QUAND LE MAROC ÉTAIT ROMAIN, PHÉNICIEN, BYZANTIN,...
PAR MOUNA HACHIM
Valoriser nos patrimoines régionaux; favoriser le dialogue interculturel et interreligieux; faire face aux crispations identitaires; mettre l’accent sur la relation essentielle entre culture et développement… autant de raisons pour se pencher sur cette thématique des plus actuelles: la diversité culturelle.Comment débuter alors sans parler de la culture autochtone amazighe qui constitue un fondement essentiel de notre identité. Habitant un large territoire allant de la partie occidentale de la vallée du Nil jusqu’à l’océan Atlantique et de la Méditerranée jusqu’au sud du Niger, les Berbères sont connus sous différents noms depuis l’antiquité pharaonique. Ils sont ainsi appelés, selon leurs tribus, Tehenu, Temehu, Mashawash, Libu (mot qui donne son appellation à la Libye actuelle après avoir désigné toute l’Afrique du Nord)…
Quant aux Romains, ils les nomment Libyens, Maures, Gétules, Garamantes, Numides… tout en employant le terme générique «Barbarus», dérivé du Grec «Barbaroï» qui définit initialement une personne dont on ne comprend pas la langue, avant que le terme ne passe aux Arabes sous la forme «Al-Barbar». Mais en raison de son acception historique péjorative, les berbérophones lui préfèrent son équivalent autochtone, «Amazigh» (traduit par Homme libre).
Au XIVe siècle, Ibn Khaldoun élaborait une classification où ressortaient principalement trois principaux groupes avec leurs innombrables ramifications: les agriculteurs sédentaires Masmouda; les pasteurs semi-nomades Zenata et les nomades chameliers sahariens Sanhaja qui sillonnaient le désert. La vocation commerciale de ces derniers est attestée à travers la domination sur les villes caravanières du Sud et le contrôle de la grande route commerciale, dite Triq Lemtouni, voie de liaison entre l’Afrique méditerranéenne et le monde noir. D’ailleurs, une des tribus sahariennes appelée Sanhaja (par déformation de son nom amazigh Iznaguen) nomadisait jusqu’aux rives du fleuve Sénégal auquel elle a laissé son nom.L’élément noir se retrouve également depuis l’Antiquité dans les Oasis du Draâ avec ces populations sédentaires, fondatrices de Zagora. Que dire de ces Gnaoua, arrivés plus tard, sous le règne saâdien au XV
Ie siècle, en tant qu’esclaves et dont le blues gnawi, chanté par leurs descendants reste particulièrement fêté de nos jours à Essaouira.En plus de la culture noire-africaine, évoquons les liens aux Egyptiens qui font figurer les Berbères en tant que rebelles ou dans des postures triomphantes. Ces derniers ont réussi, en effet, au début du Ier millénaire à se rendre maîtres de l’Egypte. Parmi les pharaons appartenant à ces dynasties libyennes régnant sur le delta du Nil, citons Sheshonq Ier ou Osorkon II dont les exploits sont rapportés par les chroniques égyptiennes.
Outre les liens politiques, les influences culturelles et religieuses sont notables. Sur ce plan, certains considèrent comme Berbères les dieux égyptiens, Osiris et Amon. Dans la région de Figuig ont été découvertes d’étonnantes gravures rupestres dont un bélier coiffé d’un soleil, analogue et supposé antérieur aux dessins du temple d’Amon en Egypte.Autre peuple avec lequel les Berbères étaient en contact: les Grecs. Laissons-nous alors tenter par la mythologie et rappelons que les Grecs croyaient que les Hespérides, filles d’Atlas, résidaient au Maroc actuel, soit aux confins occidentaux du monde connu.L’un des douze travaux d’Hercule était de dérober des pommes d’or du Jardin des Hespérides situé dans la région de Larache. Après avoir battu en ces lieux, le roi berbère Antée qui est inhumé selon la légende, sur l’emplacement du fameux Cromlech de Mzora, Hercule épousa sa veuve Tingis qui lui donna pour fils Syphax dont quelques rois libyens, tel Juba I, revendiquaient la descendance. Antée est par ailleurs considéré comme le fils de Gaïa et de Poséidon, divinité de la mer qui serait libyenne d’après Hérodote et dont la fille n’est autre que la célèbre Athéna, identifiée à la déesse libyenne Neith par Platon. Mais quittons la mythologie pour entrer dans l’histoire avec ce peuple qui a marqué de son emprunte toute l’Afrique du Nord: les Phéniciens.Considérés comme un peuple sémitique, descendants des Cananéens, les Phéniciens formaient des Etats-cités dans l’actuel Liban, avant de marquer la scène historique vers l’an 1200 av. J.-C. en édifiant un large réseau de comptoirs.En plus des produits d’échanges divers dont la précieuse pourpre qui laisse son nom aux Îles Purpuraires près d’Essaouira, les Phéniciens ont apporté avec eux leur civilisation. Comment ne pas évoquer alors l’alphabet phénicien et l’écriture berbère, appelé Tifinag qui serait jusque dans son appellation un dérivé du mot Tafenniqt (soit, la Phénicienne).
