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Pas un Etat, un bordel, par Omar Souss au Caire

Pas un Etat, un bordel (info # 011009/11) [Analyse]

Par Omar Souss au Caire © Metula News Agency

Hier, en fin d’après–midi, et durant presque toute la nuit, des émeutiers ont attaqué, envahi, et mis à sac l’ambassade d’Israël au Caire. Ils ont ensuite ramené le drapeau de la mission diplomatique et l’ont brûlé, ce, pour la seconde fois en l’espace de quelques semaines. Lors des affrontements avec les forces de l’ordre, plus de mille personnes ont été blessées, dont trois cents membres des forces de l’ordre. Quatre assaillants ont, par ailleurs, péri.

Les incidents que je viens de résumer sont particulièrement graves, une ambassade constituant une exterritorialité dans le pays où elle est implantée. En droit international, l’Egypte a ainsi violé le territoire israélien.

De plus, la sécurité des représentations diplomatiques incombe à l’Etat hôte, or, vendredi, l’armée et la police égyptiennes, je veux parler des unités d’élite de ces corps, se sont montrées totalement incapables de protéger un seul immeuble, en plein centre de notre capitale, dans le quartier central de Guizeh.

Face à face, hier, devant l’ambassade d’Israël

Qui plus est, la sécurité de l’ambassadeur Itzkhak Lévanon et de 70 membres du personnel israélien de l’ambassade a été sérieusement mise en danger. Les gardes hébreux, avec le concours de commandos égyptiens, les ont escortés, dès le début des heurts, vers l’aéroport international, où les attendait un avion militaire de leur pays afin de les ramener chez eux.

Pour six agents israéliens chargés de la sécurité de l’ambassade, restés sur place pour protéger son contenu, les choses ont failli moins bien se terminer ; ils ont été secourus par d’autres commandos, alors que les trublions se trouvaient déjà dans la réception des appartements, situés dans l’immeuble de vingt étages, qui accueillent l’ambassade. Nul doute qu’un drame humain encore plus épouvantable a été évité de justesse.

Tout avait commencé quelques heures plus tôt, quand une foule compacte s’était réunie sur la Place Tahrir, dans un autre quartier du Caire, à l’appel des Frères Musulmans et de la totalité des formations et associations politiques du pays, dont les représentants du courant ultra-nationaliste nassérien, en nette ascension ces derniers temps.

La journée avait été baptisée : "Vendredi de retour sur la bonne voie". Entendez, de retour au processus de révolte, initialisé voici sept mois, et neutralisé depuis plusieurs semaines par les autorités militaires. Les manifestants, que je suivais pour la Ména, protestaient contre le gel de la dynamique de démocratisation par la junte militaire, et, notamment, contre le fait que le Conseil Militaire Suprême n’ait toujours pas fixé de dates pour des élections générales et présidentielles.

Comme nous l’avions mentionné dans ces colonnes, il nous apparaît que les officiers au pouvoir ont abandonné l’intention de convoquer ces consultations, de même que celle, subséquente, de confier la direction du pays à des civils.

Il doit être observé, que si des élections avaient lieu cet automne, il ne fait aucun doute que c’est une coalition islamo-salafiste qui accèderait aux affaires, et ne manquerait pas de plonger le pays et la région toute entière dans une chienlit encore plus saillante qu’aujourd’hui, même si, à vue d’œil, cela semble inimaginable.

Autres doléances des protestataires, hier, l’interruption des procès intentés à des pillards et à des civils ayant eu recours à la violence durant les grands rassemblements précédents.

En fin d’après-midi, des meneurs islamistes et nassériens ont commencé à lancer des mots d’ordre parmi les manifestants. Simultanément aux slogans racistes traditionnels, "Mort aux Juifs !", "Mort à Israël !", "Expulsez l’ambassadeur !", on a entendu : "Tous à l’ambassade !".

