Les mots clés du second tour : immigration et sécurité (info # 012404/12) [Analyse]
Par Sébastien Castellion © Metula News Agency
Je n'ai pas encore vu expliciter, dans la presse française, la contradiction pourtant évidente entre les deux principales leçons que l'on veut tirer du premier tour.
La première leçon est que François Hollande apparaît, selon tous les sondages, comme le favori du second tour, avec une avance moyenne de quatre à cinq points. "Flamby", comme l'appellent depuis longtemps ses amis socialistes, a confirmé sa position de probable prochain président de la République française.
La deuxième leçon est l'apparition, totalement imprévue par les sondeurs, d'une "vague brune" parmi les électeurs populaires et les jeunes - comme une couche de caramel inattendue autour du Flamby. Marine Le Pen a obtenu plus de voix que son parti d'extrême-droite, le Front national, n'en avait jamais reçues dans son histoire. Les sondeurs n'ont à peu près rien vu venir : il y a quelques jours, ils plaçaient encore celle qui est soudain devenue l'incontournable troisième homme de la politique française nettement derrière le tribun de l'extrême-gauche, Jean-Luc Mélenchon.
C'est là, cependant, que quelque chose cloche. Les mêmes sondages qui donnent aujourd'hui une avance de quatre à cinq points à François Hollande voyaient Jean-Luc Mélenchon autour de 15 pour cent et Marine Le Pen autour de 13 pour cent. Or le premier a finalement fait 11 pour cent et la seconde 18, soit une erreur de... quatre à cinq points.
En se trompant massivement sur les scores des troisième et quatrième candidats, les sondeurs ont commis une autre bévue de plus grande conséquence : ils ont mal évalué le poids respectif des deux grands blocs de gauche et de droite dans l'opinion française.
Cette erreur ne portait pas sur les électeurs modérés des deux blocs : Hollande et Sarkozy se retrouvent presque exactement là où les plaçait la moyenne des sondages. Il y a eu, en revanche, des erreurs importantes et systématiques sur les électeurs plus radicaux. Nos instituts ont manifestement plus de mal à compter ces électeurs et à les convaincre de déclarer leurs vraies intentions.
Or, ces électeurs radicaux iront - ou pas - voter au deuxième tour, le 6 mai. Cette fois, ils n'auront pas d'autre choix qu'entre Sarkozy, Hollande et l'abstention. Et ils représentent environ un tiers des votants. Si les sondages sont incapables de prédire leur comportement, ils sont aussi, nécessairement, incapables de prédire le résultat du deuxième tour.
Plutôt que de commenter des sondages de deuxième tour qui viennent de démontrer leur inanité, mieux vaut se concentrer sur les chiffres réels, sortis des urnes.
Avec une participation élevée (presque 80 %), le total des voix de droite, de l'extrême droite et du centre représente plus de 55% de la population. Si Sarkozy, Bayrou et Mme Le Pen pouvaient passer un accord de coalition, la réélection du président serait à peu près garantie.
Un tel accord, cependant, est totalement impossible. Marine Le Pen fera tout ce qu'elle pourra pour faire perdre Sarkozy : elle espère devenir le véritable chef de l'opposition sous un prochain gouvernement socialiste.
Bayrou, lui, pourrait éventuellement être convaincu de rallier Sarkozy s'il obtient un prix politique important pour ce ralliement (des circonscriptions pour son parti et le poste de Premier ministre, par exemple). Mais c'est loin d'être certain ; et en tout état de cause, il n'apporterait que 9 % des voix tout au plus, un chiffre insuffisant pour l'emporter.
Cela dit, ni M. Bayrou ni Mme Le Pen ne sont propriétaires des voix qui se sont portées sur eux au premier tour. Leurs calculs politiques ne seront qu'un facteur assez secondaire dans les décisions que prendront leurs électeurs au second tour.
La gauche, qui n'avait pas vu venir le bon score de Mme Le Pen et s'était presque persuadée qu'elle devenait (avec l'extrême-gauche) majoritaire dans l'opinion, est manifestement choquée du résultat malgré les sondages qui continuent à la favoriser. Elle cherche à convaincre l'opinion que c'est Nicolas Sarkozy qui, parce qu'il aurait repris les thèmes de l'extrême-droite, serait responsable de la montée de Mme Le Pen dans les urnes.
La vérité, cependant, est exactement inverse. C'est parce que Sarkozy a abandonné les thèmes lepénistes, et non parce qu'il les aurait promus, que Mme Le Pen est montée si haut.
En 2007, Nicolas Sarkozy était arrivé en tête du second tour - et l'extrême-droite y avait fait un résultat historiquement bas - après une campagne dans laquelle l'actuel président avait repris à son compte les thèmes favoris des électeurs lepénistes : sécurité, et, de manière à peine dissimulée, immigration.
