Lettre ouverte d’un Juif de France au président de la République (et à ceux qui aspirent à le devenir), par Michael Boumendil
La fusillade de Toulouse a profondément touché la France, et sa communauté juive en particulier. Les Juifs de France ont peur du regain d'antisémitisme dans le pays et demande des gages à la classe politique.
Je n’ai pas dormi cette nuit. Je n’y suis pas arrivé. La tragédie de Toulouse fait ressurgir en moi des angoisses que je pensais éteintes. Les angoisses que tous les petits Juifs ont un jour connues, quand on leur a parlé de leur histoire, et qui prennent une forme différente ce soir.
Monsieur le Président,
J’ai besoin de vous. Pour mes enfants, ma femme, pour mes parents, pour ceux qui m’entourent comme pour moi, j’ai besoin de vous. J'ai besoin que vous m’aidiez, non pas à comprendre la tragédie de Toulouse, mais à répondre à deux questions simples que ce drame soulève en moi et qui me torturent.
A Paris, la plupart des écoles accrochent dans leur entrée un panneau qui rappelle que près de 11 000 enfants ont été conduits dans les camps de la mort parce qu’ils étaient nés Juifs. Peu importe leur religion, les parents qui accompagnent leurs enfants chaque jour à l’école évitent soigneusement de poser leur regard sur ce panneau noir. Les parents d’enfants juifs, plus que les autres, savent que pour vivre heureux, il ne faut pas trop remuer un passé pas si éloigné et qui les renvoient à l’indicible. Un jour mon fils m’a demandé ce qu’était ce panneau, pourquoi il était triste et noir. Je n’ai pas eu le courage de tout lui expliquer. Je lui ai simplement dit que des gens méchants avait fait beaucoup de mal à des enfants, mais que ces gens étaient partis pour toujours. Bien sûr, il m’a demandé pourquoi on leur avait fait du mal. Ce sont des gens méchants. Et les gens méchants n’ont pas besoin de bonnes raisons pour faire des méchantes choses, lui ai-je répondu.
Il m’a demandé s’il était vrai que ces petits enfants étaient Juifs. Je n’ai pas eu le courage de mentir. Alors, j’ai dit oui, mais je lui ai dit que ces gens-là, ces méchants n’existaient plus et qu’en France, on ne permettait plus de faire du mal aux petits enfants juifs, ni à aucun petit enfant. Bien sûr, ce soir, je sais la différence. J’essaye de garder ce discernement qui doit me conduire à comprendre cette évidence que Toulouse, ce n’est pas le retour de Vichy, mais les images se télescopent. Des enfants que l’on prend d’une école pour les mettre à mort. Je vous demande de m’en excuser.
Monsieur le Président, que vais-je dire à mon fils et à ses deux petites sœurs ? Ce soir, je me sens démuni. Ce n’est pas mon rôle d’être démuni, ce n’est pas ce que des petits enfants attendent de leur papa. Alors, aidez-moi à leur expliquer Toulouse.
Je suis un enfant de la République, je suis né Français, tout comme chacun de mes parents et chacun de mes grands-parents. Je me sens très Français. Au risque d’utiliser un mot que ma génération connait mal et que les plus jeunes encore trouvent ringard ou suspect, je me sens patriote. J’aime la France, sa terre et sa culture. Ses églises sont les miennes – quoi qu’en pensent certains. Sa gastronomie m’enchante, casher ou souvent pas - heureusement. Il se trouve que je suis Juif. Je suis Juif comme d’autres sont Bretons, Corses ou Auvergnats, Juif mais français. Français mais Juif. Je lie mon destin à celui de mon pays. Ce fut peut-être le fruit du hasard, mais c’est surtout mon choix, celui d’embrasser cette terre et d’y accomplir mon destin et mon devoir. Etre Juif, je n’en tire ni orgueil ni honte. Je ne m’en cache pas. Je n’ai pas non plus besoin de porter cette part de mon identité comme un étendard à la vue de tous. Je sais ce que je dois à la France. Mes grands-parents et mes parents aussi. Ils me l’ont enseigné. A chaque génération, à force de travail, de courage et de détermination, grâce à ce pays, avec ses gens, sa république, les gens de ma famille ont gravi quelques barreaux de l’échelle sociale – mais il y a toujours eu un mais. Ma grand-mère disait ce que mon père me dit encore : « N’oublie pas d’où tu viens. Tu es un Juif, et si un jour tu l’oublies, gare à toi, les autres te le rappelleront, et ce jour là... » Je l’avais un peu oublié jusqu’à ce soir.
Ce soir je réalise que les enfants juifs de France vivent dans des écoles barricadées, sous surveillance vidéo, ce soir je réalise que ma femme ne veut plus que je porte l’étoile de David par crainte que l’on m’agresse. Ce soir, je réalise que depuis longtemps, lorsque je vois un enfant juif portant la kippa, je ressens une indicible angoisse. Ce soir, je réalise qu’en nommant l’une de mes filles d’un prénom juif, j’ai peut-être manqué de prudence. Ne vous trompez pas sur mes intentions, je ne suis pas une victime, je ne courbe pas l’échine. Je ne me plains pas. Je n’attends pas que l’on me cajole. Ce soir, je bâtis mon avenir, celui des miens, et il est entre mes mains. Pour le bâtir sereinement, avec bonheur malgré les circonstances, je veux y voir clair. C’est pour cela que je vous demande de l’aide.
Monsieur le Président, la France aime-t-elle ses Juifs ? Je ne veux pas qu’elle les tolère, je ne veux pas qu’elle les accepte. Je veux qu’elle les aime. Et vous le savez-sans doute, l’amour, ça n’existe que par les preuves que l’on produit. Je voudrais tellement que vous, le premier des Français, puissiez m’en faire une brillante démonstration. Pouvez-vous le faire ?
Comme les Chtis, les Corses, les Picards, les Bretons, les Auvergnats, les Vendéens, les Normands, les Antillais, les Alsaciens et tous les autres, que je respecte et que j’aime parce qu’ils font la France, son génie, son ressort créatif, son caractère et son histoire, je voudrais que la France disent à ses Juifs qu’elle les aime. Ni plus, ni moins. Y croyez-vous vous-mêmes ?
Je vous prie d’agréer, Monsieur le président de la République, l’expression de ma très haute considération.