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Une question d’éthique sur le divan

Une question d’éthique sur le divan

 

 

 

 

Le psychiatre et romancier américain Irvin Yalom entrelace les époques et les vies du philosophe Baruch Spinoza et de l’idéologue nazi Alfred Rosenberg.

«Mes parents, juifs émigrés russes dans les années 1920 en Amérique, vivaient dans une petite communauté très fermée sur elle-même. Avec mes amis, nous faisions partie de la première génération née aux États-Unis. Nous voulions devenir américains. Nous, les enfants, disions que pour s’intégrer, nous avions deux options : devenir docteur ou échouer. »Irvin Yalom n’a pas échoué. Il est devenu médecin. Mais pas seulement. Marié depuis plus de cinquante ans à une universitaire féministe, ce père de quatre enfants est tout à la fois psychiatre, psychothérapeute, essayiste et romancier. Et raconte avec humour que « son enfance malheureuse a été un bon début ».Aujourd’hui, à bientôt 82 ans, dans son fief californien de Palo Alto, il continue de consulter « une dizaine d’heures par semaine » ; et surtout d’écrire. À l’occasion de la parution de son dernier roman, Le Problème Spinoza, et de La Malédiction du chat hongrois au Livre de Poche, Irvin Yalom a été invité à parler de son œuvre et de son approche thérapeutique lors d’une conférence organisée par le magazine Psychologies à Paris. Devant une soixantaine de ses pairs soignants, il a raconté pourquoi il ne s’est pas contenté de s’intégrer en guérissant les corps.

Il découvre d’abord dans les livres « les plus grands psychologues de tous les temps : Dostoïevski, Tolstoï… », et avec eux, les profondeurs de l’âme humaine. Dès sa première année de formation en psychiatrie, il observe qu’« on ne s’intéressait pas assez à la nature humaine et au sens de la vie ». Il prend des cours de philosophie à l’université, se plonge dans l’œuvre des grands penseurs, Heidegger, Nietzsche, Kierkegaard, Camus, et se penche sur la phénoménologie. Il prend alors conscience que la philosophie enrichit la thérapie. Le livre fondateur de son œuvre, Thérapie existentielle , paraît aux États-Unis en 1980. Il y développe son approche thérapeutique, dont la « colonne vertébrale » s’appuie sur « quatre préoccupations majeures : la mort, la liberté, la solitude et l’absence de sens à la vie ».

Pour ce psychiatre qui a travaillé pendant une dizaine d’années avec des patients en fin de vie et créé les premiers groupes de paroles pour les malades du cancer, il existe une certitude : « Ce qui rend l’idée de la mort encore plus douloureuse, c’est d’avoir le sentiment de ne pas avoir vécu sa vie comme on aurait voulu. » Éloigné de la traditionnelle « neutralité bienveillante » prônée par les psychanalystes, Irvin Yalom s’engage, dialogue, conseille, parfois se dévoile et surtout s’interroge en permanence sur sa relation avec son patient. Un thème qu’il développe aussi largement dans ses romans brillants et captivants, dans lesquels la relation thérapeutique n’est jamais loin.

Son premier succès en France, paru en 2005 sera La Méthode Schopenhauer. Il y met en scène un célèbre psychiatre de San Francisco, apprenant qu’il n’a plus que quelques mois à vivre.

Suivront notamment aux Éditions Galaade, Mensonges sur le divan , Et Nietzsche a pleuré et Dans le secret des miroirs , journal à deux mains écrit avec l’une de ses patientes.

Il le reconnaît volontiers, son dernier roman Le Problème Spinoza a été « difficile à écrire » : « Il m’a demandé des recherches historiques à la fois sur le XVIIe de Baruch Spinoza et la première moitié du XXe siècle d’Alfred Rosenberg. » Irvin Yalom explore avec brio le cheminement du père de L’Éthique, issu d’une famille juive portugaise ayant fui l’Inquisition, excommunié en 1656 par la communauté juive d’Amsterdam, banni de sa propre famille, et dont l’œuvre ébranle les convictions antisémites d’Alfred Rosenberg, l’idéologue nazi. Parallèlement, l’auteur s’intéresse à la personnalité de ce compagnon de la première heure de Hitler qui sera condamné à mort par le tribunal de Nuremberg.

Le « problème Spinoza » est le suivant : « Rosenberg déteste les juifs, mais adore le poète allemand Goethe qui lui-même considère Spinoza comme un génie. Comment est-ce possible ? » Le rythme soutenu du récit, la vivacité des dialogues, l’érudition d’Irvin Yalom, la plongée dans la société néerlandaise du XVIIe siècle et les grands bouleversements de l’Europe du XXe font de cet ouvrage un véritable régal.

Certes, l’auteur prend des libertés avec l’Histoire – il s’agit avant tout d’un roman – et nombre de ses personnages sont fictifs : c’est notamment le cas du « thérapeute » de Rosenberg confronté à un terrible dilemme : « Doit-il guérir son patient pour lequel il n’a que mépris, et prendre ainsi le risque qu’il devienne un nazi plus efficace ? », interroge Irvin Yalom. Derrière le romancier, cherchez le thérapeute… il n’est jamais loin. Et c’est savoureux.

MARIE AUFFRET-PERICONE

 

LE PROBLÈME SPINOZAIrvin Yalom Édition Galaade , 656 pages , 24.4 € acheter

LE PROBLÈME SPINOZA
d’Irvin Yalom
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sylvette Gleize
Édition Galaade, 656 p., 24,40 €

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