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Sushis, fringues et speed dating, qu'est-ce que le judaïsme aujourd'hui?

 

Respect Mag  |  Par Raphaëlle Elkrief

 

RELIGION - La fréquentation des écoles juives est en hausse. Restaurants casher et lieux de culte se multiplient. Un retour à la religion ambigu qui, en 2012, revêt de nouvelles formes d’expressions.

« La Torah dans le kif». Cette appellation, pour le moins étrange, aura convaincu Leslie, 22 ans, d’opérer un retour à la religion. Retour progressif mais révélateur, pour cette jeune étudiante en médecine issue d’une fa- mille juive pratiquante. De celles qui font la prière du shabbat le vendredi mais prennent leur voiture le samedi matin. « Le rabbin a su faire de la religion quelque chose d’agréable. Ça m’a transformée», explique la jeune fille. Combien sont-ils, comme Leslie, jeunes, moins jeunes, à revenir vers des pratiques rituelles, «dans le kif»?

Karl Marx, Émile Durkheim ou Max Weber prédisaient le déclin des religions au début du siècle dernier. Et pourtant... « Il y a 35 ans, 5000 élèves étaient scolarisés en école juive. Ils sont 35 000 aujourd’hui. Nous comptions 82 synagogues en France. Nous disposons aujourd’hui de 350 lieux de culte», recense Raphy Marciano, directeur du Centre communautaire juif de Paris. «Nous assistons à un phénomène plus complexe qu’un “retour” à la pratique. Le religieux se donne une plus grande visibilité dans l’espace public, nuance Régine Azria (1), docteur en sociologie au Centre d'études interdisciplinaires des faits religieux (CNRS-EHESS). La diversification de l’offre permet à certains Juifs de participer à une vie religieuse en adéquation avec leur sensibilité. La pratique est aujourd’hui un choix individuel ». Une revitalisation dont les expressions sont nombreuses. Sans sacrifier, pour certains, son quotidien sur l’autel de la modernité. Telle une religion à la carte... 

Mange

Depuis quelques années, les menus des restaurants casher proposent autre chose que le gefilte fish (2) ou le couscous des origines. Restaurants casher japonais, indiens, américains se sont multipliés dans les grandes villes françaises. Une seule particularité : le respect dans toute la chaîne des règles édictées par la cacherout, le code alimentaire prescrit à la communauté juive. Un code qui s’ouvre aux tendances. « La multiplication de restaurants casher exotiques montre que les Juifs veulent participer aux mêmes modes de consommation que les autres citadins. Un signe d’ouverture à l’altérité avec le maintien d’un particularisme », reconnaît Lucine Endelstein, chercheuse au CNRS. Une tendance retrouvée dans le hallal. Dans L’Homnivore, Claude Fischler, sociologue de l’alimentation humaine, explique qu’il n’existe pas de « cuisine casher », mais plutôt un ensemble de règles transposables, cosmopolites et adaptables dans la migration. Ainsi, le hamburger de l’oncle Sam sera servi sans fromage car «tu ne cuiras pas l’agneau dans le lait de sa mère». On ne trouve pas d’ailleurs seulement des Juifs pratiquants aux tables des restaurants casher. Léa, jeune niçoise de 25 ans, ne dit jamais non à un menu Filet-O-Fish chez Mcdonald’s, apprécie de temps à autre un verre de rosé – non casher - mais adore dîner entre amis au restaurant de sushis. Casher. «C’est comme aller manger chez la famille. On y va comme une contribution à notre appartenance », explique la jeune fille. «Ils ne cherchent pas dans ces lieux une relation avec le divin, mais avec les autres. Ils s’y rendent souvent pour le côté social, identitaire. C’est très mêlé », observe Lucine Endelstein.

