Un nouveau modèle pour les relations entre juifs et musulmans
Lors d’une cérémonie organisée pour marquer la fin de la restauration d’une synagogue du XVIIe siècle dans la vieille ville de Fez, le Roi Mohammed VI, dans un message prononcé par le Premier ministre Abdelilah Benkirane, a salué la ‘’richesse et la diversité spirituelles’’ du Maroc et les ‘’valeurs de coexistence, de tolérance et d’harmonie entre les différents éléments de la nation.’’ Ces déclarations se voulaient rassurantes dans un climat politique régional souvent agité. Elles laissent entendre que le Maroc offre un nouveau (en réalité très ancien) paradigme pour les relations intercommunautaires et particulièrement pour les relations entre Arabes/musulmans et juifs.
Dans le contexte du conflit arabo-israélien, ‘’le caractère juif’’ et le ‘’caractère arabe’’ sont souvent perçus comme s’excluant mutuellement. Toutefois, le Maroc semble témoigner de moyens importants pour réconcilier ces identités.
C’est également l’impression que j’ai eue lorsque je me suis rendue là-bas cet hiver avec un groupe d’étudiants composé d’Américains, d’Israéliens, d’Amazighs (un groupe ethnique non arabe d’Afrique du Nord), de chrétiens, de juifs et de musulmans.
Le Maroc n’est pas qu’une fascinante mosaïque de religions et de cultures, de langues et de paysages. Pour moi, juive israélienne, le Maroc offre aussi des perspectives intéressantes et un nouvel espoir. Installés au Maroc depuis plus de 2 000 ans, les Juifs ont joué un rôle essentiel dans la vie sociale, politique, culturelle et économique du pays. A la fin des années 60, suite à la création d’Israël, la majorité d’entre eux avaient quitté le pays. Quelques milliers sont restés, occupant différentes niches dans la société. Au cours de l’histoire, beaucoup ont été commerçants ou artisans locaux, tandis que d’autres ont exercé la fonction de ministre du gouvernement ou de conseiller du roi. La plupart des Marocains que nous avons rencontrés – du chauffeur de taxi dans les villes aux chameliers dans le Sahara et des académiciens aux guides touristiques – se sont montrés accueillants et ont souligné sans honte le rôle positif joué par les Juifs dans la société marocaine. Les cimetières et lieux de culte juifs étaient bien entretenus et bien protégés.
La nouvelle constitution du Maroc, adoptée en 2011 sur fond de Printemps arabe, reconnaît le patrimoine juif du pays comme faisant partie de l’identité nationale du Maroc. Fait important, nous avons rencontré des membres du Mimouna Club, une ONG fondée par des étudiants musulmans marocains qui se consacre à la découverte de l’histoire du judaïsme et des Juifs au Maroc. Cette organisation est exceptionnelle dans le monde arabe. Ces faits sont autant d’exemples prometteurs venant souligner l’acceptation des Juifs comme partie intégrante du Maroc. Einat, une juive israélienne de notre groupe, a été la première de sa famille à visiter le Maroc depuis le départ de ses grands-parents en 1952. La plupart des personnes qu’elle a rencontrées l’ont accueillie dans ‘’son pays’’.
En dévoilant l’histoire de sa famille et de sa propre identité, elle a raconté son histoire au groupe, à des amis et à de la famille en Israël. Bien qu’unique, son histoire est le reflet de ce qu’ont vécu bien des Juifs israéliens originaires du monde arabe. L’histoire de la famille d’Einat au Maroc remonte au Ve siècle. Lorsque ses grands-parents ont quitté le Maroc pour Israël, ils ont laissé derrière eux leurs maisons, leurs biens et les tombes de leurs ancêtres. La famille d’Einat a passé ses premières années en Israël dans des ‘’camps de transit’’ en tant que réfugiés. Comme la plupart des Juifs originaires de pays arabes et majoritairement musulmans, ils ont été marginalisés et privés de leurs droits par les structures de l’État et la culture hégémonique essentiellement européenne et ashkénaze, qui trouve ses origines au Moyen-Orient via l’Europe. De plus, ils ont souvent dû supprimer le ‘’caractère arabe’’ de leur identité. En tant que Juive ashkénaze ayant grandi en Israël, les difficultés et les nuances de l’identité juive marocaine étaient pour ainsi dire invisibles à mes yeux puisque l’expérience de ces gens a été largement marginalisée ou absente du récit local. Le Maroc m’a permis de voir et de mieux comprendre certaines de ces difficultés. Bien que des choses aient changé en Israël au cours des dernières décennies, être juive et arabe a fini par être perçu comme antinomique.
Pourtant, au Maroc, les Juifs n’ont pas ou peu connu de contradictions entre les dimensions arabe, amazigh et juive de leur identité. Une attitude positive à l’égard des Juifs n’implique pas nécessairement l’acceptation de la politique d’Israël. Néanmoins, tandis qu’Israël lutte pour définir son identité et sa place dans la région et que ses voisins contestent son existence et sa légitimité, le Maroc, quant à lui, offre l’exemple frappant d’un pays qui défie les catégories traditionnelles ‘’Est-Ouest’’ et replace l’expérience juive dans la région. En tentant de réconcilier le ‘’caractère juif’’ et le ‘’caractère arabe’’, le Maroc permet aux Juifs arabes d’envisager leur propre identité sous un nouveau jour. Et tandis que le conflit arabo-israélien perdure, le Maroc soutient les exemples historiques de coexistence..
Adina Friedman
Enseignante en résolution des conflits-consolidation de la paix à l’American University’s School of International Service