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La rue des Rosiers : réflexions sur Abu Nidal, les nazis et l’ultra-gauche

La rue des Rosiers : réflexions sur Abu Nidal, les nazis et l’ultra-gauche

 

 

Il y a exactement 30 ans, le 9 août 1982 à 13 heures, eut lieu rue des Rosiers à Paris l’attentat antisémite le plus sanglant de l’après guerre en France : 6 morts et 22 blessés, dont certains marqués à vie. C’était au cœur du célèbre quartier juif du centre de Paris, le Pletzl. Deux hommes (certains disent quatre) lancent une grenade et tirent à l’intérieur du célèbre restaurant de Jo Goldenberg. Puis ils descendent la rue en continuant de tirer et disparaissent dans leur voiture.

 

L’enquête fut curieusement confiée par le Président François Mitterrand à la cellule anti-terroriste créée à l’Elysée par les gendarmes du GIGN. Quinze jours plus tard, l’adjoint du commandant Prouteau, le capitaine Baril l’orientera vers une piste qui se révélera grotesque, celle des « Irlandais de Vincennes ».

 

Après ce début catastrophique, l’enquête ne progressa pas. Il fut communément admis que le groupe d’Abu Nidal était responsable, même si ce groupe avait plutôt tendance à gonfler ses hauts faits terroristes plutôt que de les laisser dans l’ombre, alors que l’attentat de la rue des Rosiers ne fut jamais revendiqué.

Abu Nidal est mort, assassiné à Bagdad en août 2002 par les services irakiens au service desquels il avait longtemps travaillé, avant de se mettre au service de la Libye de Muammar Kaddahfi et de l’aider à organiser ses propres attentats. Il avait quitté le Fatah de Arafat vers 1975 et avait établi sa propre organisation terroriste fonctionnant comme une secte avec des purges internes sanglantes et un endoctrinement de fer, sans référence religieuse islamique. C’était un autre temps…..

 

La responsabilité du groupe d’Abu Nidal dans la fusillade de la rue des Rosiers a été confirmée récemment (octobre 2011) par le juge antiterroriste Marc Trévidic : les responsables se trouveraient en Jordanie et ne pouvaient pas être extradés.

 

En 2008, un documentaire de Thierry Vincent sur Canal Plus avait pourtant évoqué une piste néo-nazie. L’un des suspects, Odfried Hepp, aujourd’hui libre en Allemagne confirmait que son compagnon Walter Kexel alors décédé aurait pu être un des auteurs de l’attentat.

 

Alors, terroristes néo-nazis ou palestiniens ? Mais y a-t-il une contradiction ? Les uns ne peuvent-ils pas travailler au service des autres ? C’est l’occasion de rappeler les liens étroits établis entre les deux mouvances. Odfried Hepp et ses amis se sont entraînés dans des camps palestiniens. Dans l’attentat de Munich, il y a 40 ans -Abu Nidal était encore au Fatah – on connaît aujourd’hui les liens logistiques des responsables avec des néo-nazis.

 

Mais à cette époque, la référence « officielle », valant label « révolutionnaire » revendiqué par les mouvements terroristes palestiniens n’était pas le nazisme. Le stigmate était trop lourd en Occident. C’était l’ultra-gauche, la bande à Bader ou son minable ersatz d’Action Directe en France qui représentaient romantiquement la lutte contre l’oppression colonialiste.

 

Mais là non plus, il n’y avait pas de contradiction. On sait depuis l’ouverture des archives de la Stasi qu’Odfried Hepp était aussi un fonctionnaire zélé des services secrets est-allemands, comme beaucoup d’autres membres des groupes gauchistes ou d’extrême droite d’Allemagne de l’Ouest de l’époque.

 

L’alliance rouge-brun était bien établie, la touche « verte », en l’occurrence le nationalisme arabe, lui apportait des horizons d’action anti-impérialiste commune.

 

Comment ne pas rappeler, bien avant, la filière d’exfiltration des nazis en Egypte à la fin de la guerre, sur les basques de leur collègue, le mufti de Jérusalem, et avec la bénédiction de Nasser et de ses prédécesseurs. D’après le Frankfurter Illustriete, il y en aurait eu plus de 2000 ; certains sont devenus des instructeurs miliaires, d’autres de hauts fonctionnaires ou des responsables des services de renseignement ou de propagande: l’un d’entre eux, le Dr von Leers, avait été l’adjoint direct de Goebbels. Ils ont continué en Egypte l’œuvre de leur vie, la guerre à mort contre les Juifs. Leur empreinte pèse sur le terrible antisémitisme égyptien d’aujourd’hui. Ce n’est pas la seule.

 

Enfin, comment ne pas penser au terroriste Carlos regroupant dans son seul personnage les enthousiasmes d’ultra-gauche et d’antisionisme, en accointance avec le célèbre banquier néo-nazi François Genoud...

 

Ces rencontres ne sont pas contre-nature : leur logique est simple, et dans son interview à Thierry Vincent, Odfried Hepp l’explicite comme une évidence : « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Qui sont les ennemis communs ? Les impérialistes américains et les Juifs. Pour certains (les gauchistes) la haine des impérialistes était prioritaire, pour les terroristes arabes c’étaient les sionistes, pour les nazis, c’étaient les Juifs. Mais qu’importe, puisqu’une réflexion appropriée montrait que ces ennemis n’étaient que des masques différents de la même figure du mal, L’union des contraires nécessite une certaine sacralisation, ou diabolisation, de l’ennemi. Le bouc émissaire après tout avait un rôle religieux….

 

Cette union des contraires fondée sur un ennemi commun est un ressort essentiel de l’histoire du monde contemporain : son paradigme historique officiel est l’accord germano-soviétique de 1939.
Au plus profond des conflits au Moyen Orient, pour les individus ou pour les peuples, c’est ce ressort qui reste à l’œuvre : la guerre civile en Syrie, l’hostilité entre les chiites et les sunnites ne sont que des conflits de second ordre par rapport à la haine existentielle essentielle, celle qui s’exprime contre Israël. Malgré ce qui les sépare, Ahmadinedjad va bientôt rencontrer les dirigeants saoudiens. Ils sont archi-ennemis, mais ils peuvent s’accorder sur le fondement d’une haine commune. De quoi pouvoir se parler.

 

Richard PRASQUIER

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