Essaouira, le temps d'une ville
Maroc. Douceur océane, décor de carte postale, histoire romanesque et richesse culturelle : difficile de ne pas succomber aux charmes de l'ancienne Mogador.
Pour l'arrivant, Essaouira c'est d'abord une carte postale imparable, celle d'une ville fortifiée battue par les vents et les vagues de l'Atlantique. C'est aussi une cité à l'histoire compliquée et aux identités multiples : portugaise, arabo-andalouse, berbère et africaine. Changée mais pas encore bouleversée par le tourisme, Essaouira, anciennement Mogador avant l'indépendance de 1956, demeure encore une destination aussi apaisante qu'attirante.
Derrière les remparts, à l'intérieur de la médina, la quiétude laisse place au bouillonnement urbain. Là, sur ces 470 hectares de murs blancs et de volets bleus, vivent environ 60.000 habitants, soit deux tiers de la population d'Essaouira.
Depuis 2001, le périmètre est classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Comme ailleurs en Afrique du Nord, la vieille ville est le théâtre d'une intense activité commerçante : marchands de fruits et légumes, d'épices, boucheries, épiceries, restaurants de poissons grillés… Les enfants courent partout, les ânes portent des charges de poids lourds et les chats sans propriétaires se nourrissent de ce qu'ils trouvent. Ici, beaucoup d'hommes portent des djellabas à capuche ; les femmes restent plutôt couvertes, y compris sur les plages environnantes.
Dans un autre temps, Essaouira fut une grande ville juive. Au XIXe siècle, ceux-ci étaient plus nombreux que les musulmans. Aujourd'hui, ils ne seraient plus qu'une quarantaine. Leur départ brutal culmina après la guerre des Six jours lorsque, en 1967, le jeune Etat d'Israël attaqua « préventivement » ses voisins arabes. Un demi-siècle plus tard, le quartier juif - le Mellah - existe encore. Par son dense réseau d'impasses et de ruelles, son architecture se distingue encore facilement des deux autres quartiers de la médina : la casbah - l'ancien lieu de résidence des autorités - et la médina. Enfin, le cimetière juif, situé à la sortie de la ville, reste un endroit étrange et émouvant : plantées à pic devant l'océan, les tombes y sont enchevêtrées sans aucune cohérence apparente, gravées et ornées de mystérieuses figurines.
« La bien dessinée »
Une fois sur le port, les prières et sons du muezzin qui rythment le cœur de la médina laissent place aux cris des mouettes et des cormorans. Eux filent en bande au-dessus des bateaux de pêche dont les chaluts regorgent de sardines. A Essaouira, les ressources de la mer restent essentielles : environ 4.000 familles vivent, souvent avec des boulots de journaliers, de la pêche. Le plan de la ville actuelle fut conçu au XVIIIe siècle par Théodore Cornut, cet architecte français qui s'inspira de… Saint-Malo pour réaliser cet imposant chantier. Un succès jamais démenti pour cet ami de Vauban puisque Essaouira est aujourd'hui jumelée avec la cité bretonne !
Second hommage tout aussi explicite au travail de Cornut : l'étymologie de Essaouira,
Es Saouira, signifie « la bien dessinée ».
Face aux canons, meurtrières, tours de garde et remparts, posé à un kilomètre de la rive en plein océan, un gros caillou attire le regard. Ce site, qui fut à l'origine une prison construite par des opposants au roi, est désormais une réserve naturelle classée et inaccessible au public. A chaque mois d'octobre, les 340 couples de faucons qui y ont élu domicile s'envolent vers Madagascar pour revenir aux premiers jours du printemps.
Aux alentours de la zone fortifiée s'étendent ensuite des kilomètres de plages - parfois d'une propreté toute relative - et de dunes. Les vagues sont fortes et la baignade parfois rendue dangereuse par les courants. Le lieu attire aujourd'hui les amateurs de surf, kitesurf et planche à voile. Les moins téméraires trouveront leur bonheur en flânant, à pied, sur un chameau ou un cheval tandis que les plus sociables iront se mêler aux locaux pour taper dans un ballon et recenser les innombrables maillots floqués aux noms de Leo Messi et Christiano Ronado, symboles d'une époque en mondovision. En ces lieux, douceur et paix demeurent atemporelles. Loin de la fournaise de Marrakech, le taros, nom berbère du vent côtier, tempère le climat et rend agréable Essaouira toute l'année. Quelques kilomètres plus loin, à l'intérieur des terres, autour des vignobles du Val d'Argan, la végétation s'appauvrit, signe que l'air chaud et étouffant a déjà repris ses droits.
Passé hippie
L'habitat, lui, s'éparpille. A trois kilomètres par la plage émerge le petit village de Diabat. Un peu à l'écart, perdu dans la végétation, un bâtiment tombe en ruines. C'est pourtant là que Jimi Hendrix aurait passé une nuit à l'été 69, avant de filer à Woodstock. Ce passage éclair, coincé au beau milieu d'un séjour express à Marrakech, continue d'alimenter conversations et légendes. Aucune photo n'atteste officiellement du passage dans ces murs du génial gaucher. Une chose est sûre : au crépuscule des sixties, Essaouira connut une intense époque hippie. Egalité, amour libre, corps exhibés et LSD ont eu ici aussi leur heure de gloire. Paul Mc Cartney, Cat Stevens, Led Zeppelin et bien d'autres seraient venus vérifier la douceur de l'air et du kif local.
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A Diabat, la donne a bien changé. Aujourd'hui se déploient les engins de chantier qui bâtissent un vaste complexe hôtelier et résidentiel haut de gamme. 580 hectares paradisiaques pour un investissement de plus de cinq milliards d'euros lancé depuis 2001, année où un plan étatique a choisi de repositionner le tourisme balnéaire en tête des atouts du royaume. A terme, le « Domaine de Mogador » proposera 5.000 lits, sept hameaux de villas « aux ambiances végétales différentes » et deux parcours de golf de trente-six trous dessinés par Gary Player, légende de ce jeu. Ici, on cultive au quotidien l'idée d'un tourisme durable tendance bling-bling, basée sur les jardins filtrants et le respect de la faune. Les premières villas mises en vente coûtaient entre… 450.000 et 1.000.000 d'euros.
L'addition paraîtra salée, à l'aune des prix en vigueur ailleurs, mais reste très douce si l'on compare aux prix français, tout cela dans un environnement de très grand luxe. Bien sûr, les premières résidences mises en vente sont parties comme des petits pains. 75 % de leurs heureux propriétaires sont européens.
Dans la médina, l'immobilier flambe aussi. Loin du fantôme de Jimi Hendrix et de son aura romanesque, Essaouira, symbole d'un pays en pleine mutation où cohabitent tradition et désirs d'émancipation, change désormais au rythme imposé par le tourisme industriel et mondialisé. C'est-à-dire, comparé aux autres siècles, à toute berzingue.
Mathieu Livoreil