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Le leader du parti islamiste au Maroc : « Ce sera une déferlante »

Le leader du parti islamiste au Maroc : « Ce sera une déferlante »

 

Ilhem Rachidi
Journaliste

Les Marocains se rendent aux urnes ce vendredi pour des élections législatives anticipées. Les islamistes modérés pourraient les remporter.

 

(De Rabat) A la veille des élections législatives de ce vendredi au Maroc, le favori du scrutin, Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD (Parti justice et développement), un parti islamiste qualifié de « modéré » qui n'a encore jamais gouverné, a répondu à Rue89 ce jeudi.

« Cette fois-ci sera la bonne »

Pour ce professeur de physique de 57 ans, qui a déclaré à maintes reprises être « prêt » à devenir Premier ministre, gouverner le Maroc serait l'aboutissement logique de sa carrière politique. Ce jeudi après-midi, il nous a déclaré :

« Inchallah, cette fois-ci sera la bonne. On verra ce que le [pouvoir] va faire mais tout a changé depuis les dernières élections législatives. Aujourd'hui, il ne s'agit plus de la victoire d'un parti mais d'une déferlante. Cette fois-ci, tout le monde nous dit “on est avec vous”. Je sens un soutien très fort de la population. »

Son parti, boosté par la victoire du parti Ennahda en Tunisie, part favori des élections législatives anticipées qui ont lieu ce vendredi au Maroc. L'hebdomadaire TelQuel résume la situation à travers ce titre : « Le Maroc sera islamiste (sauf miracle… ou petit tour de passe-passe du Palais) ».

Depuis quelques jours, cette possible victoire du PJD alimente toutes les conversations. Une partie des Marocains redoute sa venue au pouvoir. Mais force est de constater que le parti islamiste ne fait plus réellement peur. Ainsi, selon l'économiste Driss Ben Ali, spécialiste du Maghreb et vice-président de l'association Maghreb Plus :

« La conjoncture a changé par rapport à il y a dix ans. L'islamisme ne fait plus peur. La preuve, c'est qu'ils sont à peu près partout [dans le monde arabe] [...] Le PJD multiplie les sérénades avec l'espoir de se faire accepter et admettre par le palais royal, les Occidentaux ont compris qu'ils peuvent même les utiliser. »

D'après Driss Ben Ali, qui ne votera pas, l'opinion marocaine est « prête » à accepter les islamistes du PJD :

« Ils sont les moins mauvais de tout ce qui existe sur le plan politique aujourd'hui [...]. Au moins, ils ont une idéologie à laquelle ils tiennent, que je ne partage pas, mais on connaît leur ligne de conduite... Je n'ai rien contre eux, ce n'est plus comme avant. Les pires ennemis du Maroc sont les opportunistes et ceux qui ont pillé le Maroc. [Les islamistes] ils n'ont jamais eu le Maroc. Je ne vois pas pourquoi je vais les condamner. »

La super coalition barrera-t-elle la route aux islamistes ?

Il y a quatre ans, le PJD était déjà parti pour être le premier parti du pays. Mais il s'est fait rafler la mise par le parti historique de l'Istiqlal. Le PJD était arrivé premier en nombre de voix mais le mode de scrutin et l'habile découpage électoral l'ont relégué à la deuxième position. Depuis, il est la principale force d'opposition. L'année 2012 sera-t-elle la bonne pour ce parti dont on ne cesse de vanter la « modération » ? Quel est le parti qui pourrait tenir tête aux islamistes ?

Cette année, c'est la toute nouvelle « coalition pour la démocratie » surnommée « G8 », qui pourrait bloquer la route du PJD. C'est en tout cas ce qu'espère une bonne partie de la classe politique marocaine. Le G8 est constitué de partis aux idéologies diverses comme le PAM (Parti authenticité et modernité) créé par Fouad Ali El Himma – l'ancien ministre délégué à l'Intérieur et ami du roi Mohammed VI –, le RNI (Rassemblement national des indépendants), des écologistes, et le Parti de la renaissance et la vertu de l'islamiste Abdelbari Zemzmi.

