Herbert Pagani, un prince d'or riant…
Herbert Pagani, un prince d'or riant…
Herbert Pagani est décédé le 16 août 1988, à l'hôpital West Palm Beach deMiami, en Floride, d'une leucémie foudroyante. Il repose dans un cimetière à la périphérie de Tel-Aviv.Italien né en Lybie, français par attirance, juif par vocation, saltimbanque par élégance, il n'a eu de cesse de rentrer en révolte, de partager son amour, de donner à entendre, à percevoir, à émouvoir.En ce jour anniversaire (en dates civiles) de son décès, il n'est pas inutile de ramener ce personnage hors du commun dans la lumière.
Herbert Avraham Haggiag Pagani, dit Herbert Pagani, est né le 25 avril 1944 à Tripoli dans une famille juive libyenne. Destin hors du commun d'un homme qui n'aura jamais rien fait comme tout le monde, le regard toujours en éveil et caressant la lumière. Il était dessinateur, peintre, compositeur, auteur de chansons et interprète, poète, écrivain, comédien, journaliste et chroniqueur à la radio. De ses origines italiennes et libyennes, il a en toutes circonstances conservé la chaleur méditerranéenne, et transporté avec lui le sable du désert et les scories du Vésuve. "Fils du printemps et d'une juive, En pleine nuit, j'ai vu le jour, Tu étais bleue, j'étais olive, Entre nous deux ce fut l'amour."[1]Il fit connaitre au public transalpin Brel, Ferré, Piaf, Barbara, Mouloudji, et bien d'autres chanteurs français qui faisaient partie de son monde. Il célébra ainsi cette France qu'il aimait tant, celle du "vieux père Hugo", des poètes, des peintres enchantés. Mais fort de ce double envoûtement, c'est aux français qu'il chanta l'Italie. "Concerto d'Italie" est son premier disque, paru en 1971. Il débute ainsi:" Dring, dring… sonnerie du téléphone.- Allo?- Vous avez demandé à être réveillé!- Ah oui, par vous. Mon nom est Herbert Pagani, et le vôtre?- Il est sept heures, répond sèchement la standardiste."Herbert Pagani, dès lors resta toujours en éveil. Il chanta les travailleurs immigrés, la violence, la sècheresse de sa terre "rouge orange", les enfants qui quittent la maison, les hommes méditerranéens et leurs errances. Il chanta aussi la Venise des palais qui se désagrègent, des touristes, des faux-semblants, des ordures et des dorures, de l'amour, des "seins gonflés des cathédrales". Ces chansons sont éruptives, chaleureuses, pleines de lucidité et de désamour, mais aussi d'embrasements amoureux, de lyrisme. L'année suivante, en 1972, il proposa "Mégalopolis", une œuvre ambitieuse, une sorte de conte philosophique, visionnaire, éclairé, d'ordre apocalyptique, qui énonçait les échéances proposées à la terre, et prônait la fuite pour tout préalable à une reconstruction, qui, nécessairement, devait faire suite à la destruction du monde réel. Cette vision était indissociable de celle du judaïsme qui commençait à poindre dans les chansons d'Herbert Pagani. Les prophéties des sages d'Israël nous renvoient à de telles descriptions, à de tels bouleversements, à des déluges de feu et de flammes. Il énonçait, mais il dénonçait aussi le gigantisme, la bestialité, la soumission, la vassalité, la complaisance. Herbert "aboie toutes les nuits ses sérénades" devant les gratte-ciels écrasés de solitude. Il évoque la drogue, les travers humains vus par les yeux d'un chauffeur de taxi, les soldats, les guerres, la ville tentaculaire, ses tapis-roulants, ses rues encombrées, ses entreprises, le dieu argent, les sociétés, et tous ceux qui s'affranchissent, en puisant dans Marx ou Jésus leurs slogans de club Med'. Mais il magnifie aussi l'amour, le désir, la frivolité, l'espérance. Il se construit son "Arche de Noé", son "Chez-nous" qui sent "la soupe et le bébé dormant", son ilot de résistance et fuit la désolation, l'apocalypse. Il suit le vol de la colombe et prépare le "Printemps d'après la fin du monde". La voix d'Herbert Pagani prononce alors les mots du "Chema Israël", avec recueillement et émotion. En 1975 son disque "Les années de la rage et les heures de l'amour", œuvre emblématique, entame avec ferveur le parcours profondément juif d'Herbert. La chanson "l'étoile d'or" fera le tour du monde. Elle décrit par ellipses le destin du peuple juif, ses pérégrinations, ses souffrances, et l'implacabilité de ceux qui le traquent encore, alors qu'il est de retour sur sa terre. Sur les pochettes de disque il arbore souvent son étoile de David, comme une référence, comme un slogan, comme un aveu."Le temps de tracer un sillon,
Un coup de feu à l'horizon.
Il bascula dans la poussière.
Du sang par terre et, sur son front,
Une étoile d'or"
"Cet homme partageait son temps Entre son Dieu et ses enfants,
Entre son champ et ses prières
Et n'avait qu'un petit trésor :
Une étoile d'or..."
"Le temps de tracer un sillon,
Un coup de feu à l'horizon.
Il bascula dans la poussière.
