Maroc: c'est la stabilité... dans la contestation !
Le 1er juillet, le référendum a été largement adopté au Maroc. Dans ce contexte, les manifestations continuent, et Fatima-Zahra Mansouri, maire de Marrakech, a démissionné de ses fonctions.
C’est l’heure. L’heure bénie où le vent du soir commence à aérer tendrement la fournaise de Marrakech. L’heure où la manif quotidienne vient prendre le frais, sur l’esplanade, devant la porte Bâb Doukkala, l’une des entrées de la médina. Quelques voitures de police se positionnent discrètement. Les représentants de l’ordre sont aussi habitués à cet épisode qu’ épuisés par les 43 degrés qui ont calciné la ville ocre depuis le matin. Et oui, quelques jours après le référendum sur la réforme constitutionnelle, salué dans toutes les capitales occidentales comme une victoire de la « révolution tranquille » de Mohammed VI, la contestation continue au Maroc. Le « Oui », voté à 98% avec une participation de 73%, ne serait en réalité qu’un « Oui mais… » comme le titre l’audacieux hebdomadaire « Tel Quel ». L’unique journal survivant d’une presse qui se crut libre jusqu’à ce que le Palais, ulcéré par ses impertinences, fasse assécher ses budgets publicitaires et l’étouffe d’amendes pour diffamation. Quel étrange objet, cette démocratie marocaine que la nouvelle constitution proposée par le roi promet de faire chatoyer comme un bijou de mariée du Tafilalet...
Ce soir, la centaine de manifestants qui déploie ses banderoles à Bab Doukkala en veut encore plus : de la démocratie mais surtout du travail, et des sanctions contre la corruption. Ce soir, ils sont de gauche, demain soir ce seront peut-être des islamistes. Ceux qui portent un tee-shirt orné d’une ampoule : les militants du « parti de la lampe » destiné à ramener la lumière morale et sociale, le Parti de la Justice et du Développement.
De la fenêtre du siège du parti, on a une vue imprenable sur le ballet des flics épuisés, assez clairsemés il faut bien le dire, et des manifestants regonflés. Ahmed Mossadeq sourit malicieusement à ce spectacle. C’est le secrétaire provincial du PJD, un ingénieur en physique nucléaire qui a fait ses études à Grenoble et enseigne à l’université de Marrakech. « Tout le monde manifeste, maintenant c’est normal, c’est le printemps arabe qui nous en a donné l’envie et l’habitude… » résume-t-il. Le référendum a-t-il sonné la fin de la récréation, neutralisé et presque anéanti le « mouvement du 20 février », fer de lance des manifestations des quatre derniers mois, comme l’espèrent et l’affirment les admirateurs de Mohammed VI, au Maroc comme loin du royaume, et tout spécialement à Paris ? Des applaudissements de Nicolas Sarkozy aux louanges de Dominique de Villepin ( « le Maroc est le modèle d’une transition pacifique par le peuple et par les urnes ») l’encensoir de la république a aspergé le monarque alaouite de compliments à la fleur d’oranger.
Oui, mais… « le mouvement du 20 février continue puisque tout le monde en fait partie » poursuit tranquillement Mossadeq, qui est aussi l’un des 9 conseillers islamistes de la mairie de Marrakech, en charge du secteur de la médina. « Même moi, je marche avec eux ! » complète-t-il. Pourtant son parti a refusé de boycotter le référendum, contrairement aux consignes du « 20 février ». « C’est qu’il y a deux hommes en moi, confie l’élu du « parti de la lampe ». En tant que Marocain de base, j’étais dans la rue avec les jeunes contestataires. Mais en tant que responsable local, j’ai respecté le choix du parti qui a appelé à se rendre aux urnes. Au fond, ce sont les deux visages de notre Maroc. D’un côté, nous avons absolument besoin de changement : c’est le printemps arabe qui a donné un coup d’arrêt à la tentative de mettre en place un parti unique avec la haute main sur les organisations politiques, les préfets, l’administration… » Le parti unique ? Le PAM, le « Parti Authenticité Modernité ». Une pure création royale, un concept bricolé par son ami d’enfance et de lycée Fouad Ali el Himma. Il tétanisait la vie politique depuis quelques années. « De l’autre côté, reprend le secrétaire du PJD, le Maroc est travaillé par tellement de contradictions que nous avons absolument besoin d’un arbitre : le roi. Mais il faut aussi continuer à revendiquer…»
Les islamistes légaux, dont la base est donc descendue dans la rue, n’ont pas aimé y retrouver les islamistes illégaux mais tolérés du mouvement Adl Wal Ihssane, Justice et Spiritualité, du vieux cheikh Abdessalam Yassine et de sa fille Nadia. Pas plus que les militants d’extrême-gauche du Parti Socialiste Unifié, le PSU. Ni les jeunes laïcs qui ne défilaient pas tout à fait pour le même avenir. Néanmoins, cette union bigarrée a fait la force. Et le roi a fait mine de céder.
Démission de Fatima-Zahra Mansouri, maire de Marrakech
Mais que sera la démocratie invoquée avec solennité si un plan à long terme ne vient pas très vite poser le socle d’un Etat juste ? A Marrakech, les poches d’extrême misère frôlent et côtoient le bling bling, la prostitution enfantine défraie la chronique, dénoncée sans effets depuis des années par l’association « Touche pas à mon enfant » jusqu’à ce que Luc Ferry sème ses rumeurs et ses humeurs. La corruption bat tous les records, avec son lot de bakchichs venus engraisser les pontes de l’administration, enrichis sans remords par le boom immobilier et touristique de la dernière décennie. C’est cette plaie que dénoncent inlassablement les pancartes des manifestants du mouvement du 20 février.
Mais ils ne sont pas si seuls !
Alors que ces travailleurs en colère rentraient chez eux, dans la nuit d’été profonde et miraculeusement fraiche que les Marrakchis prennent pour le jour, on apprenait qu’une des femmes les plus emblématiques du royaume, Fatima-Zahra Mansouri, maire de Marrakech depuis 2009 sous l’étiquette du fameux Parti « Authenticité Modernité », démissionnait de ses fonctions. Lasse, paraît-il, de n’être qu’un pion sur l’échiquier de ce parti marocain qui aspirait tant à être unique en court-circuitant les oppositions. Où l’on voit que les fleurs du printemps arabe peuvent éclore même dans le climat étouffant des protégés du sérail.
Martine Gozlan