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La belle Sinclair et la bête DSK

Journaliste à succès, élégante, Anne Sinclair a épousé un coureur de jupon, aujourd'hui accusé de tentative de viol. Pourquoi l'ancienne présentatrice de TF1 soutient-elle autant DSK ? Le magazine américain Newsweek y va de son hypothèse.

Joan Juliet Buck | 

© AFP

 

Anne Sinclair était aussi impeccable que Barbara Walters [célèbre présentatrice de la chaîne de télévision américaine ABC], aussi pulpeuse que Diane Sawyer [ABC News] et aussi autoritaire qu'elles deux. Pendant 13 ans, de 1984 à 1997, elle a présenté sur TF1 l'émission 7 sur 7, où elle recevait un invité de marque pour commenter l'actualité de la semaine. Avec ses cheveux noirs bouclés, ses yeux bleus, sa pâleur et ses rondeurs avenantes, elle dégageait une aura de sexualité apaisée.

Pour l'écran elle portait une collection étonnamment variée de pulls en mohair bleus électriques. Petite-fille du marchand d'art Paul Rosenberg, représentant de Picasso, elle s’imposait comme une héritière riche, belle et brillante. Sa judaïté a parfois été évoquée de façon sournoise et grossière : le Front national a ainsi parlé d'elle comme d'une "pulpeuse charcutière casher*". Mais elle était la plus étincelante des étoiles de la télévision française. Elle était en quelque sorte l'Oprah Winfrey des hommes français : une femme issue d'une minorité, intelligente, à la poitrine opulente, qui les comprenait et pouvait les rendre célèbres.

Dominique Strauss-Kahn, un jeune économiste, voulait la rencontrer depuis des années. En 1989, il était l'invité mystère de l'une de ses émissions. Quoique mariée, elle a succombé à son charme en quelques jours. Il lui a parlé de son enfance au Maroc, à Agadir, et des quatre enfants qu'il avait eus de ses deux précédents mariages. Elle-même avait deux enfants. Il l’a informée qu'il couchait à droite et à gauche, qu'il était un "incorrigible coureur de jupons". Selon les versions, elle lui aurait répondu soit "c'est mon problème, pas le tien" soit "je te changerai". Ils se sont mariés en novembre 1991. Pendant plusieurs années, à chaque fois qu'un ami mentionnait les penchants de son mari pendant un repas, elle jetait sa serviette sur la table et sortait de la pièce [selon ce qu’en raconte la journaliste Laure Adler, depuis brouillée avec Anne Sinclair].

Strauss-Kahn a d'abord été connu comme "Monsieur Sinclair". Lorsqu'il a été nommé ministre des Finances et de l'Industrie en 1997, Anne a fait ses adieux au petit écran pour éviter de possibles conflits d'intérêts et pris un emploi administratif au sein de la chaîne. Elle a acheté un riad à Marrakech, où se retrouvent les membres de l'élite française, et quitté TF1 en 2001. Quand Strauss-Kahn a été nommé à la tête du FMI, il était considéré comme l'un des économistes les plus brillants de la planète. Il allait se porter candidat aux présidentielles en France. Les sondages montraient que 65% des Français le voulaient comme président et Anne Sinclair était deux fois plus populaire que Carla Bruni-Sarkozy. Ils auraient été le premier couple juif à l'Elysée, une "revanche", comme l'ont dit certains, "sur l'affaire Dreyfus".

Anne Sinclair est trop influente et trop intelligente pour être une victime, mais son comportement irréprochable laisse perplexe des deux côtés de l'Atlantique. Sa meilleure amie, Elisabeth Badinter, a publiquement rejeté l'idée que la fidélité soit un élément important du mariage. N'empêche, commente une femme de la haute société française, "si elle voulait qu'il soit président, il fallait qu'elle le mette sous tranquillisants".Mais on ne peut comprendre Anne Sinclair sans tenir compte du fait que la France est une société très sexualisée, où même repousser des avances obéit à des règles et rituels. Les jeunes femmes savent jouer le jeu de ce que l'on appelle "la séduction*", les journalistes couchent avec des hommes importants parce que c'est marrant et parce que comme ça, disent-elles, les sources sont contentes. "Je me le suis fait", racontent beaucoup d'entre elles, "histoire de m'amuser un peu". Les Françaises savent comment repousser les avances en plaisantant ou en giflant de façon métaphorique. Le droit de cuissage*, ou droit de déflorer les vierges, était une prérogative des seigneurs et l'est toujours. Trousser une domestique a un nom en français : on parle d'amours ancillaires*.

