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Les islamistes face aux bikinis

Les islamistes face aux bikinis

 

Il faut interdire alcool et bikinis, clament des islamistes dans des pays vivant du tourisme, comme l’Egypte, la Tunisie, le Maroc ou les Maldives. Le voyageur doit-il s’inquiéter?

Par Renaud Michiels

 

Quatre exemples

 

Tunisie: des hôtels sans mixité

Le tourisme, en 2010, faisait vivre quelque 2 millions de Tunisiens. Mais après la fuite de Ben Ali, la montée en puissance du parti islamique Ennahdha a suscité la peur. D’autant que Rached Ghannouchi, figure du parti, a évoqué des hôtels sans alcool ni bikinis, ou voulu des hôtels halal, sans bar ni discothèque, avec des étages réservés aux femmes. Ennahdha a obtenu 41% des voix. Pourtant, rien n’a changé. Secrétaire général du parti, Hamadi Jebali a lancé: «Est-il raisonnable de paralyser un secteur vital comme le tourisme en interdisant les boissons alcoolisées et le port de maillot de bain ou d’autres pratiques?» Sa réponse: non.

Maroc: halte aux casinos

Peu de séjours balnéaires au Maroc, mais des villes phares: Marrakech, Casablanca, Tanger. C’est là que la menace a pesé: sur l’alcool, les loisirs. Une interdiction des casinos a été demandée. Fin novembre, le parti islamique PJD devenait la première force du pays. Mais au pouvoir, il a rassuré. Pas question d’«islamiser le Maroc», dit Lahcen Daouadi, secrétaire du parti. Ni d’interdire l’alcool. «On ne peut pas! Si vous voulez avoir 20 millions de touristes, ce n’est pas possible. Si vous voulez acheter de l’alcool, c’est caché. Celui qui veut se servir se sert, mais il faut protéger les enfants, les jeunes.»

Maldives: spas «anti-islamiques»

Fin décembre, suite à la victoire des islamistes en Egypte, les religieux radicaux manifestent aux Maldives. Dénonçant les activités «anti-islamiques», ils visent l’alcool et surtout les spas, qui seraient des lieux de prostitution. Le 30 décembre, le gouvernement ferme tous les spas. Un choc dans ce pays qui vit des 850 000 touristes accueillis chaque année. Mais tout est rouvert quatre jours plus tard. Le gouvernement a voulu donner une leçon aux extrémistes. Le président Nasheed dira au Monde que la fermeture a permis de «rappeler à la population qu’elle vivait en grande partie des revenus du tourisme».

Egypte: «Un tourisme plus halal»

Contraires «à la morale islamiste et à la pureté des mœurs», alcool et bikinis seront bannis de l’Egypte. Les salafistes ont accumulé les déclarations: «Nous voulons un tourisme plus halal, avec des plages non mixtes.» Et, en décembre, les partis islamiques sont devenus majoritaires: 24% pour les salafistes, 37% pour les Frères musulmans. Mais on sirote toujours des bières à Charm el-Cheikh: les Frères musulmans ont assuré ne pas vouloir toucher au secteur. «Si quelqu’un peut trouver une activité qui rapporte 12 milliards de dollars par an, il pourra appliquer les restrictions qu’il veut», a plaidé le ministre du Tourisme.

En Egypte, en Tunisie, les révolutions arabes ont débouché sur la montée en puissance des partis se revendiquant de l’islam. Au Maroc, le parti islamique PJD est devenu la première force du pays. Avec, partout, des menaces sur certaines libertés, en particulier les droits des femmes. Et par ricochet, sur les touristes. Dans le désordre: interdiction de l’alcool, des bikinis, des casinos, port du voile obligatoire, séparation des sexes. Des salafistes égyptiens ont voulu fermer les sites archéologiques qui contiennent des statues nues. Aux Maldives, les spas ont été temporairement fermés car ce seraient des lieux de débauche «anti-islamiques».

Un «impact considérable»

Ces menaces effraient-elles les vacanciers? Qui irait à Djerba, à Charm el-Cheikh ou sur une île de l’océan Indien si costumes de bain deux-pièces et alcool y étaient bannis? «Pour ces destinations balnéaires, il est évident que ce serait un vrai problème, il y aurait un impact considérable», répond Prisca Huguenin-dit-Lenoir, porte-parole d’Hotelplan Suisse. «Mais ce n’est pas le cas, ça ne l’a jamais été.»Alors, pas d’impact sur le tourisme? «Egypte, Tunisie ou Maroc doivent restaurer la confiance», répond Peter Brun, chargé de communication de Kuoni. «Les réservations augmentent de nouveau peu à peu même si le niveau d’avant les révolutions n’a pas été retrouvé. Mais les craintes sont liées à la sécurité, pas à des déclarations d’islamistes radicaux.»

La stabilité d’abord

«Pour l’Egypte, c’est un peu gelé, même si on s’attend à une reprise pour 2012, enchaîne Prisca Huguenin-dit-Lenoir. Mais les appréhensions sont liées à la stabilité politique, pas à des questions d’interdiction d’alcool ou de bikinis qui n’ont jamais été en vigueur», confirme Mme Huguenin-dit-Lenoir. Et tous deux de préciser que, menaces ou pas, il y a actuellement des offres à saisir. Des prix jusqu’à 30 ou 40% de moins que l’an passé pour l’Egypte, par exemple.

Mais demain? Fini cocktails, bronzette et mixité? Les voyagistes n’y croient pas. «Même pendant les révolutions, les stations balnéaires n’étaient pas touchées», note Peter Brun. «Ces pays savent l’importance du tourisme pour leur économie.»Les spécialistes du monde arabe semblent d’accord. «En Egypte, les Frères musulmans devront retrouver le niveau des recettes touristiques de l’époque de Moubarak pour préserver des millions d’emplois. Or le tourisme, cela signifie des filles aux bras nus et de l’alcool dans les bars», a plaidé Henry Laurens, professeur au Collège de France dans l’Express.

«Les déclarations les plus radicales sont venues de certains salafistes, pas des plus modérés. Et ces propositions musclées sont en partie électoralistes», détaille Hasni Abidi. «Ces pays ne vivent pas du pétrole mais du tourisme», note le directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, à Genève. «Ceux qui sont au pouvoir savent que s’en prendre au tourisme, c’est s’en prendre à l’économie, au peuple, et c’est ne pas pouvoir tenir ses promesses électorales, qu’elles se revendiquent de l’islam ou pas. C’est aussi la certitude de perdre les élections suivantes.» Bref, pour ces pays de tourisme, francs, euros et dollars devraient passer avant la charia.

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