Sur le plan religieux, les Phéniciens pratiquaient un culte polythéiste avec entre autres divinités, Tanit, déesse de la fertilité dont certains voient une préservation dans la croix d’Agadez, ainsi que dans quelques symboles traditionnels marocains. Les héritiers directs des Phéniciens sont les Carthaginois depuis que la légendaire reine Didon a fondé Carthage vers 814 av. J.-C. sur la côte de l’actuelle Tunisie. Leur prospérité, liée au commerce maritime leur a permis de former une brillante civilisation, fruit d’un mélange de la culture berbère et de l’apport phénicien. Entre autres éléments développés par les Carthaginois, signalons les murailles et les citadelles des cités puniques; l’art de la mosaïque; les influences militaires, agricoles… Mais dans le contexte de la colonisation européenne, les fouilles archéologiques ont focalisé davantage sur les Romains, considérés comme les héritiers directs, maîtres de l’Afrique du Nord depuis l’an 40.Durant cette époque romaine, si l’élite autochtone est lettrée, parlant grec et latin, si des villes sont prospères faisant place aux comptoirs phéniciens, si le modèle architectural et artistique romain est étendu attestant d’un haut degré de raffinement; sur le plan politique, Rome, malgré ses cinq siècles de présence, ne contrôle peu à peu qu’une étroite bande de territoire.Parmi les griefs retenus contre Rome: le statut juridique de la terre confisquée au profit du peuple romain, les redevances en nature ou en argent, le service armé, le contrôle des indigènes par des intermédiaires… C’est ainsi que les révoltes des tribus se font récurrentes et partent de l’intérieur des terres, menées qu’elles sont par des populations moins touchées par la romanisation. Profitant de l’affaiblissement de l’Empire romain d’Occident, les peuples germaniques orientaux dont les Vandales franchissent le Rhin au Ve siècle et ravagent Rome. Dès lors, l’Empire byzantin (appelé aussi Empire romain d’Orient) prit la relève au nom de la défense de la chrétienté. Mais si le général Bélisaire remporta la victoire contre les Vandales en Africa, la pacification du territoire resta laborieuse.
C’est dans ce contexte que survint peu après la conquête musulmane qui rencontra, en dehors de quelques tribus animistes, des Zoroastriens, plusieurs tribus juives et quelques éléments chrétiens. Ce qui nous amène à évoquer la culture juive, sous forme d’interrogation, à savoir si les juifs marocains sont des Berbères judaïsés ou s’ils représentent des vestiges des hypothétiques tribus dispersées. Cette deuxième option est remise en question par l’historien israélien Shlomo Sand dans son livre «Comment le peuple juif fut inventé» où il réfute la réalité historique d’un exil de Palestine sous la Rome impériale privilégiant la thèse de conversions au judaïsme.
Quoi qu’il en soit, les juifs partageaient le même mode de vie que leurs concitoyens sauf au niveau confessionnel et usaient de langues communes, arabe ou berbère, l’hébreu étant purement liturgique.
Quant au christianisme, il n’a pas bouleversé l’histoire du Maroc et a fini par disparaître au premier siècle de l’Islam. Parmi les communautés qui semblent avoir pratiqué le christianisme, dans son volet arianiste proclamant la transcendance divine, les Regraga en pays Haha qui se disaient Apôtre de Jésus, avant d’embrasser l’Islam.Il convient alors d’opérer une différence capitale entre arabisation et islamisation. Les historiens les plus fiables attestent que les Arabes de la conquête ont été trop peu nombreux, amenant dans leur sillage des Berbères orientaux qui résidaient en Libye et en Tunisie.Quelques émigrants arabes ont formé des principautés avec l’aide des populations locales, telles que l’Emirat de Nekkour, fondé dans le Rif en 809 par le Yéménite, Salah Ibn Mansour. Que dire de l’Oriental Idris Ier, arrivé esseulé dans le Zerhoun avec son affranchi, avant de recevoir l’allégeance des tribus Awraba dont il épousa la fille Kenza, grand-mère de tous les Idrissides.Il est un fait que l’arabisation en profondeur du Maroc est due essentiellement aux tribus bédouines Béni Hilal et Béni Soleim introduites par la dynastie almohade au XIIe siècle.
