Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption : ce que l’on oublie souvent de dire. Essai de Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France
Un grand nombre de nos concitoyens ne perçoit dans la revendication du mariage homosexuel qu’une étape supplémentaire de la lutte démocratique contre l’injustice et les discriminations, dans la continuité de celle engagée contre le racisme.
C’est finalement au nom de l’égalité, de l’ouverture d’esprit, de la modernité et de la bien-pensance dominante qu’il nous est demandé d’accepter la mise en cause de l’un des fondements de notre société. Et d’ailleurs, sondages à l’appui, cette mise en cause serait déjà acceptable par une majorité de nos concitoyens et son inscription dans la Loi n’appellerait, de ce fait, aucun débat à la mesure des enjeux.
Je pense, au contraire, qu’il est de la plus haute importance d’expliciter les véritables enjeux de la négation de la différence sexuelle et de débattre publiquement sur ces bases – plutôt que sur des principes, comme l’égalité, qui flattent ceux qui s’en font les porte-étendards, mais dont l’invocation, ici, ne résiste pas longtemps à l’analyse.
Dans cet essai, je propose de décrypter le discours des partisans d’une Loi, de passer au crible leurs arguments et de mettre en lumière les effets négatifs des dispositions qu’ils revendiquent. Mon objectif est de contribuer à l’émergence d’un véritable débat sur la place publique car le sujet mérite mieux que le tribunal des bonnes consciences, où ses partisans entendent le maintenir jusqu’au vote de la Loi, à coup de caricatures disqualifiantes contre ceux qui chercheraient à questionner leur projet et leurs motivations.
L’enjeu qui me mobilise est le risque irréversible d’un brouillage des généalogies, des statuts (l’enfant-sujet devenant enfant-objet) et des identités – brouillage préjudiciable à l’ensemble de la société et perdant de vue l’intérêt général au profit de celui d’une infime minorité.
L’essai est organisé en deux parties. J’analyse, tout d’abord, les arguments des partisans d’une Loi :
Le mariage homosexuel au nom de l’égalité ?
Le mariage homosexuel au nom de la protection du conjoint ?
L’homoparentalité au nom de l’amour ?
L’homoparentalité au nom de la protection de l’enfant ?
L’adoption au nom du droit à l’enfant ?
L’adoption au nom des enfants attendant d’être adoptés ?
De nouvelles formes d’homoparentalité au nom de l’égalité ?
La Loi et l’intérêt général à l’épreuve des chiffres.
Puis, je présente la confrontation des deux visions du monde, qui se joue derrière les arguments:
La volonté des militants LGBT de nier la différence sexuelle,
La vision biblique de la complémentarité homme-femme.
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Le Figaro : Le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, dénonce le projet du gouvernement
Le Grand Rabbin de France n’a pas choisi le genre incantatoire religieux pour s’opposer au projet de mariage homosexuel. En philosophe, Gilles Bernheim « passe au crible » rationnel tout « ce que l’on entend » qui pourrait justifier cette loi, et surtout « ce que l’on oublie de dire » sur cette idée de mariage. Au fil des 25 pages de son « essai » publié jeudi sur Internet et téléchargeable (www.grandrabbindefrance.com), on assiste ainsi à un pilonnage systématique des arguments de ce projet de loi. Dont il ne reste rien, ou presque. Et sans aucun recours à la Bible, sauf dans la conclusion.
Le premier destinataire, François Hollande - qui a reçu le texte par coursier mercredi soir, comme son premier ministre -, sera-t-il convaincu ? La plus haute autorité du judaïsme français ne voit pas dans son geste une infraction à la laïcité mais plutôt un acte citoyen : «J’ai toujours regardé comme un devoir l’engagement intellectuel dans les grands choix de mon pays.»
Il espère surtout qu’ «une issue au débat qui s’engage» sera trouvée. Par un «véritable débat », car «le sujet mérite mieux que le tribunal des bonnes consciences» qui rejette les opposants «à coups de caricatures disqualifiantes». Et un débat «sur la place publique» qui vérifiera si la « concertation» organisée par Christiane Taubira, ministre de la Justice, n’aura pas été une «façade» ou «une procédure conçue par la bien-pensance et à son seul service».
