« Israël a renforcé mon amour du Maroc »
Par Hanane Jazouani
Simon est un jeune Marocain de confession juive, âgé d'une trentaine d'années. Depuis maintenant plus de 10 ans, il ne vit plus au Maroc mais en Israël. Après avoir décroché son baccalauréat à Casablanca, il part en Israël pour étudier à Jérusalem. Aujourd’hui il est à la recherche d’un emploi. Il raconte pourquoi il a quitté le Maroc et comment est sa vie, loin de son pays d’origine. Interview.
Yabiladi : Pourquoi avoir choisi d’aller étudier en Israël, plutôt qu’un autre pays comme la France par exemple, pays où bon nombre d’étudiants marocains se rendent ?
Simon : Je ne suis pas allé en France pour plusieurs raisons. Le climat. La mentalité. Je n'ai pas de proches en France et je ne suis pas Français ! Je préfère le Maroc de loin. Mais le problème est qu'aucun de mes amis n'est resté au Maroc pour poursuivre ses études. J'ai donc choisi Israël pour continuer mes études. Là-bas mes parents savaient que ma famille pouvait m'accueillir et que je ne serai pas seul. Je suis l'aîné de ma famille et la séparation était très dure et effectivement ma famille m'a beaucoup aidé. Aussi, Israël était connu pour la qualité de ses études supérieures, même si à mon avis les études en France sont bien plus poussées.
Yabiladi : Lorsqu'on est un jeune Marocain de confession juive, comment vit-on au Maroc ?
Simon : J'ai très bien vécu à Casablanca. En général, les jeunes juifs grandissent ensemble, mais on est, quand même, en contact avec le reste des Marocains. Malheureusement, dans notre quotidien, il arrive que les voisins nous insultent. Dernièrement un voisin de palier est rentré chez nous et a agressé mon père. Mon père a bien sûr porté plainte. Souvent aussi, on nous regarde de façon étrange dans la rue, on nous lance "juifs" de temps en temps ou on reçoit des menaces de mort. Nous avons souvent été insultés, et cela même par nos propres femmes de ménage qui nous ont aussi dérobé à maintes reprises de précieux objets de la maison. Par contre, on s'entend très bien avec les commerçants Amazighs, qui eux nous connaissent bien. Le problème aujourd’hui au Maroc est que les jeunes marocains n'ont pas vécu avec les Juifs, comme au temps de leurs parents. Ils sont ainsi manipulés par les médias et la situation au Proche Orient n’arrange rien. Je ne comprends pas ! Je me demande parfois si on est au Maroc ou en Israël !?
Yabiladi : Pensez-vous qu’à un moment ou un autre le Maroc vous a abandonné et aurait pu vous retenir pour ne pas partir ?
Simon : Même s’il y a un grand sentiment d'insécurité au Maroc qui touche aussi la communauté juive marocaine, le gouvernement marocain se comporte bien avec nous. Je parle surtout des efforts réalisés pour assurer notre sécurité dans les synagogues les jours de fêtes, dans les écoles, lors des grands rassemblements sur les tombes des sages du Maroc. Je me souviens qu'une fois j'étais à Safi pour la Hiloula des Sebaa Ouled Zmirou (sept frères Saints). Le soir, une grande fête avait lieu. Je suis donc sorti de l'hôtel pour m'y rendre et sur la route un jeune me demande l'heure. J’ai eu peur qu'il ne veuille me voler ma montre. Mais tout à coup des policiers lui ont crié "éloigne-toi de lui". Ce que nous voulons, c’est être en sécurité. S'il y avait plus de Juifs au Maroc beaucoup y seraient retournés. Pour tenter de faire revenir les Juifs qu'ils soient aux États-Unis, en Amérique du Sud, au Canada, en France, en Israël ou ailleurs, je pense qu'il faudrait améliorer la sécurité sociale (soins gratuits, meilleurs droits au chômage), renforcer la sécurité (moins de vols et de meurtres), faire baisser la corruption et faire diminuer l'antisémitisme.
Yabiladi : Qu’est-ce qui vous manque le plus du Maroc ?
Simon : En Israël, je pense tous les jours au Maroc. D'ailleurs j'étudie en priorité les livres des Sages du Maroc. Notre vie juive au Maroc me manque aussi beaucoup. Pour le moment, j'ai juste étudié et travaillé un peu en Israël. Mais Israël a renforcé mon amour du Maroc, un Maroc que je ne trouve pas ici, surtout au niveau des rites juifs marocains, au niveau de l'architecture du Maroc, de la cuisine juive marocaine, sauf chez moi où je mange comme il faut ! Et de tous les autres trésors du Maroc. En Israël, on tente de faire taire nos traditions religieuses, surtout à Jérusalem malheureusement, mais moi je tente de conserver tous nos rites. C'est possible qu'un jour j'investisse au Maroc.
