INDONÉSIE • Ces familles qui redécouvrent leurs racines juives
Cadeau des autorités locales, une nouvelle menora de plus de 18 mètres de haut – peut-être la plus grande au monde – se dresse au sommet d’une montagne, au-dessus de Manado. Dans la ville, des drapeaux israéliens flottent sur les stations de motos-taxis et les autorités locales ont achevé le ravalement d’une synagogue construite il y a presque six ans, et de son plafond, orné d’une grande étoile de David.
Longtemps bastion du christianisme et plus récemment de mouvements évangéliques et chrétiens charismatiques, cette région du nord de l’Indonésie est devenue l’improbable foyer d’un sentiment projuif au moment où plusieurs habitants embrassent la foi de leurs ancêtres juifs hollandais. Ayant reçu la bénédiction des autorités locales, les nouveaux convertis se font une petite place dans l’étrange paysage religieux indonésien, foyer de la plus grande population musulmane au monde.
Cette tendance est apparue quand des extrémistes islamistes se radicalisaient, attaquant les minorités chrétienne et autres en Indonésie, et le gouvernement central – craignant de les offenser – ne faisait rien pour les en empêcher. En novembre 2009, des extrémistes, dénonçant les opérations militaires à Gaza entre 2008 et 2009, avaient fait fermer une synagogue vieille d’un siècle à Surabaya, deuxième plus grande ville du pays. Il s’agissait du plus important vestige historique de la discrète communauté juive indonésienne. La synagogue des faubourgs de Manado, financée par des Indonésiens découvrant à peine le judaïsme, est désormais le seul lieu de culte pour les Juifs d’Indonésie. "Nous essayons seulement d’être de bons Juifs", explique Toar Palilingan, 27 ans, qui porte le long manteau noir et le chapeau à large bord des juifs ultraorthodoxes.
L’Indonésie et Israël n’ont pas de relations diplomatiques mais tissent discrètement des liens économiques et militaires depuis plusieurs dizaines d’années. Les hommes d’affaires juifs, d’Israël ou d’ailleurs, viennent de plus en plus régulièrement en Indonésie, à la recherche d’opportunités économiques. Né au Salvador, Moshe Kotel, 47 ans, possède la double nationalité israélienne et américaine. Il vient à Manado tous les ans depuis 2003 et travaille dans le secteur des œufs biologiques. Marié à une femme de la région, Kotel reconnaît qu’il ne s’était jamais senti aussi nerveux que lorsqu'il est arrivé à l’aéroport la première fois. "Mais quand j’ai vu les drapeaux israéliens sur les taxis, je me suis tout de suite senti le bienvenu", ajoute-t-il.
Denny Wowiling, chrétien pentecôtiste, fait observer que les chrétiens et les musulmans ont toujours vécu en paix dans cette région du nord de l’île de Célèbes. Il reconnaît toutefois que "certains craignent d’être pris pour cibles par des gens de l’extérieur". "Le sentiment antijuif a réellement commencé à émerger dans les années 1980 et 1990 à cause du conflit israélo-palestinien", analyse Anthony Reid, spécialiste de l’Asie du Sud-Est à l’Université nationale australienne. A Manado, les descendants de colons juifs hollandais pratiquaient leur foi publiquement avant l’indépendance de l’Indonésie, en 1949. Après cela, ils se sont convertis au christianisme ou à l’islam pour leur sécurité personnelle. "Nous avons demandé à nos enfants de ne jamais parler de nos origines juives, explique Leo van Beugen, 70 ans, éduqué dans la foi catholique. Nos petits-enfants n’en savent rien." Leo van Beugen est le grand-oncle de Toar Paliligan.
C’est seulement dix ans plus tôt, lors d’une discussion agitée sur la Bible et Moïse, que la grand-tante maternelle de Toar Palilingan a laissé échapper le secret des origines juives de la famille. C’est ainsi que Toar Palilingan, maître de conférences en droit à l’université Sam Ratulangi et né d’un père chrétien et d’une mère musulmane – également professeur à l’université –, a appris que sa famille maternelle descendait d’un émigré juif hollandais du XIXe siècle, Elias van Beugen.
Toar Palilingan a pris contact avec le rabbin le plus proche, Mordechai Abergel, émissaire à Singapour du mouvement Chabad Lubavitch de Brooklyn. Toar Palilingan a fait d’"énormes progrès" pour renouer avec ses racines juives, explique le rabbin Abergel, même s’il lui faut encore se convertir pleinement. Membre de ce qu’il appelle le judaïsme "pur" ultraorthodoxe, Toar Palilingan porte parfois l’habit noir et blanc de ses adeptes. "La plupart des Indonésiens n’ont jamais rencontré de Juifs, ils croient que je viens d’Iran ou d’ailleurs", explique-t-il.