L’École de l’Alliance Israélite Universelle.
J’empruntais l’impasse Bouhenna et marchais bien au milieu de la ruelle puisqu’il n’y avait pas de trottoir, esquivais pierres et quolibets de quelques arabes, aidais à freiner quelques forcenés à bicyclette, essuyais des remarques dans le style de “ sale porc” et “ sale juif ” et débouchais gaiement sur le boulevard Moulay Youssef aux larges trottoirs bordés de palmiers.
Je marchais au milieu de la chaussée, m’agrippais aux charrettes de livraison, tombais, m’écorchais et arrivais grâce au ciel et à ma mère, sans encombre à l’école. Onze heures trente minutes, la cloche sonnait libérant une horde d’écoliers débraillée; nous déferlions vers la sortie comme dans “sauve qui peut !”.
Une fois hors de l’enceinte de l’école plus personne n’était pressé de partir; nous formions des groupes pour jouer aux billes, à la toupie, aux osselets, aux dés, à tiro (sorte de base-ball)........
Et je demandais l’heure à tous les passants sachant pertinemment qu’ils ne possédaient pas de montre; mais il se trouvait toujours quelqu’un pour me dire que midi sonnait quand il avait quitté la place de France et que selon lui et compte tenu de son allure allègre il ne devait pas être plus de midi quinze. Fort de ce renseignement combien précis, je fonçais à toute allure vers la maison pour arriver avant mon père lequel n’acceptait pas mes retards et encore moins mes excuses d’enfant, lui, étant né homme puisqu’il gagnait déjà sa vie à onze ans!
J’entrais en trombe chez nous tous, mes parents, mon oncle Haïm, ma tante Thérèse, grand-mère Esther, Madame Rachel, Messody, Hanania le mercier, Joseph le cordonnier..........
Toute la maison était en émoi; ma mère m’inspectait, voyait que je n’étais pas blessé, m’agrippait aux oreilles, prenait tout le monde à témoin et me souffletait vigoureusement.
Essoufflé je ne pouvais répondre; ma mère décidait mon silence coupable, criait à la galerie que je n’étais pas son fils, que je ne pouvais pas être son fils, qu’elle n’a pas pu porter ce monstre neuf mois, et allaité ce serpent vingt quatre mois! Elle priait le Bon Dieu d’écourter ma vie, de la faire souffrir de ma mort et lorsque enfin elle lâchait prise et que je pouvais parler et dire la formule magique “des arabes m’ont battu”, la furie devenait louve et une cascade de maux déferlait sur les arabes pendant qu’elle me léchait:“Que Dieu leur envoie une maladie incurable qui les anéantissent tous comme au temps des Pharaons!”.
Extrait du livre ...Et ma mere, par Jo Perez
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