Yabiladi : Cela fait 9 ans que vous vivez en Israël. Quelles sont les choses qui vous déplaisent ?
Simon : Je n'aime pas le gouvernement qui se paie la tête des gens. Le gouvernement n'aide en rien les jeunes qui viennent de finir leurs études. Ils n'ont droit au chômage que s'ils ont travaillé plus d'un an. Ils n'aident pas les gens pauvres. La politique économique est une véritable catastrophe pour les gens en difficulté. Le gouvernement utilise le conflit pour dire aux gens « nous sommes en guerre, comprenez nous, on a besoin d'argent pour assurer votre sécurité ». Ces politiciens ne pensent qu'à conserver leur place. J'espère que ce nouveau gouvernement sera différent. D'autres choses que je n'aime pas : les prix sont très élevés surtout dans l'immobilier, certaines personnes qui n'ont pas d'éducation, une trop grande liberté chez les jeunes. Les fruits, légumes, poissons sont beaucoup mieux au Maroc, plus naturels et de bien meilleur goût.
Yabiladi : Comment les israéliens voient-ils les juifs originaires du Maroc ? Avez-vous subi un certain racisme en Israël de part vos origines ?
Simon : Ils pensent que les Juifs Marocains sont agressifs ou sauvages. Ils nous appellent "Marocains couteau", car à un moment, les Juifs Marocains étaient défavorisés et marginalisés par rapport aux Juifs Polonais et manifestaient couteaux à la main, d'où ce surnom. Mais sinon, personnellement, même dans certains organismes, on a toujours aimé que je sois Marocain. Les gens parlent souvent du Maroc, soit parce qu'ils sont originaires du Maroc, soit parce qu'ils l'ont visité et aimé. Mais c'est vrai que certains ont des idées sur nous…
Yabiladi : Certains Marocains musulmans reprochent aux Marocains juifs de "vendre leur âme au diable" et d'oublier leur culture ou héritage arabe une fois installés en Israël. Une critique qui se fait plus entendre lorsqu'on parle du conflit israélo-palestinien. Ces Marocains reprochent à certains Marocains juifs de soutenir Israël plutôt que les Palestiniens, donc les Arabes. Que répondez-vous à ces gens ?
Simon : Je tiens à rappeler que les Juifs au Maroc ont leur propre culture puisqu'ils étaient au Maroc bien avant les Arabes. Certes beaucoup de Juifs sont venus d'Espagne en 1492, mais les autres Juifs sont au Maroc depuis plus de 2000 ans (au minimum), bien avant l'existence des Arabes. Je tiens à rappeler aussi que les Arabes ont conquis bon nombre de pays dont l'Empire Chérifien et ne l'ont jamais rendu. Israël est le seul pays juif dans le monde. Israël a combattu contre les Jordaniens, la Syrie, Le Liban, L'Egypte et a gagné les guerres, et malgré tout, les Arabes veulent toujours ce territoire et ont fait de cela un conflit international pour un bout de terre. Je vous le dis franchement je ne tue pas une mouche. Je n'aime pas les guerres. Récemment, on nous a envoyé des centaines de missiles tous les jours, sans qu'Israël avec toute "sa puissance" ne puisse faire taire ces tirs. C'est donc difficile de vivre dans ce climat de conflit.
D'autre part, la culture n'a rien à voire avec le conflit. Ce n'est pas parce qu'on a des points communs qu'on doit penser de la même façon. Israël a le droit de rester sur sa terre où il a vécu dès la sortie d'Egypte il y a 3285 ans, terre promise et terre conquise à nouveau. N'oubliez pas que les Palestiniens ont aussi reçu leur part dans le découpage de la Palestine. Les Marocains n'ont rien à voire avec les Palestiniens. Les deux cultures sont différentes. Et encore une fois, on n'oublie pas notre culture marocaine.
Yabiladi : Dans un article du site Ynetnews, le journaliste explique que certains étudiants juifs marocains, partis étudier en Israël, le font en cachette des autorités marocaines. Lorsque vous voyagez entre Israël et le Maroc, est-ce que les autorités marocaines vous donnent du fil à retordre ?
Simon : Cet article a totalement tort. J'ai d'ailleurs pris, dernièrement, mon billet pour Casablanca d'une agence au Maroc. A la douane de Casa, les agents ont vu deux fois mon passeport israélien. Les banques marocaines doivent savoir où j'étudie pour pouvoir me transférer de l'argent en Israël. En général, je montre mon passeport marocain une fois au Maroc. Les autorités ne donnent aucun fil à retordre. D’ailleurs une fois mon passeport marocain était périmé. J'ai montré l'israélien au douanier et il ne l'a pas tamponné. Mais je suis passé tranquillement.