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Presse juive : L’Arche, une pause fatale ?

Presse juive : L’Arche, une pause fatale ?

 

Par Jos-Eduardo Pereira

 

Victime de l’érosion de son lectorat, L’Arche, « le mensuel du judaïsme français », a cessé de paraître en avril dernier. À sa place, un site internet et un trimestriel animés par une nouvelle équipe verront le jour au mois d’octobre. Mais pour certains familiers de cette revue chargée d’histoire, la perte paraît irréparable.

Autour de son bureau, les livres amoncelés en piles tortueuses ne semblent attendre qu’un geste maladroit pour s’effondrer. Dans quelques jours, quel­ques semaines tout au plus, Meïr Wain­trater aura quitté ses chers locaux de la rue Broca et, avec lui, s’effaceront ces souvenirs d’une époque révolue.

Une période de dix-huit ans durant laquelle il aura dirigé avec une inépuisable passion et une rigueur exemplaire la rédaction de L’Arche, un mensuel dont la communauté juive française a pu s’enor­gueillir jusqu’en avril dernier.

Malgré ses qualités indéniables, la revue, propriété du Fonds social juif unifié (FSJU), était depuis longtemps déficitaire. Alors qu’en 1993, elle pouvait se targuer d’une diffusion payante de 6 000 à 7 000 exemplaires, elle ne comptait plus au début de l’année 2011 que 2 900 abonnés pour 500 à 600 exemplaires vendus en kiosque.

Une diffusion bien trop faible pour les respon­sables du FSJU, au regard des 250 000 euros auxquels ses pertes an­nuelles étaient estimées. « Nous avons fait ce que nous avons pu pour redresser les ventes, assure Patrick Chasquès, directeur du marketing et de la communication du FSJU. Nous avons envoyé 845 000 e-mails en utilisant nos listes de diffusion, proposé des abonnements à tarif réduit. Mais nous n’avons gagné que quelques centaines d’abonnés. »

La crise économique n’ayant du reste pas épargné les Juifs de France, le FSJU, dont la vocation est de financer des projets à caractère social, éducatif ou culturel, se devait selon Patrick Chasquès de s’orienter vers un média moins coûteux. « Dans ce contexte, poursuit-il, le plus judicieux nous a semblé de passer à internet. »

MOBILISATION

Entérinant ce choix, le directeur général du FSJU, Jacques Bénichou, fait transmettre le 24 février 2011 par courrier électronique une lettre aux soixante-douze collaborateurs de L’Arche, informant ces derniers d’une « pause » imposée à la revue, le temps d’une « réflexion sur le rôle de ce média (…) son positionnement et sa ligne éditoriale ».

L’émotion est immédiate parmi les destinataires du courrier qui, entre les lignes de ce communiqué laconique, lisent l’arrêt de mort du journal.

Ceux-ci s’organisent, réclament des comptes, interpellent sans ménagement Pierre Besnainou, le président du FSJU, lors d’une réunion organisée le 7 mars à Paris. Ils accusent les responsables de l’institution de dissimuler leurs véritables desseins, d’ordre politique selon certains, refusent tous la substitution pure et simple d’un site internet à la revue mensuelle.

Le 15 mars, ils vont jusqu’à publier dans Libération une pétition signée par des intellectuels en vue comme Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner, André Glucks­mann, Didier Decoin, Claude Lanzmann ou le prix Nobel de Physique Claude Cohen-Tannoudji.

Dans le même temps, Alain Finkielkraut croise le fer avec Pierre Besnainou sur les ondes de la radio communautaire RCJ et, sur Facebook, un groupe baptisé « L’Arche ne doit pas mourir en mars » est créé, qui réunit bientôt plus de cinq cents lecteurs.

OUVERTURE

Les réactions sont à la mesure du poids symbolique et du rôle historique de la revue, née en janvier 1957. Alors que les traumatismes de la guerre avaient fait éclater une parole juive autrefois fédérée, L’Arche a fait office, d’emblée, de lieu de rassemblement.

Les cultures, les identités, les sensibilités juives les plus diverses, de gauche ou de droite, religieuses ou non, y ont trouvé un espace de représentation et d’expression sous les plumes de journalistes, d’universitaires, d’écrivains ou de rabbins.

En donnant voix à leur spécificité, la revue a même contribué à l’intégration des Juifs arrivés d’Afrique du Nord, dans les années soixante et soixante-dix.