Ce qui s'est passé dans la suite 2008 a souvent provoqué la même hilarité que les pièces de Feydeau, où le maître besogne la servante entre deux portes pendant que sa maîtresse l'attend dans une chambre et son épouse dans une autre. [l'envers du décor, c'est que] seul l'homme prend du bon temps : dans les usines et les stations-service, les secrétaires font plaisir à leur patron pour garder leur travail. En France, les femmes n'ont pas eu le droit d'ouvrir un compte en banque avant 1943, ni de voter avant 1944. L'avortement a été légalisé en 1975, mais il a fallu pour cela que 343 femmes – dont Jeanne Moreau, Simone de Beauvoir et Catherine Deneuve – disent dans Le Nouvel observateur qu'elles y avaient eu recours. Leur texte a été baptisé Le Manifeste des 343 salopes. Le mot salope est souvent utilisé au lit par les hommes français pour exciter leur partenaire ou s'exciter eux-mêmes. Et aussi pour désigner ce que nous appelons aux Etats-Unis une pute.

Catherine Millet, dont le livre La Vie sexuelle de Catherine M., paru en 2001 [Ed. du Seuil], détaille le goût de l'auteur pour les orgies, cite le marquis de Sade et Casanova comme les fondateurs du comportement sexuel des Français. Elle trouve DSK brutal, lourd et macho, mais cela ne l'empêche pas d'être brillant, déclare-t-elle. Pour ce qui est des faits, en l'espèce une fellation, ou du moins le "'contact du pénis avec la bouche' – pour reprendre les termes de l'acte d'accusation – [une femme] méchante et hardie l'aurait mordu là où ça fait très mal." Tant que "l'homme en rut" n'est pas armé, poursuit-elle, il est vulnérable.

Dans Point de vue Images du Monde, un magazine habituellement monarchiste, le psychanalyste Jacques-Alain Miller a rappelé que lorsqu'une autre infidélité de DSK a été rendue publique en 2008, Anne Sinclair avait écrit dans son blog : "Nous nous aimons autant qu'au premier jour". "Si ses propos fleur bleue semblent étranges dans ce contexte scabreux, faut-il pour autant suspecter leur sincérité ? Ils affichent plutôt une disjonction de l'amour et de la jouissance sexuelle qui rappelle la fameuse doctrine du couple Sartre-Beauvoir, distinguant leur ‘amour nécessaire’ des ‘amours contingentes […] L'épouse d'un homme à femmes ne reste pas à ses côtés en dépit de ses infidélités, mais en raison de celles-ci. Elle est orgueilleuse de la puissance phallique du conjoint."

Cette histoire fera-t-elle changer les choses pour les femmes en France ? Les féministes ont surfé sur la vague de l'empathie et ont été accueillies avec hostilité. Mais une grenade a été lancée, et l'onde de choc n'a pas fini de se propager. Un psychanalyste freudien dit avoir vu au fil des semaines de plus en plus de patientes se souvenir spontanément d'épisodes de violence sexuelle qu'elles avaient subis. Le secrétaire d'Etat George Tron, qui avait coutume de proposer à ses secrétaires des séances de réflexologie qui finissaient en rapports sexuels, a dû quitter le gouvernement. C'est la guerre entre le marquis de Sade et Simone de Beauvoir. Et Denis Olivennes, le patron de Paris Match, du Journal du dimanche et d'Europe 1 de conclure : "En France, tout finit en concept".

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