La cyberguerre contre l’Iran
ANALYSE – Tous les coups sont permis dans ce combat où il n’y a pas de distinction entre cibles militaires et civiles.
Par Marc Henry
Toutes les lignes ont été franchies, une nouvelle guerre a commencé»: ce constat inquiétant a été dressé par le général Ygal Unna. Le directeur général du cyberdirectorat national d’Israël est bien placé pour le savoir. Son rôle est précisément de mener un combat à l’arme informatique contre le programme nucléaire iranien et d’établir une muraille défensive pour mettre en échec les attaques iraniennes sur ce même front.
Cette mission se révèle de plus en plus difficile. Tous les coups sont permis dans ce combat où il n’y a pas de distinction entre cibles militaires et civiles. L’agresseur peut provoquer une paralysie générale aussi bien des forces armées que de toute la vie quotidienne et économique d’un État.
Pour le moment, Israël semble avoir une longueur d’avance. Parmi les hauts faits d’armes qui sont attribués notamment à sa célèbre unité 8200, pépinière de soldats informaticiens, figurent pas moins de cinq opérations menées en quinze ans contre le réacteur nucléaire de Natanz, au sud de Téhéran. La dernière de ces tentatives en date remonte à avril, lorsque le système électrique de l’assemblage des centrifugeuses utilisées pour enrichir l’uranium a été saboté. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, avait alors accusé Israël et reconnu que l’attaque avait provoqué de gros dégâts.
Israël, qui accuse la République islamique de vouloir se doter de l’arme nucléaire pour raser l’État hébreu de la carte, n’en était pas à un coup d’essai. En 2010, un ver informatique surnommé Stuxnet avait déjà provoqué la mise à la casse d’un millier de centrifugeuses à Natanz. L’opération, surnommée «Jeux olympiques», avait été menée, selon des sources étrangères, par l’unité 8200 et l’Agence nationale de sécurité américaine (la NSA). Le sabotage était passé inaperçu pendant plusieurs années, ce qui avait semé la zizanie parmi les responsables iraniens entre militaires, responsables politiques et scientifiques qui s’accusaient mutuellement d’incompétence avant que le pot aux roses soit finalement découvert.
Détail important: Israël n’a jamais revendiqué officiellement ce genre d’action au nom d’une politique dite de «l’ambiguïté». La cyberguerre a la particularité d’être en général menée masquée bien que tous les protagonistes finissent toujours par savoir d’où est venue l’agression.
Pour des raisons tactiques, Israël ne souhaite pas claironner ses succès ce qui n’aurait pas manqué d’humilier publiquement les Iraniens et de les contraindre à réagir ouvertement pour des raisons de prestige. Mais sous Benyamin Netanyahou, l’ancien premier ministre, les «fuites» sur l’implication d’Israël dans des missions censées rester secrètes se sont multipliées au point que Benny Gantz, le ministre de la Défense, a annoncé l’ouverture d’une enquête sur l’origine de ces «fuites» qui n’a rien donné pour le moment.
Mais la cyberguerre ne vise pas seulement les cibles militaires et les Iraniens ne se contentent pas d’encaisser les coups qui leur sont assénés. L’an dernier, une attaque informatique originaire d’Iran a visé une partie du système de distribution d’eau en Israël. L’opération visait à augmenter à des doses dangereuses la teneur en chlore. L’attaque a toutefois été repérée et déjouée à temps.
La réplique ne s’est pas fait attendre. Les systèmes informatiques des installations du port iranien de Bandar Abbas sont subitement tombés en panne, provoquant pendant plusieurs jours un véritable chaos et des encombrements monstres. Hasard du calendrier: quelques semaines après cet «incident», des militaires de l’unité 8200 ont reçu des félicitations officielles sans que soient précisées les raisons de cette distinction exceptionnelle.
Pour parer au pire, le cyberdirectorat israélien a également organisé un exercice l’an dernier afin de se préparer à une «cyber-catastrophe» surnommée la «peste». L’objectif était de tester les défenses face à un logiciel malveillant particulièrement virulent qui aurait attaqué pendant deux jours 40.000 entreprises. Un chiffre qui donne l’idée de l’ampleur de la menace. Le général Unna a récemment estimé que la cyberguerre «peut être comparée à l’arme nucléaire du point de vue de la capacité de destruction. Mais la facilité avec laquelle elle peut être accessible l’assimile plutôt à l’arc et à la flèche».