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Maurice Lévy, la noblesse de la publicité

Maurice Lévy, la noblesse de la publicité

 

Publicis, c’est quarante ans de la vie de ce grand patron français,sa « deuxième famille », qui fait sa fierté, la première faisant sa force

Il reçoit seul, dans son bureau. Au 6e et dernier étage du 133, avenue des Champs-Élysées. Adresse prestigieuse, vue imprenable. À l’intérieur, rien de démesuré. Peu de hauteur sous plafond. Mobilier contemporain à la ligne sobre, élégante, fonctionnelle.

« Je ne garde rien de personnel ici. Je n’ai pas accroché de photos de famille », prévient Maurice Lévy. Tout est professionnel. Trophées, plaques et prix peuplent les étagères, témoins de ses quarante ans de maison accomplis ce mois-ci.

Autant de souvenirs de marchés et acquisitions remportés, grâce auxquels le président du directoire de Publicis a façonné une agence de publicité de taille moyenne en numéro trois mondial du secteur, inscrit au CAC 40.

En costume rayé impeccable, cravate noire, le geste posé de qui possède une assurance décontractée, Maurice Lévy incarne à lui seul cette ascension menée depuis ces lieux où l’on tutoie Paris mais pas le maître.

Notre hôte refuse pour autant de qualifier l’endroit de mythique. « Le bureau mythique, c’est à côté », corrige-t-il, ouvrant une porte dérobée donnant sur ce qui fut le bureau de Marcel Bleustein-Blanchet, le fondateur de Publicis.

 

« Jeune homme, un jour, vous dirigerez cette maison »

De style plus fastueux, l’endroit a été conservé en l’état, comme une pièce de musée. Élisabeth Badinter, fille du fondateur et présidente du conseil de surveillance du groupe, s’installe là lorsqu’elle vient travailler.

La relation de confiance, tôt établie entre « MBB » et Maurice Lévy, relève aussi du mythe. Le père fondateur de Publicis, séduit par le « tempérament de gagneur » de sa recrue, a raconté lui avoir prédit : « Jeune homme, un jour, vous dirigerez cette maison », une phrase qu’il a aussi dite à bien d’autres.

À son arrivée dans l’agence, en avril 1971, le « jeune homme » dirige d’abord l’informatique alors naissante. La même fonction qu’il occupait dans une filiale du groupe, Synergie. Pour lui qui n’appartient pas à X Mines ou à l’énarchie, ce n’était pas l’entrée par la grande porte dans un établissement convoité.

Dans une France d’ingénieurs, travailler dans la réclame n’est pas jugé très sérieux. Il n’a pas non plus pénétré le secteur par l’entrée des artistes, ou plutôt des « créatifs », comme on les désigne dans le milieu. Il n’en a jamais emprunté ni le style en polo au bureau ni le verbe provocateur.

Ce n’est en rien un « pubard », façon Séguéla. Maurice Lévy possède, en revanche, la capacité de travail, l’organisation et la mémoire des ordinateurs, dont il équipe Publicis, qu’il fera plus tard entrer dans l’ère numérique.

 

« Publicis, c’est jugé suffisamment prestigieux sur le CV »

Lui qui, enfant, rêvait d’être chirurgien pour sauver des vies, sauve ainsi au moins son agence. C’était en septembre 1972, lors d’un incendie ravageur.

Il eut le réflexe d’emporter les bandes informatiques sur lesquelles étaient enregistrés les noms des clients, contrats et autres indispensables renseignements pour redémarrer en quelques jours l’entreprise. Début de la légende et reconnaissance éternelle.

Aux commandes de Publicis depuis 1988, Maurice Lévy paraît lui-même éternel. À 69 ans, souriant, en pleine forme physique du haut de son mètre quatre-vint-dix, son mandat a été prolongé alors qu’il aurait dû quitter la présidence du groupe à la fin de l’année dernière.

« Il est plus motivé que jamais, témoigne Olivier Fleurot, dirigeant d’une filiale du groupe. Les résultats sont excellents, il n’y a plus de dette. Il peut aujourd’hui juste savourer tout ce qu’il a construit. » Les slogans, les spots, les affiches passent, Maurice Lévy reste. Il vient juste de hisser Jean-Yves Naouri à de plus larges responsabilités. Une façon de le mettre à l’épreuve.

Les autres salariés, eux, tournent davantage. « À l’embauche, la politique salariale n’est pas généreuse. Publicis, c’est jugé suffisamment prestigieux sur le CV », critique une ancienne jeune consultante du groupe, qui « admire Maurice, à la fois sphinx et accessible », mais regrette que « rien ne soit fait pour nous retenir ».

 

Une façon de « faire du bien, sans s’en prévaloir »

Pour retenir le patron, en revanche, une partie de son bonus depuis 2003 est mise de côté. Il la touchera seulement s’il ne part pas avant terme. Près de 12 millions d’euros sont en jeu. L’intéressé, qui juge son salaire fixe « bon et raisonnable », fait comprendre que sa rémunération, il ne l’aura pas volée.

« Cette maison, je l’ai développée par une action dans la durée », rappelle-t-il, faisant valoir quarante années de fidélité durant lesquelles il s’est donné sans compter de l’aube au soir. « Publicis, c’est ma deuxième famille », résume-t-il. Tout est dit.

Oui, confirme-t-il, il a renoncé l’an dernier à son bonus complet, mais n’entend surtout « pas faire la leçon » au reste du patronat français. L’homme déteste être prescripteur ou dénonciateur. À chacun d’agir selon sa conscience.