Du sang par terre et, sur son front,
Une étoile d'or"
Le 11 novembre 1975, au micro d'Europe N°1, il proclama le "plaidoyer pour ma terre", en réaction à l'adoption par l'ONU d'une résolution assimilant le sionisme à une forme de racisme. Ce plaidoyer sert depuis de drapeau, de réponse, d'affirmation de soi à des milliers de juifs sur toute la planète bleue. Sa rigueur, ses analyses, sa profession de foi, feront l'admiration de tous. Il renvoie ainsi l'image détériorée de son peuple à d'autres espaces vides:"Remettre en question, voir plus loin, changer le monde pour changer de destin, tel fut le destin de mes Ancêtres…la religion, la culture, l'idéal révolutionnaire d'un côté, les portefeuilles et les banques de l'autre, sont les seules valeurs transportables, les seules patries possibles pour ceux qui n'ont pas de patrie. Et maintenant qu'il en existe une, l'antisémitisme renaît de ses cendres...- pardon, de nos cendres -et s'appelle antisionisme. Il s'appliquait aux individus, il s'applique à une nation…Israël est un ghetto, Jérusalem, c'est Varsovie...Les nazis qui nous assiègent parlent l'arabe…ce fut l'Inquisition, les bûchers et plus tard les étoiles jaunes. Auschwitz n'est qu'un exemple industriel de génocide, mais il y a eu des génocides artisanaux par milliers…Je ne veux plus être adopté.
Je ne veux plus que ma vie dépende de l'humeur de mes propriétaires. Je ne veux plus être un citoyen-locataire.
J'en ai assez de frapper aux portes de l'Histoire et d'attendre qu'on me dise : "Entrez." Je rentre et je gueule ! Je suis chez moi sur terre et sur terre j'ai ma terre : elle m'a été promise, elle sera maintenue. Qu'est ce que le Sionisme? Ça se réduit à une simple phrase :"L'an prochain à Jérusalem." …À ceux qui me disent : "Et les Palestiniens ?", je réponds : "Je suis un Palestinien d'il y a 2000 ans. Je suis l'opprimé le plus vieux du monde."… Descartes avait tort : je pense donc je suis, ça ne veut rien dire. Nous, ça fait 5000 ans qu'on pense, et nous n'existons toujours pas.Je me défends, donc je suis."Tout est dit, et cette prise de position nous honore. La même année paraitra le disque "peintures", où se retrouvent tous les thèmes chers à Herbert Pagani: l'amour, les histoires d'enfance, les déchirures ("Moi ma vie, c'est comme un hall de gare, plein de colis perdus de rendez-vous qu'on manque"), les couleurs de l'automne, les teintes de l'existence, la palette de toutes les émotions, le racisme, l'injustice: "Tu commences à comprendre pourquoi je m'inquiète, quand je vois le mépris qu'ont parfois tes enfants, pour les noirs, les arabes, les juifs, les gitans, qui n'ont pas le talent, de passer pour poètes". Cet écorché juif sanctifie la vie, la remercie: "Merci l'existence, pour les bruits du monde…". Il sublime l'amitié:"C’est plus fort que les liens de famille, Et c’est moins compliqué que l’amour. Et c’est là quand t’es rond comme une bille, Et c’est là quand tu cries au secours…C’est la banque de toutes les tendresses, C’est une arme pour tous les combats. Ca réchauffe, et ça donne du courage, Et ça n’a qu’un slogan : « On partage. »Mais Herbert est fatigué. Il est lassé des tournées, des routes qu'il sillonne, des tours de chant. Il fuit "Paris, capitale-poubelle", et il "fuit les affiches qui l'engueulent en couleurs". Il se fuit lui-même et cherche à s'extraire de cette vie exposée qui l'insupporte. Il ne veut plus se retrouver happé par la solitude, au sortir de ses spectacles, traversant des couloirs froids, avec sur les épaules son "vieux pull d'arlequin". Il se remet à peindre, retourne dans sa ville, à Milan, quitte son appartement de la rue Caulaincourt, et se réhabitue à des plaisirs discrets, intenses. Il collecte des matériaux sur le sable des plages, il court pieds nus dans l'eau, et emplit des valises de feuilles Canson, recouvre ses toiles de peintures criardes, et se met à écrire. Il publiera "Préhistoire d'amour" (Editions Robert Laffont). Il retrouve la sérénité et l'envie de faire, de chanter, de transmettre, et se prépare à revenir sur scène. Mais, il est victime d'une maladie qui ne lui laissera pas le temps d'entrevoir un deuxième départ. Il est enterré là où il en avait émis le désir, en terre d'Israël, celle qui lui brûlait "les yeux, et le cœur, et la tête", celle qui dansait sur les bords de la mer méditerranée qu'il chérissait, " Petit mouchoir tout bleu parmi les lauriers roses, [vsw id="i4meJle3rQw" source="youtube" width="425" height="344" autoplay="no"]
Bleu comme une ecchymose après un long baiser..".Il était brun, ardent, exubérant. Il disait:"c'est dans l'huile d'olive que je cuis mes chansons, et je parle des mains, et j'adore ma mère…" Il aimait "les applaudissements qui chauffent aussi fort qu'un soleil d'Italie". Il était juif par amour et par filiation: "On n'est pas danois et je crois que ça se voit. C'est les vitamines de nos pays d'origine".La dernière chanson de son dernier disque est prophétique: "Ce n'est qu'un au-revoir"."Ce n'est qu'un au-revoir, mes frères, ce n'est qu'un au-revoir. Couvrez-vous bien, car le vent de l'hiver, est un voyou qui vous cherche bagarre…On applaudit…tous ces artistes qui bossent derrière, et vous disent comme moi, à bientôt…"A bientôt Herbert…Yaacov ben Denoun "Yarcov"
[1] Chanson "Méditerranée"