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Echanger Gibraltar contre Ceuta, un débat en 1869

 

Le conflit anglo-espagnol autour du Rocher est un «serpent de mer» depuis des siècles

«[…] Il est de nouveau question de la cession de Gibraltar à l’Espagne. Ce projet est mis en avant avec l’autorité de l’amiral [Frederick William] Grey, et vous pensez bien que, s’il doit y être donné suite, ce ne sera qu’après preuve bien déduite que le fameux rocher n’est d’aucune utilité à l’Angleterre, et que l’Angleterre trouverait même des avantages à le rendre à ses maîtres naturels. […]

Contrairement à l’opinion partout admise que Gibraltar est la clé de la Méditerranée, cette forteresse est impuissante à protéger le commerce maritime de l’Angleterre. En face de Gibraltar, le détroit a douze milles[22 km] de large et l’eau est profonde. Il n’a point encore été inventé, et (si l’on en croit les gens du métier), il ne sera jamais inventé de canon d’une portée suffisante pour barrer le passage. Les pièces les plus puissantes d’aujourd’hui ne lancent pas de projectiles à la moitié de cette distance, et, lors même qu’un canon aussi problématique viendrait à être construit, il n’y a pas grande chance qu’on pût atteindre des navires qui longeraient la côte du Maroc. On ajoute que Gibraltar n’est pas situé au point le plus resserré du détroit. Près de Tarifale passage se rétrécit et n’est plus que de sept ou huit milles, et les Espagnols n’auraient qu’à vouloir pour ériger sur ce point autant de batteries qu’il leur plairait. Comme position militaire, Gibraltar serait donc, suivant l’amiral Grey, de peu de valeur. Comme port de refuge ou de ravitaillement pour la flotte, il en aurait encore moins. Le port n’est point abrité; il est exposé également aux coups de vent du sud-ouest et aux tempêtes de l’est. Les navires à vapeur ne peuvent faire leur charbon qu’au moyen de pataches [des bateaux à fond plat] ancrées dans la rade.

[…] Mais cet abandon, je dois maintenant le dire, ne serait que conditionnel; il s’agirait d’un échange bien plus que d’une cession. L’Angleterre en livrant Gibraltar demanderait Ceuta [la ville autonome espagnole sur la côte nord du Maroc]. Pour l’Espagne, Ceuta a bien moins de prix que pour l’Angleterre, et il est croyable que, l’amour-propre national étant en jeu, les Espagnols préféreraient Gibraltar avec tous ses inconvénients à la possession de Ceuta. Tout le monde donc trouverait des sujets de satisfaction à cet échange. Pour l’Angleterre, ils seraient sérieux. Ceuta possède un port sûr et vaste, comme il en faut un sur ce point à une nombreuse marine marchande. Les moyens de radoub et d’approvisionnement sont plus grands sur la côte du Maroc que sur celle d’Espagne. […]

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