La sienne s’est forgée au sein de sa « première famille ». En particulier auprès de sa mère et de son grand-père, juif séfarade aisé vivant en Espagne. Une personnalité qui l’a ébloui. « Dans l’entrée de son hôtel particulier, mon grand-père laissait un plateau rempli de pesetas. N’importe qui pouvait entrer dans le patio se servir, sans éprouver l’humilité et la gêne d’être vu. »

Une façon de « faire du bien, sans s’en prévaloir », qui étonnait alors le petit-fils, mais dans laquelle aujourd’hui il se retrouve. « Mon grand-père mettait dans le plateau des petits sacs lors des fêtes », ajoute-t-il.

 

Maurice Lévy aime réunir sa famille

Ah, les fêtes : Pessah, Roch Hachana, Yom Kippour. Ce sont chaque fois, pour Maurice Lévy, autant de moments « d’abord de recueillement », puis de « temps bénis de partage ».

Et lorsqu’il voit dans son appartement parisien de Saint-Germain-des-Prés les nombreux convives attablés, ce sont « tous les souvenirs d’enfance qui remontent », raconte-t-il, comme en en retrouvant la saveur. Souvenirs de ces fêtes dans la maison du grand-père avec une cinquantaine d’invités.

Tel un patriarche rassemble sa tribu, Maurice Lévy aime aujourd’hui réunir sa famille, ses trois fils – Alain, Michaël et Stéphane –, leurs épouses et ses six petits-enfants, dans sa bastide près de Saint-Rémy-de-Provence, comme à l’occasion du prochain week-end de l’Ascension.

« J’aime le temps que je peux passer avec mes petits-enfants, mais je ne veux pas être un grand-père imposant et tiens à laisser libres les parents », confie-t-il. Son précieux temps libre, c’est avec son épouse qu’il le ménage. Il avait 20 ans lorsqu’ils se sont mariés.

Elle a vu son jeune informaticien de mari se construire en patron d’envergure mondiale, à l’aise comme chez lui au Forum de Davos, événement annuel que gère Publicis. Psychologue pour enfants de métier, elle est essentielle à son équilibre : « Ma femme me ramène aux réalités. Elle est mon fil à plomb. »

 

« Un homme bien, pas un homme de biens »

L’équilibre, Maurice Lévy le cultive aussi dans son rapport au judaïsme. Quelque part à mi-chemin entre « le juif assimilé et le juif orthodoxe ». « Je n’avais pas conscience de ma religion avant d’être traité de “sale juif” vers l’âge de 6 ans », se remémore-t-il, sans s’attarder sur cet épisode.

Sur l’étagère du bas de son bureau est exposée une vieille Bible noircie tirée des flammes de l’incendie de 1972. Elle trône au milieu des prix et trophées de sa carrière. Peut-être une façon de rappeler, avec l’Ecclésiaste, que « tout est vanité ».

Ou, autrement dit, qu’il faut « considérer le succès comme éphémère », selon la règle d’or que Maurice Lévy s’est fixée : « À Pessah (NDLR : la Pâque juive), on se remémore l’Exode, qu’on a été esclaves et qu’on erre sur la Terre. »

Une errance qui n’interdit pas des convictions et un cap. À la fin de l’entretien, Maurice Lévy retire des étagères deux colombes sculptées, l’une blanche, l’autre bleue, qui symbolisent la paix israélo-palestinienne, cause qui lui est chère.

Au fond, il n’aspire à rien d’autre qu’à l’idéal d’être un mentsch, selon le terme yiddish. « C’est-à-dire un honnête homme, un homme bien, pas un homme de biens », explique-t-il. Le plus beau compliment qu’il reçut dans sa vie fut justement ce mot de Shimon Peres, le qualifiant de good man.

 

« Publicis représente une partie du patrimoine français »

Un « homme bien » aussi pour son pays, ambitionne-t-il. Maurice Lévy est toujours resté sagement distant des politiques, à la différence d’un Jacques Séguéla. Mais il se reconnaît très volontiers patriote.

« Et le mot est faible. Partout je porte les couleurs de la France. Autrefois, à l’étranger, je devais passer dix minutes à présenter qui on était. Aujourd’hui, ce sont dix minutes gagnées. Publicis représente une partie du patrimoine français », estime-t-il, rappelant qu’il n’a jamais délocalisé ses services, ni le siège, des Champs-Élysées où « les clients aiment se rendre ».

S’il a eu l’audace de prononcer ses vœux pour 2011 en chinois, afin de signifier quel marché était prioritaire pour Publicis, si la langue de travail du groupe est inévitablement devenue l’anglais, le français reste de mise au conseil de surveillance, quitte à recourir à des interprètes.

« Maurice Lévy a réussi à construire un groupe reconnu mondialement dans un secteur, la publicité, dominé par les Anglo-Saxons, où la France n’était pas légitime comme elle peut l’être pour le luxe, observe Olivier Fleurot. Il met un point d’honneur à ce que Publicis figure au CAC 40. »

La présidence de l’Association française des entreprises privées (Afep), qu’il a prise l’an dernier, succédant à de grands capitaines d’industrie, est une autre consécration. Elle illustre combien la publicité joue désormais dans la cour des grands. La fierté de Maurice Lévy est d’avoir donné à ce métier ses lettres de noblesse, et à la France un champion.

Sebastien MAILLARD

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