Le Maroc confronte son passé juif à travers le cinéma
L’image du Juif et de l’Israélien dans trois films marocains
Conférence de l’historien Yigal Bin-Nun à la Cinémathèque de Tel Aviv dans le cadre du programme sur l’image du Juif au cinéma dans les pays musulmans organisé par Orly Rahimian.
La conférence et les projections auront lieu le 25 janvier 2011 à 19.00h
Dans la seconde moitié du XXe siècle le cinéma marocain s’est penché sur son passé juif à travers trois films : Marock de Laila Marrakchi (2005), Oùvas tu Moshe de Hassan Bejelloun (2007) et Adieu mères de Mohamed Ismail (2008).
Le premier film, Marock, réalisépar une femme, s’attaque à un tabou jusque là jamais évoqué, celui d’un lien amoureux entre une lycéenne musulmane et un Juif. C’est aussi l’histoire de la haute bourgeoisie marocaine des quartiers riches de Casablanca, loin de la misère du quartier Hay Mouhammadi, où s’affrontent d’un coté le rejet des restrictions religieuses et de l’autre un renouveau islamique qui touche aussi les jeunes diplomés. Dans cette situation sociale au bord de l’explosion vient se greffer une histoire d’amour de jeunesse, à priori banale, qui secoue les interdits et les tabous sexuels et communautaires.
Le deuxième film, Où vas tu Moshé, se passe en 1963. Des centaines de milliers de Juifs marocains, décident de quitter leur terre natale pour immigrer en Israël. Quand Mustapha, le gérant du seul bar de la petite ville de Bejjad, apprend que tous les Juifs partent, il panique. Si tous les non-musulmans quittent la ville, il sera forcé de fermer le bar car la vente d’alcool aux musulmans est interdite. Le film ose aborder cette question sensible , dans une période de montée de l'extrémisme religieux.
Le troisième film, Adieu mères, relate l’histoire de deux familles, l’une juive, l’autre musulmane que le destin a cruellement séparées dans les années soixante, suite au départ de la famille juive pour Israël.Le film retranscrit de façon assez fidèle la réalité historique du naufrage du bateau Egoz.
Les deux derniers films retracent, chacun à sa manière, le départ des Juifs au début des années soixante. C’est à travers un regard mêlé de compassion et de regret que les réalisateurs traitent de la fraternité judéo-musulmane que certains événements sociaux politiques sont venus interrompre. C’est aussi avec beaucoup de chagrin que les familles juives se sont séparées de leurs voisins ou associés musulmans. C’est aussi sans amertume de ces nouveaux citoyens israéliens, français ou canadiens se remémorent leur passé.
Dans ces deux films, les réalisateurs ont réussi à nous faire revivre de façon assez juste aussi bien les départs clandestins (Adieu mères) que les départs effectués après l’accord historique du début aout 1961, entre le roi Hassan II et les autorités israéliennes, malgré les mythes qui ont alimenté ces départs. En effet, bien que la rumeur propagée à l’époque disait que «Hassan II avait vendu les Juifs marocain pour du blé américain» il s’avère que c’est plutôt le trésor israélien qui a payé entre 50 et 250 dollars «per capita» pour le départ d’environ 97 000 Juifs marocains. En tout, le gouvernement israélien a versé aux autorités marocaines presque 30 millions de dollars pour l’évacuation des Juifs du Maroc entre le 28 novembre 1961 et la fin de l’année 1966.
Bien que l’image de l’émissaire israélien soit un peu caricaturée dans ces deux films, les réalisateurs marocains ont compris que ces départs constituaient pour les Juifs une possibilité d’ascension sociale et culturelle que le Maroc avait des difficultés à promettre à sa minorité non musulmane. Ce n’est pas un hasard si les mouvements de contestation culturelle Imazighen brandissent souvent l’élément historique juif pour lutter contre une hégémonie arabe au profit d’un pluri-ethnisme qui ne ferait que valoriser leurs revendications.
Les raisons pour lesquelles la masse juive au Maroc a décidé de quitter le Maroc sont diverses. Cependant, elles ont toutes un rapport avec les appréhensions concernant un avenir confiant dans le nouveau Maroc. Ce pays, sorti du colonialisme, avait de tout temps une longue tradition où l’islam constituait le noyau de sa civilisation. Se posait ainsi d’emblée un problème d’incompatibilité avec l’éventuelle possibilité d’intégrer individuellement les Juifs dans la nouvelle société. Malgré les innombrables déclarations d’apaisement, la classe dirigeante marocaine était relativement consciente de cette incompatibilité, que les pays laïques en Europe occidentale avaient tenté de résoudre avec un certain succès.
À la question capitale pourquoi les Juifs ont quitté le Maroc, nous constatons une cause immédiate qui serait : « la psychose » de départ qui s’est emparé de la communauté. De plus, étant donné que dans la période évoquée, l'émigration s'est effectuée dans une atmosphère de discrétion et de secret, personne ne pouvait évaluer convenablement son ampleur. Les médias ne publiant pas de données sur ce sujet si délicat, chacun a alimenté son imagination de ce qu’il pouvait observer autour de lui et de ce qu’il était capable d’en déduire. Dans l'imaginaire juif de l’époque, le rythme de l'émigration a atteint des proportions telles que chacun pensaitque tous ses proches et amis avaient déjà quitté le Maroc et qu'il était un des derniers à n’avoir pas encore pris en main son destin. En outre, ceux qui n'avaient pas encore quitté le pays savaient pertinemment que tôt ou tard, ils seraient astreints àle faire.
Yigal Bin-Nun, Université de Tel Aviv, historien et théoricien de l’art