Refaire sa vie : interview de Richard Attias
Il n'y a pas d'âge pour s'installer à l'étranger.
Seules conditions réellement nécessaires : avoir le goût de l'ailleurs et une âme d'entrepreneur.
Né au Maroc, organisateur du Forum de Davos, en Suisse, durant plus de dix ans, en transit à Dubai pendant un an, et établi à New York depuis deux ans, l'homme de communication Richard Attias est aussi un expatrié heureux.
Il y a trois ans, vous quittiez la France avec Cécilia, votre épouse, pour vous expatrier à Dubai. Qu'est-ce qui vous a motivés?
Je sentais déjà que la France n'était pas une destination unique pour nous. J'étais pessimiste sur la santé globale de l'Europe. Or les budgets de communication sont les premiers sur la liste en cas de réduction des dépenses.
Vous sentiez-vous prêt?
Quelques langues pour naviguer, une connaissance de l'étranger... Si ces deux conditions sont réunies, le reste est plus facile. J'ai eu la chance d'avoir une activité professionnelle qui m'a beaucoup fait voyager.
Le fait d'être né au Maroc a-t-il facilité le chemin de votre expatriation?
C'est un point essentiel. Quand vous êtes né à l'étranger, vous vous sentez citoyen du monde.
Dubai il y a trois ans, New York depuis deux ans. Comment avez-vous choisi ces ports d'attache?
Quand vous changez de lieu de vie, vous essayez de trouver une forme de continuité entre l'endroit que vous quittez et celui que vous choisissez. Même si j'ai une grande capacité d'adaptation, je ne suis pas de ceux qui font un virage à 180 degrés sans filet. Il peut toujours arriver que la greffe ne prenne pas.
Voyager n'est pas s'expatrier. Quelle est la différence?
Voyager, c'est aller à la rencontre de cultures. S'expatrier, c'est se demander où l'on veut s'installer. C'est un choix de société, qui n'est pas seulement personnel, mais familial.
Vous n'êtes restés qu'un an à Dubai. Pourquoi?
Parce que, même si la décision d'y aller avait été prise de façon unanime par la famille, la greffe n'a pas pris ni du côté de mon épouse, ni de mon beau-fils. Il est difficile d'exister en tant que femme indépendante à Dubai. Comme de vivre dans un pays où il fait 40 degrés.
Quelle leçon en avez-vous tiré?
Qu'une expatriation ne se réussit que s'il y a une perspective d'épanouissement pour chaque membre de la famille. A New York, tout le monde est heureux. Nous avons trouvé des repères et un mode de vie qui nous correspondent. D'ailleurs, notre tribu s'est peu à peu rapprochée. J'ai un gendre qui fait un MBA à Harvard, une bellefille qui entame une deuxième carrière dans la finance internationale. Quant à ma fille, après avoir décroché un bac brillamment, elle a estimé, après une semaine de prépa HEC, que le système français n'était pas pour elle. Elle étudie au Canada.
Comment vous êtes-vous décidé pour New York?
En ingénieur pragmatique, j'ai procédé par élimination. J'ai envisagé le Brésil, mais je ne parle pas le portugais. L'Afrique n'offrait pas de perspectives de développement permanent. L'Asie aurait été opportune pour le business, mais complexe au quotidien. J'adore Shanghai, mais c'est trop loin. On ne peut pas trop s'isoler de sa famille.
La famille revient souvent dans vos propos...
Il ne faut pas être égoïste dans son expatriation. Il faut réfléchir à des destinations où vous ne tirez pas un trait sur tout et sur tous.
Finalement, votre short list a vite fondu...
Très vite. Cécilia et moi avons pris notre décision en 2009, au moment où l'économie était au tapis. Nous avons fait le pari que l'économie redémarrerait, en tout cas à l'ouest, par les Etats-Unis. Nous avons fait Dubai-New York sans transit.
En termes professionnels, êtes-vous heureux?
En deux ans, j'ai développé plus de relations à New York qu'en vingt ans de vie professionnelle. Il y a en permanence dans cette ville des rendez-vous qui rassemblent le monde entier, tels que l'assemblée générale des Nations unies ou la Clinton Global Initiative. Je suis impressionné par la résilience de New York. Que ce soit après le 11 septembre 2001 ou la crise financière, cette ville reste toujours debout.
Vous avez créé votre propre forum, le New York Forum. Signe que vous êtes là pour longtemps?
Pour se donner des chances à l'expatriation, il faut ancrer son bateau. "Il faut savoir poser ses bagages", m'a dit Cécilia. Elle avait raison. Le Forum m'a fait rencontrer des communautés nouvelles: des jeunes entrepreneurs, des Chinois, des Africains et surtout les Américains qui bougent peu, de grandes personnalités plus accessibles sur leur terre qu'à l'extérieur.
Déjà deux éditions à votre actif. Bilan?
Très positif. La communauté new-yorkaise a apprécié de voir que l'étranger que j'étais investissait dans sa ville alors que tout le monde regardait vers l'Asie. Cela m'a également permis d'inventer un forum d'un genre nouveau, qui s'engage dans l'action et les solutions. Je viens de transmettre nos propositions sur l'emploi au G 20.
Votre façon de travailler a-t-elle changé?
Totalement. En tant qu'entrepreneur, vous optimisez votre outil de travail en temps réel. Vous pouvez recruter en une heure, mais aussi être quitté en une heure. Cela encourage la performance car personne ne se sent en situation acquise. La culture du résultat est partout. Enfi n, il n'est pas tabou de travailler de chez soi ou de dire: "Je ne viens pas aujourd'hui car j'ai la remise du diplôme de ma fille mais on fera une conference call ce week-end." Cette souplesse est d'une efficacité extraordinaire.
Personnellement, cela vous a-t-il boosté?
Ca m'a fatigué! J'ai, pour la première fois de ma vie, l'impression que les journées de douze heures n'en font que trois. Je ne le sentais pas en Europe. Les New-Yorkais réussissent un équilibre que je commence à peine à trouver. Sport, boulot, famille. Central Park à 6 heures, 7 h 45 au travail jusqu'à 17 heures, puis place à la famille. Je cherche encore une place pour le sport!
Avez-vous changé?
Oui. J'y ai gagné une énorme ouverture d'esprit. Cécilia a aussi créé sa fondation au service des femmes et, à travers elle, j'ai découvert la puissance d'engagement des Américains dans ce qu'ils appellent le charity.
Est-ce que tout le monde s'expatriera un jour, selon vous?
C'est une évolution sociétale lourde. Dans dix ans, l'expatriation fera partie d'une vie normale.
Par Anne Tézenas du Montcel