En 2012, il a préféré parler de lutte contre le capitalisme financier, de sortie de Schengen et de condamnation de la Banque Centrale Européenne. Il ne faut donc pas s'étonner que ceux des électeurs qui voulaient protester contre l'immigration et l'insécurité aient changé de crèmerie.
Pour penser le contraire, il faudrait émettre l'hypothèse que le vote d'extrême-droite – ou, pour être plus précis, le vote sécuritaire et anti-immigrés - n'existe que parce que les élites parlent de ces sujets, et non parce qu'ils correspondent à une angoisse réelle. Si cette hypothèse était vraie, il faudrait en conclure qu'en cessant de parler de ces sujets, les électeurs rentreront dans le rang.
La seule difficulté avec cette hypothèse, c'est que Mme Le Pen a obtenu son score après une campagne dans laquelle les thèmes de l'immigration et de l'insécurité ont été soigneusement évités par tous les autres candidats. Encore maintenant, les media et les autres hommes politiques continuent à nous assener que le vote Le Pen est, euh, un vote de "révolte face à la crise". Bonne chance avec cette tactique d'euphémismes et de dissimulations : elle vient de montrer à quel point elle était "efficace".
Le vote Le Pen n'est pas un vote de révolte face à la crise. Certes, Mme Le Pen tient volontiers un discours anticapitaliste ; mais cela ne la distingue en rien de tous les autres candidats sans exception, de Sarkozy à Mélenchon. Ce qui fait la spécificité de Mme Le Pen, c'est qu'elle en appelle au sentiment anti-immigrés, antimusulmans, anti-profiteurs des systèmes de redistribution, anti-voyous. Voilà le seul fonds de commerce qui la différencie des autres candidats. Et cela ne semble pas trop mal lui réussir.
Aujourd'hui, les électeurs lepénistes tiennent la clef du second tour. Qu'ils se reportent vers Sarkozy à 60%, avec 20% pour Hollande et 20% d'abstentionnistes, et Hollande a gagné (je fais l'hypothèse d'un report parfait des petits candidats et d'un report de 70% du vote Bayrou vers Sarkozy et 30 % vers Hollande, sans abstention). Qu'ils se reportent vers Sarkozy à 80%, avec 10% pour Hollande et 10% d'abstentionnistes, et Sarkozy gagne.
Il est donc à peu près certain, qu'au cours des deux prochaines semaines, le président cherchera à retrouver la confiance des électeurs lepénistes, qu'il avait obtenue en 2007 et qu'il a perdue depuis. Il le fera avec l'habileté qui le caractérise, pour ne pas effrayer les plus modérés de ses propres électeurs et ne pas perdre la perspective d'un ralliement de la majorité des électeurs de Bayrou. Mais il le fera aussi avec assez de clarté pour que les électeurs de Mme Le Pen n'aient pas de difficulté à comprendre le message qui leur sera adressé. Nous pouvons nous attendre, au cours des deux prochaines semaines, à des rééditions assez soutenues des scènes de 2007 sur les "voyous" et le "Karcher".
Sarkozy peut-il, avec cette tactique de captation des électeurs lepénistes, revenir en tête au second tour ?
C'est assez peu probable. On ne reconstruit pas en deux semaines une confiance perdue en cinq ans. Les électeurs vraiment attachés aux thèmes de la sécurité et de la lutte contre l'immigration ne font plus confiance à Sarkozy pour les aider. Pire encore, ils ont souvent pour le président la rage de ceux qui se rappellent leurs espoirs déçus. Recréer chez eux l'enthousiasme de 2007 est devenu une tâche impossible.
Cependant, Sarkozy, même dans le peu de temps qu’il lui reste, peut parvenir à inspirer à un bon nombre d'électeurs lepénistes la peur d'une victoire du candidat socialiste. Il peut mettre en valeur la faiblesse de caractère d'Hollande et son goût du compromis - des traits qui pourraient réduire la crédibilité de la répression des voyous sous son principat. Sarkozy peut également trouver des moyens discrets de souligner l'importance de l'enthousiasme pour Hollande parmi les populations immigrées. La nouvelle, vraie ou fausse, diffusée depuis quelques jours, selon laquelle sept cents imams auraient appelé à voter pour Hollande, est un premier exemple de cette tactique.
Si le président choisit, entre les deux tours, cette tactique de récupération massive des voix lepénistes, il devrait au moins parvenir à réduire l'écart qui le sépare actuellement de son concurrent. Hollande finira probablement par gagner ; mais je ne serais pas surpris qu'au soir du second tour, les sondeurs se retrouvent de nouveau dans la situation embarrassante de devoir expliquer la raison d'une erreur de plusieurs points, tout en se voyant interdire, par la bien-pensance française, d'appeler ces raisons par leur nom.