Responsables de l’événement le plus bouleversant du Moyen Âge maghrébin, décrits par Ibn Khaldoun comme des nuées dévastatrices de sauterelles, les Béni Hilal, issus des plateaux du Nejd en Arabie, sont venus avec femmes et enfants au Maghreb au terme d’une tumultueuse marche qu’ils appellent Taghriba dans leurs récits épiques.Nomades coupés du désert, les guerriers Béni Hilal se mêlent aux cultures autochtones, tout en contribuant à arabiser le monde rural comme ne l’ont pas fait les conquérants arabes dans tout le Maghreb, quatre siècles avant eux.
Une arabisation renforcée avec l’aide des Arabes Maâqil, d’origine yéménite, arrivés au Maroc au XIIe siècle, relégués dans le Sahara par des tribus plus puissantes, avant de se mélanger aux populations berbères et d’effectuer leur montée dans le Souss au XIIIe siècle, puis d’accompagner les Saâdiens dans leur marche vers le Nord avec d’importantes ramifications dans le Haouz de Marrakech ou dans le Gharb…Par ailleurs, dans la liste des cultures qui ont marqué notre histoire, nous ne pouvons ignorer, la péninsule Ibérique qui est séparée de notre pays par un bras de mer. Des exils d’Andalousie vers le Maroc sont ainsi enregistrés durant l’Emirat de Cordoue faisant affluer à Fès, en 818 déjà, huit mille foyers cordouans, à la suite de la révolte du faubourg, aboutissant à la formation de la Rive des Andalous.Sous les Almoravides, les Almohades et les Mérinides, les liens civilisationels ne font que s’accentuer entre les deux rives de la Méditerranée. Mais la grande défaite de 1212 à la bataille de Las Navas de Tolosa avait déjà sonné le glas pour les musulmans confrontés à une coalition des Croisés. La Reconquista avait pris en effet progressivement du terrain jusqu’à la prise de Grenade en 1492. Pendant ce temps-là, les persécutions et les décrets d’expulsion des Rois Catholiques obligeaient juifs et musulmans à choisir entre la conversion ou l’exil. Même les populations converties de force au christianisme subirent les foudres des mesures de déportation. Le dernier décret entré en application en 1609 visait l’expulsion de tous les Morisques musulmans et juifs vers la «Berbérie».
Fuyant leur paradis perdu, animés par l’espoir du retour au pays natal, vivant dans la conscience du devoir de combat, les Andalous se proclament chantres du Jihad maritime et donnent plusieurs chefs guerriers et bâtisseurs de cités, de même que de redoutables capitaines-corsaires, écumeurs des mers…Evidemment, ce tableau loin d’être exhaustif ne saurait négliger le rôle des Portugais Conquistadors lesquels malgré une présence mouvementée ont laissé un legs, encore visible, constitué en grande partie par des bâtisses militaires et des fortifications.Joignons à ce tableau, les Turcs qui régnaient sur un vaste empire avoisinant nos portes orientales et dont l’influence a été marquante sur le plan militaire mais aussi au niveau de certains usages dans la société et dans la Cour. Une des influences est caractérisée par l’adoption de la fête du Mouloud, principalement à Salé avec ses processions chatoyantes de cierges. Que dire de tous ceux qu’on a appelé les Renégats, anciens chrétiens convertis à l’Islam, employés dans le domaine militaire depuis le règne des Almoravides. C’est ainsi que Meknès, grandiose capitale du sultan Moulay Ismaïl aurait été bâtie par plus de vingt mille captifs chrétiens…Un article à part entière peut être réservé enfin à l’influence de la culture occidentale moderne depuis la pénétration coloniale jusqu’à nos jours…
Mais l’heure est venue de clore ce panoramique tour d’horizon lequel à travers son regard sur le passé, reste profondément ancrée dans une vision actuelle.