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Le régime Poutine tombera-t-il en 2015 ?

Le régime Poutine tombera-t-il en 2015 ?(info # 010201/15)[Analyse]

Par Sébastien Castellion© MetulaNewsAgency

 

Lors de sa conférence de presse de fin d’année, le 18 décembre dernier, Vladimir Poutine a accusé les Etats-Unis et l’Europe de conspirer pour affaiblir la Russie. Pour le président russe, la guerre en Ukraine est le résultat d’un complot occidental ; la baisse des prix du pétrole est une manœuvre délibérée des Saoudiens, alliés de l’Amérique, pour priver de revenus le grand rival de l’Occident ; et l’effondrement du rouble est un acte de guerre économique de l’OTAN.

 

Et pourtant, la crise que traverse la Russie est la conséquence inévitable d’un modèle de société que le président russe a délibérément choisi. Face à cette crise, il est presque certain que Poutine réagira en augmentant encore le pouvoir de nuisance de la Russie dans l’ordre mondial. Il reste à voir si les Russes accepteront une nouvelle marginalisation diplomatique et une nouvelle détérioration de leurs conditions de vie ou si un nouveau pouvoir peut apparaître dans un proche avenir.

 

La faiblesse actuelle de la Russie est la conséquence directe d’un modèle de société que le président russe a délibérément choisi. Au début de la décennie 2000, qui était aussi le début du principat de Vladimir Poutine, les prix du pétrole ont connu une forte augmentation qui les a portés de 23 dollars le baril (moyenne 2003) à 91 dollars en moyenne 2013.

 

La Russie, dont l’économie était encore au début de cette période en phase de convalescence après la chute de l’URSS et le pillage en règle de l’économie par les oligarques de l’ère Eltsine, venait de retrouver un semblant d’ordre au début de la présidence Poutine. Elle aurait pu choisir de se développer de manière équilibrée entre les secteurs – ne pas s’appuyer uniquement sur sa richesse en hydrocarbures, mais attirer les investisseurs dans d’autres secteurs industriels et utiliser les nombreux cerveaux qu’elle sait encore produire pour prendre des positions dans les technologies de l’information, les nouvelles technologies des matériaux et autres secteurs de pointe. Ce fut, un temps, le rêve de Dimitri Medvedev, président russe entre 2008 et 2012.

 

Un tel modèle de croissance aurait donné à l’économie russe une assurance contre les variations du prix du pétrole. Il aurait aussi, cependant, attiré vers la Russie une catégorie d’investisseurs qui n’a jamais plu à Poutine, maître incontesté du pays pendant toute la période. Des entrepreneurs plus intéressés par l’efficacité industrielle que par le jeu politique ; des talents mobiles, prêts à partir si l’Etat devient trop pesant ; des esprits indépendants, capables d’influencer la société dans un sens plus propice à la liberté d’expression et moins tolérant de la corruption massive qui affecte l’appareil d’Etat russe jusqu’à son sommet.

 

Malgré les timides tentatives de Medvedev, Poutine a donc arbitré en faveur d’un modèle économique qui convenait le mieux à sa vision politique pour la Russie : un développement fondé sur les ventes de gaz et de pétrole, contrôlées par l’Etat et, à son sommet, par le président lui-même.

 

Du point de vue politique, ce modèle offre plusieurs avantages. Il permet au président d’assurer son pouvoir en décidant qui pourra investir et qui pourra avoir accès à quels gisements. En période de prix élevés, il fournit à Poutine et à son entourage une gigantesque cagnotte qui leur permet d’acheter la loyauté des fidèles, de corrompre les opposants potentiels, de louer les services de thuriféraires en Occident, de distribuer à la population les aides sociales qui la rendront dépendante du pouvoir. Sans oublier, naturellement, l’enrichissement personnel de Poutine et de son entourage, qui sont une partie intégrante du système.

 

Les résultats sont là. En 2013, 68% des recettes de la Russie à l’exportation viennent des hydrocarbures. Les ventes de pétrole et de gaz représentent 50% des recettes budgétaires de l’Etat. En même temps, près de 50% de la population russe dépend de l’Etat pour ses revenus : fonctionnaires, retraités et autres pensionnés.