Si le G8 l'emporte, l'actuel ministre des Finances et président du RNI, Salaheddine Mezouar, très médiatisé ces dernières semaines, pourrait devenir le prochain Premier ministre, et mettre fin aux rêves de Abdelilah Benkirane – et au cauchemar des modernistes.

Sous la nouvelle Constitution adoptée en juillet dernier, le prochain chef de gouvernement devra être issu du parti qui arrivera en tête des élections (dans les faits, c'était déjà le cas en 2007, le roi ayant nommé Premier ministre Abbas El Fassi, chef du parti de l'Istiqlal, vainqueur des élections). Il verra son pouvoir renforcé, ainsi que le Parlement, même si le roi Mohamed VI garde l'essentiel du pouvoir exécutif.

Une abstention très forte ?

Au-delà d'une possible victoire islamiste, l'abstention reste un enjeu majeur de ces élections législatives, avancées d'un an pour calmer la contestation. Les partis politiques, discrédités, déconnectés des préoccupations des Marocains, peinent à mobiliser. Déjà en 2007, seuls 37% des inscrits s'étaient déplacés. Témoignages :

  • Un habitant du quartier populaire Takkadoum à Rabat :

« J'irai voter le jour où un candidat acceptera de venir dormir chez un de mes voisins. Je veux qu'il dorme, qu'il mange, avec ses enfants dans la même pièce. Je veux qu'il sache ce que ça fait de dormir à côté de la cuisinière, avec les chaussures des enfants près de la tête [...]. S'il y'en a un qui est capable de faire ça, j'irai voter. »

L'extrême gauche boycotte

Malgré l'adoption de la nouvelle Constitution et la tenue de ces élections, des milliers de Marocains continuent de manifester quasiment toutes les semaines pour davantage de démocratie. Le Mouvement du 20 février, à l'origine de cette contestation, a appelé au boycott des élections. Dimanche dernier, des dizaines de milliers de Marocains ont défilé dans les principales villes du Maroc, aux cris de « Mamsawtinch » (nous ne voterons pas).

Trois partis d'extrême gauche (le Parti socialiste unifié (PSU), le Parti d'avant-garde démocratique et socialiste (PADS) et la Voie démocratique (Annahj Addimocrati), qui soutiennent le Mouvement du 20 février, ont également appelé au boycott.

Selon Hakim Sikouk, un professeur de philosophie qui milite au sein du parti d'extrême gauche Annahj Addimocrati (La Voix démocratique), le Mouvement du 20 février, est « un mouvement politique », qui a comme les partis « le droit de boycotter » ces élections :

« Comme d'habitude à Annahj, nous allons boycotter. Il n'y a rien de différent cette fois-ci. La Constitution n'a pas fondamentalement changé. Et à Annahj, pour que l'on participe aux élections, il faut qu'il y ait une assemblée constituante. Nous militons pour une constitution démocratique, qui exprime la volonté totale du peuple. »

 

Yassine Bazzaz, un militant du PADS et membre du Mouvement du 20 février, partage un point de vue différent, même s'il a décidé de ne pas voter :

« Malgré le fait que mon parti boycotte les élections, je crois que le mouvement ne doit pas appeler au boycott. Les partis sont créés pour prendre le pouvoir. Nous sommes un mouvement social, nous ne voulons pas prendre le pouvoir. »

Mais parce qu'il milite au sein d'un parti qui appelle au boycott, il n'ira pas voter vendredi :

« Je boycotte parce que la Constitution n'a rien apporté de nouveau. Le roi garde tous les pouvoirs entre ses mains, il n'y a pas de séparation des pouvoirs. »

 

http://www.rue89.com/2011/11/24/le-leader-du-parti-islamiste-au-maroc-ce...

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