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L’Atlas, par Randolph Benzaquen

Voici un extrait de mon livre : Tourbillon de Vie

 

L’Atlas, par Randolph Benzaquen

 

Depuis quelques mois, je fréquente un ami, Thierry Cabot avec plus d’assiduité. C’est un garçon tranquille, cultivé et qui a les mêmes passions que moi. Il aime le surf, la montagne et les grands voyages.

J’oubliais, les jolies filles. Ce qu’il y a de formidable avec lui, c’est qu’il organise les voyages dans ses moindres détails. Ensemble, nous avons parcouru une bonne partie du Maroc, soit pour le surf, le Sahara et surtout l’Atlas, à pied ou à dos de mulet.

Cette fois-ci, nous nous dirigeons vers le lac de Dayet Achlaf, dans la belle région d’Ifrane située dans le Moyen-Atlas. Nous roulons de nuit, les préparatifs nous ayant retardés. 
Thierry est un homme qui aime se perdre dans la nature. Il nous promet de fortes sensations ainsi qu’une belle pêche à la truite. Le plus incroyable, c’est de savoir comment il va se diriger pour trouver un minuscule lac dans l’obscurité la plus complète, si petit que je n’ai même pas son nom.

Nous arrivons très tard dans la nuit et nous nous couchons immédiatement. La nuit est absolument noire, pas de lune, seuls les phares nous donnent une vague idée de l’endroit où nous nous trouvons. Au réveil, ma surprise est totale. Nous campons sur une prairie assez aérée, à quelques mètres seulement d’un lac miniature, totalement isolé. Comment, mais comment Thierry a-t-il fait pour le découvrir dans cet endroit perdu ? Plus tard, il nous expliquera qu’il avait exploité une concession forestière non loin et qu’il venait y pêcher. C’est tout de même un exploit. Chapeau, Thierry !

Le lac fait environ soixante mètres de diamètre, bordé au nord par quelques roseaux. Les berges sont faciles d’accès. Thierry ne nous a pas seulement mené à bon port, mais il a également apporté l’attirail complet pour la pêche : plusieurs cannes, appâts de toutes sortes, leurres, filets, besaces…

Il nous fait une démonstration de pêche à la mouche qui demande beaucoup de doigté. Le fil qui vole dans l’air comme une danseuse, en sautillant, a quelque chose de captivant.

Après deux heures de pêche très agréables, mais moyennement fructueuses, nous décidons de plier le camp pour nous rendre à Dayet Hachlaf, un lac nettement plus grand et réputé pour ses truites. Le lac bordé de peupliers trembles est assez plaisant. La pêche n’ouvre que le lendemain matin, mais comme nous campons sur place et voulons pour le diner de la truite, nous passons outre l’interdiction. Rapidement, nous avons dans notre besace trois belles pièces, lorsqu’arrive le garde forestier qui nous demande d’arrêter car la pêche est fermée. Comme l’ouverture est dans quelques heures, il n’insiste pas trop mais nous fait tout de même la leçon. En riant, je lui dis que nous les mangerons en pensant à lui. A ce moment, deux Land-Rover arrivent, des militaires en descendent et tendent un filet électrique en travers du lac en le faisant avancer. En quinze minutes, ils récupèrent des dizaines de kilos de truites pour les invités qui se trouvent à Ifrane. Eberlué, je ne me gêne pas pour le signaler au garde-chasse : « Et tu nous faisais la morale pour trois truites ! Que penses-tu de ces centaines de truites pêchées ainsi ? » Il reste muet et pour cause. C’est d’autant plus injuste, que l’ouverture de la pêche est prévue pour demain et les pêcheurs vont avoir une belle déception. Un peu écœurés par cette façon de procéder, nous partons visiter les environs et les autres lacs, dont Dayey Yfrah et Dayet Aoua. Thierry me raconte qu’un ami de son père, alors qu’il pêchait à l’Aguelmane Aziza, situé non loin, s’est trouvé face à l’un des derniers lions de l’Atlas, aux environs des années 1930, son seul salut ayant été de se jeter à l’eau et de nager le plus loin possible, en attendant que l’animal s’en aille.

Non loin, se trouvent les sources de l’Oum er Rbia, où nous nous rendons à pied à travers la forêt. Au départ, ce n’est encore qu’une petite rivière que des kayakistes sont sur le point de descendre. Dans la forêt, mon chien Grieg, un Airedale terrier courageux de caractère, nous suit allègrement en furetant partout. Soudainement, nous entendons un gros bruit de branchage et nous voyons Grieg virevolter dans les airs pour venir s’écraser sur la piste. Le bruit s’estompe très rapidement et nous apercevons un gros sanglier que le chien avait débusqué, s’enfuir au galop. Fou d’inquiétude, je me précipite vers Grieg, qui est un peu sonné mais ne semble pas avoir été atteint grièvement. Il n’a qu’une longue estafilade rose sur le ventre. Le sanglier ne l’a qu’effleuré. Plus de peur que de mal ! Dix minutes plus tard, comme si rien ne s’était passé, il furetait à nouveau.