 

Le budget russe pour 2015 avait pris pour hypothèse un baril de pétrole à 100 dollars. Il évolue actuellement autour de 60 dollars et les prix à long terme ne prévoient qu’un redressement très modeste (autour de 65 dollars) en fin d’année.

 

La première conséquence de cet écart est que le pays n’aura plus les liquidités nécessaires pour financer les grands spectacles et les aventures avec lesquels Poutine a plusieurs fois acheté sa popularité, comme l’invasion de la Crimée (qui a dû coûter environ 75 milliards) ou les Jeux Olympiques de Sotchi (environ 50 milliards).

 

La deuxième conséquence est que le niveau de vie des Russes, trop dépendant des recettes en hydrocarbures, va baisser. Des fonctionnaires et des employés de sociétés d’Etat seront licenciés. Des aides sociales et des subventions annoncées seront réduites, retardées ou, tout simplement, non payées. Tout cela aura nécessairement un coût politique élevé pour Poutine, dont le nom était jusqu’ici associé par tous les Russes – même ceux qui n’apprécient pas ses abus de pouvoir, son idéologie ou la corruption de son gouvernement – à une indiscutable ère de prospérité.

 

Tout cela était parfaitement prévisible depuis le jour où le président russe a choisi d’écarter les plans de diversification proposés par certains de ses conseillers. Personne ne peut ignorer que les prix du pétrole varient à la hausse comme à la baisse.

 

Poutine a, de surcroît, aggravé la situation économique de son pays par son attitude de confrontation systématique avec l’Occident. A la suite de l’invasion de l’Ukraine au début de l’année dernière, les Etats-Unis et l’Europe ont adopté une série de sanctions contre la Russie : interdiction de toute transaction avec deux grandes entreprises d’hydrocarbures (Rosneft et Novatek), deux grandes banques (Gazprombank et Vneshnekonombank) et une quinzaine d’autres entreprises russes, ainsi qu’une interdiction de territoire infligée à diverses personnalités proches du régime.

 

L’effet direct de ces sanctions est certainement moins important que celui de la baisse du prix des hydrocarbures. Leur effet indirect, en revanche, est considérable. L’investissement occidental en Russie a à peu près entièrement cessé, même dans les secteurs où il reste autorisé. Les oligarques russes, qui ont toujours équilibré leurs investissements en Russie avec la constitution de réserves importantes à l’étranger, accélèrent la fuite des capitaux autant qu’ils le peuvent sans encourir l’ire du tsar.

 

La combinaison de toutes ces mauvaises nouvelles se traduit par tous les signes classiques d’une économie au bord de l’éclatement : dépréciation rapide de la monnaie (59 roubles pour un dollar aujourd’hui contre 33 en début d’année 2014) ; accélération de l’inflation, qui a atteint 11,4% en rythme annuel en décembre contre 6% en janvier ; tentatives désespérées de la Banque centrale de préserver la monnaie en sacrifiant ses propres réserves (la Banque centrale russe a vendu 110 milliards de dollars en 2014 et ses réserves actuelles sont inférieures à 400 milliards) ; et fuite généralisée des investisseurs qui conduit à un effondrement des marchés financiers. Fin décembre, la capitalisation boursière cumulée de toutes les sociétés russes cotées atteignait à peine 345 milliards de dollars, soit moins que la valeur de Google, Apple, Microsoft ou Berkshire Hathaway.

 

Malgré toutes ces mauvaises nouvelles économiques, il n’existe cependant presque aucune chance pour que Poutine choisisse de redresser son pays en se rapprochant de l’Occident et en accueillant les investisseurs qui permettraient de diversifier son économie.

 

Au contraire, tout le comportement de l’autocrate de Moscou montre que sa stratégie, face aux difficultés actuelles, consiste à augmenter autant que possible le pouvoir de nuisance de la Russie.

