Le plus beau chant d'amour : Frank Lalou fait aimer le Cantique des cantiques
Demandez à Frank Lalou de vous parler du Cantique des cantiques et vous ne pourrez plus l’arrêter. C’est pourquoi trois soirées suffiront à peine à ce spécialiste chaleureux pour vous faire entendre la musique, la sensualité et la spiritualité profonde de ce petit poème d’amour enflammé, niché au milieu de la Bible, une bibliothèque plutôt sérieuse. «Comme dans toutes les bibliothèques, il faut un enfer, un lieu où l’érotisme et la sensualité puissent s’exprimer, sourit Frank Lalou. Il donne une humanité et une respiration à l’ensemble des textes.» Ce petit livre érotique est d’autant plus étonnant qu’il ne mentionne pas une seule fois le nom de Dieu, ni aucun interdit. Il s’agit d’un dialogue d’amoureux, qui sont séparés, se retrouvent, sont à nouveau séparés… «Ce poème est à la fois une leçon de vie érotique et une réflexion sur l’éternité de l’amour. Pour que l’amour dure, il faut que l’autre reste autre. Il faut conserver l’altérité au sein du couple. Mais cette altérité est contrebalancée par un désir de fusion, pour que les deux ne fassent plus qu’un. Tout se joue entre fusion et séparation.» Le texte émerveille d’abord par la richesse de ses descriptions. Les amoureux se comparent à ce qu’il y a de plus beau sur terre, aux meilleurs parfums. L’autre devient un monde avec des mains comme des anneaux d’or, des cheveux comme des troupeaux de chèvres. «Le corps humain devient un univers entier avec ses collines, ses lacs, ses montagnes, ses précipices. Il est comme un paysage dont les deux amants sont des explorateurs», s’émerveille Frank Lalou. Le mouvement perpétuel du désir et du doux rejet court tout au long du texte. «Viens, va-t’en, viens, va-t’en, va vers toi-même!
La femme prononce ainsi la même phrase dite à Abraham pour lui ordonner de quitter son pays. Pour être soi-même, il faut quitter son pays. Va-t’en pour être toi-même, cela signifie: ‹reviens d’une autre manière. Pour que l’amour dure, tu reviendras différent.» Comment ces huit petites pages brûlantes ont-elles été acceptées dans le canon de la Bible? «Il y a toujours eu un combat pour l’y maintenir, répond le passionné du Cantique. Chez les juifs comme chez les chrétiens. Origène et Calvin l’ont défendu. Leur argument était qu’il faut le comprendre comme une métaphore. La jeune fille, c’est l’âme, ou le peuple juif ou chrétien. Salomon, le héros, c’est Dieu ou Jésus. On a fait accepter ce texte en le présentant ainsi. Selon moi, c’est un peu forcé, quand on lit des lignes comme ‹Qu’il me baise des baisers de sa bouche›. Il faudrait plutôt parler du rapport entre mystique et érotisme.» Quoi qu’il en soit, ce texte donne une magnifique leçon. «Il nous dit de reconnaître l’unicité dans l’autre. D’être aimé, il n’y en a qu’un seul. C’est le meilleur de la pensée hébraïque et chrétienne, tu es unique, je peux voir en toi cette unicité, et à travers cela, je comprends l’unicité de tout ce qui est, et aussi l’unicité du divin. L’unicité de l’être aimé est celle de tout être humain qui a droit à un infini respect. L’enseignement est qu’il ne faut pas forcer l’amour. Le respect de l’autre fait que le désir doit prévaloir sur la pulsion.» Qu’est-ce que l’amour que le Cantique affirme être «fort comme la mort»? «Loin de nous rendre aveugles, l’amour est la reconnaissance de l’unicité de l’autre. Cette unicité renvoie à celle du divin. De ce Dieu qui crée non pas par amour, mais pour qu’il y ait de l’amour.»
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