En chemin, un forestier nous parle d’un coin très sauvage, presqu’inaccessible où quelques bûcherons travaillent dans une immense cuvette en forme de cirque. Il pense qu’avec le 4×4 nous pouvons nous y aventurer. Au crépuscule, nous campons dans un endroit magique : le Stonehenge de la forêt de cèdres. Une clairière circulaire, cernée par des arbres titanesques qui nous donne l’impression d’être dans une crypte. Cette sensation est accentuée par le silence pesant qui nous entoure, la pénombre qui nous enveloppe et par les fûts en arc de cercle qui s’élèvent vers le ciel. Avec le soleil rasant, les jets de lumière dorée semblent nous parvenir au travers de vitraux. La nuit risque d’être émouvante avec pour toile de fond la voute céleste. Effectivement, elle a tenu toute ses promesses, près du feu de bois, sous un ciel rassurant. Le lendemain, nous essayons d’embrasser un bel arbre en nous tenant par la main, bras écartés,  mais à quatre nous n’arrivons pas à en faire le tour, sa circonférence est trop importante. Je suis impressionné par cette masse qui jaillit de la terre. Je ramasse sur le sol des pommes de cèdres ouvertes qui ressemblent à une corolle de fleur. Les macaques curieux, hurlent au-dessus de nous. Je suis resté pendant près d’une heure, allongé, totalement immobile, la main gauche tendue pleine de cacahuètes. Je me suis même endormi mais cela a fini par donner ses fruits, un magot plus téméraire que les autres est venu se servir promptement sur la pointe des pieds, avec des gestes de danseuse.

Pour nous rendre sur l’aire d’abattage, nous empruntons  une piste pentue à l’extrême ; sans le crabotage, il nous aurait été impossible d’y parvenir. Comme le 4×4 n’a pas de siège arrière, la personne allongée à l’arrière se trouve littéralement écrasée contre la porte arrière. Nous grimpons en dérapant, les roues s’accrochent en prenant appui sur le dur. Le capot est tellement haut qu’il gêne la visibilité. Subitement, un klaxon lancinant nous surprend et nous voyons apparaître, en sens inverse, un énorme camion chargé de plusieurs gros troncs d’arbres. Il ne peut que descendre par cette piste, la remontée se fait sur l’autre versant de la montagne. Le chauffeur arque bouté sur ses freins ne lâche pas le klaxon qui hurle de façon désespérée. En freinant, il ne peut que ralentir sa course, sans toutefois pouvoir l’arrêter. Soit nous nous écartons, soit il nous broie. Il n’a pas d’autres choix, il n’y a pas de place pour nous deux. Sans perdre une seconde, j’enclenche la marche arrière et je me mets à parcourir la route sinueuse en sens inverse. Le camion qui nous talonne, klaxonne toujours, mais je fais ce que je peux. Les arbres, les virages, les trous, les bosses m’empêchent de gagner du terrain. C’est même le contraire qui se passe. Le monstre se rapproche dangereusement et notre fuite est trop lente. Le chauffeur, le visage hagard, tendu, collé au pare-brise, gesticule désespérément. Il n’a jamais dû se trouver face à un véhicule venant dans cette direction. Nous sommes secoués dans tous les sens. Enfin apparaît un décrochage où je m’engouffre sans réfléchir. Quelques secondes plus tard, le camion passe à un mètre de nous, en nous vrillant les tripes avec son klaxon. Nous l’avons échappé belle. Nous restons silencieux, hébétés. S’il n’y avait pas eu ce dégagement, nous aurions dû sauter de la voiture en marche, pour ne pas être aplati. Maintenant, nous savons que cette piste est uniquement empruntée par les camions pour descendre les troncs. Ouf ! Quel soulagement ! Nous ne sommes pas prêts d’oublier la piste des cèdres !
Arrivés sur les lieux, j’ai un sentiment d’oppression que je contrôle assez mal. L’endroit est immense, accidenté. On dirait un champ de bataille, un bombardement n’aurait pas mieux fait. Nous nous trouvons dans un amphithéâtre, noirci par la fumée de bois. Les arbres aux alentours sont noirâtres. Le sol irrégulier, crevassé, sombre, est parsemé de rochers imposants. Des troncs couchés gisent sur le sol de façon désordonnée. Les bucherons eux-mêmes semblent contaminés, leurs visages sont austères, patibulaires. Leur peau ainsi que leurs vêtements sont maculés de noir. Il est peu de dire que l’endroit est inquiétant. J’y ai souvent repensé par la suite et j’en ai même rêvé.

Est-ce l’action de l’homme qui a rendu ce lieu aussi hostile ? Ou peut-être ne suis-je pas habitué à la sauvagerie à l’état pur ?
Mais cela valait la peine de voir cela, un étalage de puissance brutale dans un des lieux les plus reculés du Maroc.
Ces voyages dans le Maroc profond, tellement diversifié, me transmettent une sensation de découverte, d’aventure. Je connais des dizaines de pays car l’homme veut toujours en savoir plus et sa curiosité est insatiable. Mais tous ces voyages me permettent de dire que souvent on va chercher bien loin ce qui se trouve sous notre nez. Et sous mon nez, se trouve ce Maroc du bled riche en paysages aussi diversifiés qu’enchanteurs.

Randolph Benzaquen <randolphbenzaquen@hotmail.com>

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