Une grande partie des personnes présentes n’a pas répondu à ces appels et est rentrée chez elle. Cependant qu’une foule, que j’estime de cinq à sept mille individus (il s’agit d’une évaluation arbitraire, on ne m’a jamais appris à dénombrer un rassemblement) a répondu à l’appel. Il était évident que l’opération avait été dûment organisée, car de nombreux émeutiers étaient déjà munis de barres de fer, de masses, et d’autres objets, dont ils allaient se servir pour détruire la timide palissade, dressée devant l’ambassade après la première agression.

A ma grande surprise, il n’y avait aucun barrage de police entre la Place Tahrir et l’ambassade, ni pour les piétons, ni pour les véhicules. Autre constatation : quand les émeutiers, chauffés à blanc par les agitateurs, parvinrent à proximité de leur objectif, un cordon de policiers des forces spéciales était déployé devant la palissade. Mais dès que les premières bouteilles et les premières pierres furent lancées, les gendarmes se retirèrent sans réagir.

Plus tard, ils firent usage de grenades lacrymogènes, mais celles-ci furent de si mauvaise facture, ou si mal tirées, que les assaillants ne se mirent aucunement à pleurer. A partir de cet instant, les barbares s’employèrent, au contraire, à détruire la fluette séparation, faite de morceaux de tôle fixés à des poteaux, en toute quiétude et durant d’interminables minutes.

La barrière vola finalement en éclats, la foule s’engouffra dans l’immeuble et dans l’ambassade, sans, pratiquement, rencontrer la moindre résistance. Les gens, en délire, jetaient des documents confidentiels, des formulaires, et des pièces de mobilier par les fenêtres, sur leurs complices restés dans la rue.

Plus tard arrivèrent sur les lieux des renforts de l’armée, par les deux extrémités de la rue. Ces derniers ne tardèrent pas à ouvrir le feu sur la populace, tandis que celle-ci boutait le feu à de multiples véhicules qui aussitôt s’embrasèrent ; l’armée tira d’abord en l’air, puis dans les jambes, à coups de rafales d’armes automatiques, distribuées sans aucun discernement, mais en direction des membres inférieurs, ce qui explique le grand nombre de blessés – environ un émeutier sur cinq ou sur sept – et le petit nombre de morts.

Après mon départ, qui me fut ordonné, suite au début des tirs, par téléphone par le rédacteur en chef de la Ména, les deux camps continuèrent, des heures durant, à s’affronter, dans une intense violence. A noter que, dès le début de la confrontation, les forces de l’ordre disposaient de véhicules blindés, et même de chars d’assaut, aux abords de l’ambassade, dont elles n’ont pas fait usage. Ce, même lorsque les assaillants franchirent le seuil de la mission, mettant en péril la vie de ceux qui s’y trouvaient encore.

Les policiers et les militaires, que j’ai particulièrement observés et écoutés, se sont montrés, une nouvelle fois, affligeants par leur manque de prévoyance de ce qui allait survenir, leur inefficacité, et par le manque d’initiative de leurs officiers.

Au cas où la troupe aurait agi de manière coordonnée, la palissade serait restée en place, personne n’aurait violé un territoire étranger, et le nombre des blessés n’aurait pas dépassé cinquante ; d’autre part, personne n’aurait dû décéder lors d’une manifestation de ce genre. La violence est devenue incontrôlable, car personne de responsable ne se trouvait sur place pour la juguler de façon convaincante au début de l’évènement.

D’autre part, si en Turquie, le gouvernement s’en prend à Israël afin d’affaiblir les généraux de son armée, ici, ce sont les opposants à la junte au pouvoir, qui s’attaquent à Israël dans le but d’affaiblir le cabinet militaire. Dans les deux cas, on agresse les intérêts israéliens afin de sanctionner ses ennemis par ricochet.

