recours si la situation devenait insoutenable. Mais pour l'instant, rien de tout cela. "Pourquoi partir ? La période est un peu dure, mais quand même ! On est bien ici. Et moi, je me sens français avant d'être juif", s'exclame Yves. "Moi, je vote FN, c'est la seule solution", martèle André, 81 ans, dont plus de 40 ans dans l'administration française. "Moi, je ne pourrais pas", rétorque l'épicier. "Ça serait comme voter pour les chambres à gaz", ajoute-t-il en se rappelant des propos sulfureux de l'ancien président du FN. 

Des clients musulmans

Annie est kiné hospitalière. Elle fait shabbat quand elle le peut. "Il ne me serait jamais venu à l'idée de réclamer de ne pas travailler un samedi sous prétexte que c'est shabbat. J'inscris ma religion dans un cadre républicain", affirme-t-elle avec fierté. Annie a l'habitude. Son père, qui était militaire, ne pouvait pas manger casher dans les villes de garnison où ils habitaient, alors, déjà, ils s'arrangeaient. Chacun entretient un rapport différent à la règle.

Dan tient le rayon charcuterie de l'épicerie. Le jambon de veau marche bien. Il y a même des clients musulmans qui viennent en acheter. "Bon, on évite simplement de parler politique et ça se passe très bien", philosophe le jeune boucher. 

Nous croisons Daniel au rayon des vins. Kippa noire, longue barbe et foulard noué autour de la taille. "Je suis né dans le 14e arrondissement de Paris. Ma famille est en France depuis plus de deux cents ans. J'ai même un grand-père qui a fait la guerre de 14 !" se rengorge cet employé d'une association d'entraide communautaire. Il se sent très français, mais la laïcité n'est pas trop son truc : "C'est la négation de la divinité, je suis contre !" Ce quinquagénaire a inscrit ses enfants dans une école juive, lui qui a suivi toute sa scolarité dans l'école de la République. "La France est une terre de liberté, je ne rencontre aucun problème. Bon, on m'appelle parfois Rabbi Jacob, mais ce n'est pas bien méchant."

LePoint.fr

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