Sa première priorité est de se rapprocher de la Chine pour éviter de se retrouver isolé par l’Occident. La Chine, cependant, joue ce jeu avec prudence : elle ne veut pas s’affaiblir sur les gigantesques marchés occidentaux pour le plaisir de soutenir une économie huit fois plus petite que celle de l’Europe ou des Etats-Unis.  Le principal intérêt des Chinois est d’accéder aux richesses minérales russes, mais ils savent utiliser la faiblesse actuelle du régime pour obtenir d’excellents prix – comme l’a montré, le 9 novembre dernier, l’accord russo-chinois de fourniture de gaz pour 30 ans pour 400 milliards de dollars.

 

Faute d’un soutien clair de la Chine, il reste au maître du Kremlin à augmenter sa capacité de nuisance en servant de grand frère à tous les Etats voyous de la planète. La Russie a ainsi lancé le projet d’une banque commune avec l’Iran, qui permettra aux sociétés russes d’étendre les relations commerciales sans utiliser de monnaies occidentales et sans souci des sanctions. L’été dernier, un accord de troc a également été signé entre les deux pays : produits manufacturés russes contre pétrole iranien.

 

La Russie a également signé un accord qui permettra à ses entreprises énergétiques de rester dominantes dans le secteur du nucléaire civil iranien, même dans le cas improbable où les discussions de Genève parvenaient à un accord entre l’Iran et l’Occident. Aux termes de cet accord, la Russie construira au moins deux réacteurs supplémentaires en Iran, et peut-être jusqu’à huit. Elle formera davantage d’experts nucléaires iraniens et pourrait autoriser l’Iran à construire sur son territoire certains éléments de combustible.

 

Le Président Poutine est également devenu le deuxième parrain du régime de Corée du Nord, que la Chine traite avec plus de froideur que jadis. L’été dernier, il a annulé 90 % de la dette nord-coréenne envers la Russie et annoncé que les 10 % restants pourraient être utilisés pour aider des projets dans les domaines de la santé, de l’énergie et de l’éducation. Des signaux venant du Kremlin m’indiquent que de nouveaux accords sont en préparation entre les deux pays et qu’une rencontre entre Poutine et Kim Jong-Un (qu’aucun chef d’Etat n’a encore reçu) pourrait même être en préparation.

 

Malgré l’alliance traditionnelle entre la Russie et l’Inde, la Russie développe aussi ses relations avec le Pakistan : en novembre dernier, les deux pays ont signé un accord cadre qui permettra de réaliser des exercices militaires en commun et de coordonner leurs politiques de sécurité.

 

Toutes ces initiatives, cependant, ne peuvent pas redresser l’économie russe comme le ferait une politique d’ouverture aux investisseurs et de rapprochement avec l’Occident. Poutine augmente son influence à court terme en apportant son soutien aux fauteurs de trouble de la planète ; mais il continue par là-même à faire fuir les investisseurs, à accentuer la méfiance des économies riches face à son pays, et donc à détériorer les conditions de vie des Russes.

 

La population russe supportera-t-elle longtemps cette politique ? Plusieurs grandes puissances se sont effondrées dans le passé parce qu’elles avaient trop concentré leur économie sur des matières premières dont le prix s’est effondré. Ce fut le cas, au début du dix-neuvième siècle, de l’Empire espagnol, qui devait toute sa richesse à la production d’or et d’argent. De manière plus inquiétante pour Poutine, ce fut aussi le cas de l’Union Soviétique, dont la chute en 1989 était directement liée à la baisse des prix du pétrole.

 

Rien ne permet encore de conclure que le pouvoir russe soit en danger immédiat : à défaut de satisfaire sa population, il a su développer une surveillance policière très efficace de ses opposants et hésite de moins en moins à les incarcérer, sous un prétexte ou sous un autre, avant qu’ils ne deviennent dangereux.  Mais si les prix du pétrole ne remontent pas, c’est la survie même du régime Poutine, dans son refus de considérer la possibilité d’un compromis avec l’Occident, qui pourrait être menacée. 

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