Au Caire, ce sont les Frères Musulmans, soucieux de maintenir un pseudo-dialogue avec les militaires, assistés des nassériens, qui ont fait de l’ambassade de l’Etat hébreu leur cible principale, afin de dresser le sponsor américain contre ses protégés du Conseil Militaire Suprême. Ce, pour les islamistes, tout en évitant une altercation directe avec la junte, confrontation qui ne se situe pas, pour l’instant du moins, dans leur intérêt.

Simultanément, il est inconcevable, pour les islamistes en général, et les Frères, en particulier, sentant qu’ils disposent dans la population de la majorité requise pour s’emparer, démocratiquement, du pouvoir, de laisser les militaires en place, sans tenter de les en chasser d’une manière ou d’une autre.

Leur "manière", consiste à rendre Washington folle de rage et d’inquiétude, afin qu’elle exerce une pression grandissante sur Tantawi et ses camarades officiers. Une pression, on l’espère à la fratrie, qui finira par un divorce, un abandon de l’Egypte par l’Amérique, une cessation de l’aide financière, sans laquelle le Conseil Militaire Suprême a, approximativement, le poids politique d’un fétu de paille, et se verrait balayer par la rue en quelques heures.

Une tactique qui s’avère payante, au moins partiellement, puisque la Maison Blanche a "sommé" les autorités égyptiennes de protéger l’ambassade d’Israël, et l’a fait savoir à la presse. Le Président Obama et ses représentants usent de mots extrêmement durs dans leurs conversations avec les membres de la junte.

L’un d’eux m’a rapporté qu’il avait entendu un locuteur téléphonique de Washington dire au 1er ministre, Essam Sharaf, qu’ "un Etat qui se montre incapable d’assumer la protection des ambassades dont il a la charge n’est pas un Etat, mais un bo…el", le même, demandant "à quoi sert une armée d’un million d’hommes que nous payons, si elle n’est pas même capable de défendre un immeuble ?".

La Maison Blanche a, en outre, exigé du conseil militaire qu’il déclare l’état d’alerte et se convoque en séance de crise, hier au soir. Selon mes sources, les menaces les plus directes, accompagnées d’exigences précises fusaient en provenance des Etats-Unis. La crise est à ce point pointue, que des rumeurs courent, ce samedi, sur une possible démission, partielle ou en bloc du gouvernement intérimaire. Il pourrait cependant s’agir d’une sorte de contre-menace en direction des Américains, dont le message subliminal serait à peu près : "si nous ne vous convenons pas, nous nous en allons ; vous vous débrouillerez avec le chaos et les djihadistes !".

Le président US aurait donné une semaine "au maximum" à la junte "pour que M. Lévanon et ses collaborateurs retrouvent leur place au Caire, et que leur activité et leur présence soient convenablement protégées" ; le Président Obama a, d’autre part, proposé que des gardes américains viennent prêter main forte à notre armée, ce qui, au sein de notre état-major, a été ressenti comme un camouflet absolu. Absolu mais totalement mérité !

M. Obama a également eu une longue conversation téléphonique avec Benyamin Netanyahu, auquel il a assuré que Washington prenait toutes les mesures nécessaires pour que le gouvernement du Caire assume ses "obligations internationales et protège la sécurité de l’ambassade d’Israël".

D’autres chancelleries, européennes pour la plupart, à l’instar de celles d’Allemagne et d’Angleterre, ont fait connaître leur mécontentement à la junte, et ont également exigé de l’Egypte qu’elle protège efficacement les représentations diplomatiques sur son sol.

Je suis passé tout à l’heure, avant de rédiger cet article, devant l’ambassade. La plupart des rues qui y mènent sont libres, et il est possible de s’en approcher relativement près. Pour le reste, l’immeuble dans lequel elle est établie ressemble à une base armée fortifiée, protégée par une escouade de chars d’assaut.

On sait que le no.2 de l’ambassade, avec quelques proches collaborateurs, est demeuré à son poste pour assurer la liaison avec les autorités de notre pays. On ignore toutefois s’il se trouve dans ses bureaux habituels ; ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il est probablement la personne la plus protégée d’Egypte.

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