Prie

Aujourd’hui, comme on fait ses courses, comme on cherche un job d’été, on peut trouver en ligne la réponse à ses questions métaphysiques. Le site Leava.fr compte quelque 100 000 vidéos de conférences téléchargées par mois. Créé en 2006 par le rabbin Ron Chaya, devenu une véritable icône online, le site traite de sujets comme la paix dans le foyer ou la façon de réparer le tort causé à son prochain. Sur le forum, le rabbin répond personnellement aux questions. « L’anonymat rassure les gens », confie Ron Chaya. La cible ? «Un public éloigné de la Torah, peu pratiquant. Internet est très commode pour cela ». Mais la modernité de forme n’est pas signe de modernité de fond. « Il faut différencier la modernité technologique de la modernité culturelle », nuance la sociologue Régine Azria. Les nouvelles technologies sont de plus en plus employées dans le cadre religieux, dont elles peuvent même faciliter la pratique. Trouver des restaurants casher, lire sa prière sur son iPhone ou avoir un rappel des horaires de shabbat est devenu un jeu d’enfant grâce à la myriade d’applications. «Aujourd’hui, avec Internet, la Torah est partout avec nous. On ne peut plus voir la religion comme austère. Consacrer dans sa journée un temps à l’étude de la Torah est important. Avec Internet, plus d’excuses», explique un pratiquant.
Les courants orthodoxes restent méfiants. En mai dernier, ils étaient 40 000, dans un stade new-yorkais, à exiger un «internet casher». Réseaux sociaux, sites pornographiques et vidéos en ligne briseraient les mariages et détourneraient de l’étude de la Torah. Si certains optent pour la déconnexion stricte, d’autres prônent l’installation de filtres bloquant l’accès aux sites contraires à la morale juive. Comme un « contrôle parental » divin. En Israël, une compagnie de télécoms propose à ses clients orthodoxes un téléphone « casher ». Si les sonneries sont hassidiques (3) et le menu en yiddish, il ne propose, surtout, ni SMS, ni internet, ni Facebook, ni mails. Et les communications passées lors du shabbat coûtent deux euros par minute...

Aime

Un dimanche après-midi en plein Marais, à Paris. En vitrine, robes en soie, cols Claudine, couleurs claires. La boutique ne détonne en rien sur ses voisines. Et pourtant ici, on ne propose que des vêtements obéissant aux règles juives. Les robes cachent les coudes et les genoux, l'encolure est serrée. Carole, la jeune créatrice, s'explique : « La religion ne dit pas que les femmes doivent être vilaines. Juste pudiques ! Certaines femmes ne s'habillent pas selon les règles juives mais, de temps en temps, apprécient de pouvoir le faire. Ces fringues sont casher et, en plus, à la mode ».

Et côté relations amoureuses? Fini le temps où les jeunes gens profitaient de l'office religieux pour repérer de futurs conjoints potentiels. La modernité a infiltré les rencontres aussi. Certains en ont fait leur fonds de commerce. Le site de rencontres communautaires Jdream.com compte, à ce jour, 55000 inscrits et 6,2 millions de pages vues par mois. Et ça marche ? « 75 % des répondants à notre enquête ont déjà fait au moins une rencontre au cours de leur inscription sur Jdream», assure Gregory Harrous, directeur du développement. Comme Jennifer et Michael. La jeune trentenaire explique : « Je ne me vois pas construire un foyer avec une personne non juive. Or dans mon quotidien, je ne suis jamais au contact de gens de la communauté. Ça devient très difficile de rencontrer quelqu'un. Internet est apparu comme un bon moyen. Et l’expérience est marrante ». Quelques critères de sélection plus tard, la voilà qui échange un mail avec Michael. Puis deux, puis trois... Six mois plus tard, ils ont fait de leur rencontre une bonne blague à raconter. «Aux amis les plus proches seulement», nuance la jeune femme. La religion utilise ce qui est en vogue pour réunir les croyants. Même, elle innove. Le speed dating? Créé, eh oui, par un rabbin, tout droit sorti d’Harvard ! « J'ai conçu le speed comme un mix entre un date organisé par les parents et une rencontre dans un bar», s’amuse ce serial marieur à kippa. Objectif ? « Résoudre les problèmes d’assimilation des jeunes aux États-Unis en leur proposant un moyen ultra- simple de rencontrer d’autres Juifs, de façon respectable». Le concept a pris. Il s’est étendu à tous les américains, avant de conquérir le monde entier. Jusqu’à opérer une extension dans d’autres domaines comme la politique ou l’emploi. Signe que rites, tradition et modernité peuvent encore s’imbriquer.

1. Auteur avec Danièle Hervieu-Léger du Dictionnaire des faits religieux (Paris, PUF, 2010).

2. Spécialité ashkénaze à base de carpe farcie.

3. Courant religieux fondé en Europe de l’est.

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