Car, insiste le grand rabbin, « il n’y aurait ni courage, ni gloire à voter une loi en usant davantage de slogans que d’arguments». D’autant que «les arguments invoqués d’égalité, d’amour, de protection ou de droit à l’enfant se démontent et ne peuvent, à eux seuls, justifier une loi ». Un texte législatif qui créerait, du reste, «un préjudice à l’ensemble de la société au seul profit d’une infime minorité ». Parce que seraient « brouillées de façon irréversible trois choses : les généalogies, en substituant la parentalité à la paternité et à la maternité ; le statut de l’enfant, passant de sujet à celui d’objet auquel chacun aurait droit; les identités, où la sexuation comme donnée naturelle serait dans l’obligation de s’effacer » .
« Fin de la différence sexuelle »
En homme rationnel, le grand rabbin cherche donc à ne pas se tromper de cible. «L’enjeu ici, n’est pas l’homosexualité.» «Je condamne et combats avec force les agressions dont sont victimes les personnes homosexuelles, au même titre que je condamne et combats avec force les actes et les propos antisémites.» De même, l’enjeu central, ce ne sont pas non plus les «arguments invoqués par les partisans» de cette loi. Dans la première partie de l’essai, il se débarrasse point par point des huit arguments couramment utilisés : essentiellement la «discrimination» pour le droit au mariage et pour l’adoption, et l’inégalité «en cas de décès ou séparation » et pour l’adoption. Ce qui donne lieu à un festival dialectique où les motivations habituellement entendues pour ce projet de loi tombent une à une.
Dont, notamment, le mythe d’une population importante qui serait concernée. «En 1999, il était urgent d’adopter le pacs, car, rappelle le grand rabbin, on nous annonçait alors que 5 millions de personnes voulaient se pacser.» Or, démontre-t-il, seulement «63609» pacs entre personnes de même sexe ont à ce jour été signés. Il constate «la même surenchère à l’oeuvre aujourd’hui ». À entendre les associations, «700000 mariages homosexuels» seraient à prévoir pour une communauté de «3,5 millions de personnes». Pourtant, s’étonne Gilles Bernheim, l’Espagne, avec moins de population que la France et qui a légalisé, célèbre «3100» mariages homosexuels par an. Quant à l’une des associations moteurs de ce projet de loi, l’APGL (l’Association des parents et des futurs parents gays et lesbiens), elle annonce que «300000 » enfants seraient aujourd’hui élevés ainsi. Mais elle compte - «c’est facile à vérifier », assure le grand rabbin - «1800 adhérents sur l’ensemble de la France» !
Mais la cible principale arrive dans la seconde partie du document. Beaucoup plus courte puisqu’il est question de la «confrontation entre deux visions du monde». Gilles Bernheim détaille ce qui lui paraît l’origine culturelle de tout ce débat : non seulement la «théorie du genre» qui «ne définit pas l’individu selon son sexe, homme, femme, mais par sa sexualité (homo, hétéro) », mais aussi la «queer theory» (ce mot anglais signifie «bizarre») : «À la place de l’identité sexuelle, qui est comme éliminée, la queer theory propose une “orientation sexuelle” qui serait choisie par chaque individu.» Cette théorie « invite l’individu à sortir du carcan d’homme et de femme qu’il n’a pas choisi et à s’exprimer de la façon dont il se perçoit». Dans cette vision, «le féminin ou le masculin deviennent de simples rôles que l’on peut choisir ou non d’endosser, de parodier ou d’échanger à loisir ». Une «farandole des genres» qui inquiète le judaïsme français : «Au nom de la tolérance, on réclame la reconnaissance de toutes les formes d’orientations sexuelles… Mais la tolérance ne joue ici que le rôle d’un cheval de Troie dans le combat contre l’hétérosexualité, norme sociale jugée imposée et dépassée puisque bâtie sur la différence sexuelle.»