Par ailleurs, attentifs à la situation proche-orientale et aux formes anciennes et nouvelles d’antisémitisme, les rédacteurs de L’Arche ont su également sortir de la sphère proprement juive pour s’intéresser à d’autres communautés, à d’au­tres expériences humai­nes. En témoignent le dossier sur les relations judéo-chrétiennes publié conjointement avec TC en avril 2002 et le numéro consacré aux génocides arménien et rwandais, paru en avril 2004.

C’est cette vocation et cette singularité que collaborateurs et lecteurs de L’Arche ont tenu à défendre face à une décision jugée aussi précipitée que peu justifiée.

S’avisant des conséquences de sa communication malhabile, la direction du FSJU, en même temps qu’elle a décidé de l’arrêt provisoire de la publication du magazine, a mis en place une commission de réflexion qui, à trois occasions, aura réuni autour de Patrick Chasquès des collaborateurs de L’Arche et des professionnels des médias.

REVUE TRIMESTRIELLE

Le 6 juillet, finalement, le comité directeur du FSJU adopte l’idée d’un site internet accompagné d’une revue trimestrielle. Le site, qui sera en ligne à partir du 3 octobre, proposera des articles d’analyse, des débats, des vidéos en lien avec l’actualité, un forum de discussion ainsi que des blogs, tenus par de jeunes plumes ou des intellectuels connus.

Le trimestriel, quant à lui, comportera une grande interview, un dossier central, des articles consacrés au judaïsme dans ses différentes composantes ainsi que des rubriques « France », « Israël », « Culture » et « Lifestyle », cette dernière conçue sur le modèle des pages « Sortir » de L’Express.

Le premier numéro, qui paraîtra à la fin du mois d’octobre, comptera 144 pages et sera tiré à 6 000 exemplaires. Selon Patrick Chasquès, qui assure désormais les fonctions de directeur de la publication, une trentaine d’anciens collaborateurs a déjà accepté de participer à cette entreprise, qui pourra compter sur le concours de personnalités de l’envergure du sociologue Michel Wieviorka ou de la philosophe Blandine Kriegel.

PÉRENNISER

Meïr Waintrater, lui, ne sera pas de la partie. « On ne m’a pas demandé de prendre part au nouveau projet et on a eu raison de ne pas le faire », confie l’ancien directeur, qui se définit comme un « homme de l’écrit » et n’a jamais conçu L’Arche autrement que comme une revue mensuelle.

Pour lui succéder, le choix de la direction du FSJU s’est porté sur Laurent-David Samama, membre du comité de rédaction de La Règle du Jeu, la revue de Bernard-Henri Lévy.

Âgé d’à peine vingt-quatre ans, au fait des nouveaux mo­des de communication, il incarne donc l’esprit que la direction du FSJU entend insuffler à la nouvelle formule. Sa mission sera de rajeunir et d’élargir le lectorat de L’Arche mais, assure-t-il, il compte bien préserver et pérenniser ce « lieu de rassemblement des Juifs de toute tendance » et espère, dès le premier numéro, rassurer ceux qui doutent encore de ses intentions.

DÉRIVE ?

L’écrivain Michèle Kahn, qui a pris part au groupe de réflexion mis en place par le FSJU, est de ceux qu’il aura à convaincre.

« Je crains, prévient-elle, que L’Arche perde l’éclectisme qui le caractérisait, que le lien soit rompu avec les abonnés, des personnes parfois âgées et extrêmement cultivées qui n’ont pas forcément accès à internet. Le risque est aussi de voir le titre sombrer dans une dérive « people », à l’ima­ge du mensuel Tribune Juive, qui avait été repris un temps par Pierre Besnainou et a fini par être mis en liquidation judiciaire, en mars dernier. »

Autre collaborateur de L’Arche, Raphaël Draï va plus loin en comparant la disparition du mensuel à un « attentat culturel contre la communauté ». L’universitaire accuse Pierre Besnainou d’avoir été « le fossoyeur de Tribune Juive » et de s’être comporté avec L’Arche comme « un prédateur », gérant le dossier de manière « autocratique et révoltante ».

« Sans ces deux titres, s’inquiète-t-il, quel espace reste-t-il aux Juifs de France pour s’exprimer librement ? » C’est peu dire, dans ces conditions, que le défi sera de taille pour la nouvelle équipe. Elle aura sur les épaules le poids de toute une histoire et, au moins en partie, la responsabilité d’un avenir pour la presse juive de France.

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