Israël ne croit pas à la stratégie américaine en Syrie
Le gouvernement n'a aucune confiance dans l'administration Obama et estime que des frappes aériennes annoncées à l'avance ne seront pas efficaces contre une armée dispersée dans les villes. Il craint d'être entraîné dans un conflit dont il ne voit pas l'intérêt.
Une équipe de choc israélienne s'est rendue d'urgence, lundi 26 août, à Washington pour faire part à l'administration Obama de ses doutes sur l’intérêt et l'efficacité d'une action militaire contre la Syrie. C’est même un véritable conseil de guerre israélien de haut niveau, dirigé par le conseiller à la sécurité nationale Yaakov Amidror, qui s’est déplacé aux États-Unis.
La délégation impressionnante comprenait aussi le général Amos Gilad, chef du service de sécurité diplomatique au ministère de la Défense, Nimrod Scheffer, directeur du département de la planification de Tsahal, Itai Baron, directeur de division du renseignement militaire et des hauts fonctionnaires du Shin Beth, le renseignement intérieur. Les Israéliens voulaient avant tout s’informer des éventuels préparatifs américains d'une attaque en Syrie et il n'était pas question de coordonner une action conjointe.
Il s’agissait pour Israël de se préparer aux éventuelles répercussions sur sa sécurité des frappes américaines en Syrie. Même si les Israéliens restent en dehors de l’opération, ils risquent d'être entraînés dans le conflit et n'y voient aucun intérêt. Pour Israël, qui n'a pas une grande confiance dans l'administration Obama, le problème nucléaire iranien est bien plus préoccupant que la guerre civile syrienne.
Benjamin Netanyahou a bien réuni le cabinet de sécurité pour évaluer la situation en Syrie. Tous les ministres ainsi que le chef de l’État, Shimon Pérès, ont condamné le massacre de civils en Syrie. Le cabinet a envisagé une aide humanitaire aux civils syriens et aux blessés par l’ouverture ponctuelle de la frontière du plateau du Golan. Mais les Israéliens ne veulent en aucun cas participer à une action militaire contre la Syrie et ils préfèrent garder «un profil bas», selon les termes d’un ministre.
Les Israéliens ne voient pas le contour précis d’une opération qui risque au final de favoriser les rebelles djihadistes au détriment des rebelles dits «modérés». Par ailleurs, Israël n’a rien à reprocher au régime syrien de Hafez el-Assad et de son fils Bachar, qui ont maintenu une situation de de paix froide depuis 1973, puisqu’aucun coup de feu n’a été tiré à travers la frontière syrienne.
Il y a aussi deux raisons majeures qui expliquent la prudence, et même la réticence, des Israéliens.
D'abord, les expériences précédentes en Irak puis en Libye ont prouvé que les nouveaux régimes ont été pires que ceux qui les ont précédés. Le chaos s’est développé tandis que les Iraniens ont trouvé le moyen de s’implanter là où ils étaient jusqu’alors exclus. L’Irak est devenu une colonie iranienne tandis que la Libye a été annexée par al-Qaida, qui l’utilise comme base pour répandre ses djihadistes à travers toute l’Afrique et même au Sinaï.
Aucune certitude ne peut assurer le type du nouveau régime qui pourrait remplacer celui de Bachar el-Assad en cas de chute du régime. Israël ne peut se permettre d’avoir des djihadistes à moins d’une centaine de kilomètres de ses frontières.
Pour Israël, une frappe ponctuelle n’apporterait aucune solution militaire et politique à long terme en Syrie. La destruction de stocks de gaz n’affaiblira pas l’armée syrienne et ne consoliderait pas non plus la puissance des rebelles.
Seule une guerre terrestre de grande envergure serait en mesure de chasser le régime de Damas et de permettre de choisir le type de régime qui le remplacerait. Mais il s’agirait alors d’une opération de type irakien, qui a prouvé son effet désastreux en générant le chaos dans le pays et en introduisant le loup iranien dans la bergerie irakienne.
Israël ne voit pas ce qu’il peut tirer d’une telle opération. Il avait beaucoup aidé, à l’époque de George W. Bush, l’opposition irakienne mais n’a pas été payé de retour alors que des assurances de reconnaissance du pays avaient été données par les Irakiens. Une fois au pouvoir, l’opposition a oublié ses promesses et s’est comportée comme tous les autres dirigeants arabes en adversaire du peuple israélien.
La seconde raison tient dans la volonté d’Israël de ne pas coller systématiquement aux décisions américaines et de ne pas être à la traîne de la diplomatie des États-Unis. Durant ces derniers jours, les Américains ont prouvé qu’ils faisaient cavaliers seuls.
Le président Barack Obama a cherché à tout prix un accord avec l’Iran pour éviter une action militaire. Il a utilisé deux voies distinctes pour persuader le nouveau président Rohani. Jeffrey Feltman, ancien secrétaire d’État américain et ancien ambassadeur à Damas, a rencontré le 25 août le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, à Téhéran. Par ailleurs, le sultan Qaboos D’Oman, émissaire américain, s’est trouvé en visite lui aussi le même jour auprès du guide suprême Ali Khamenei en Iran.
Les deux envoyés américains n’ont pas réussi à convaincre les Iraniens d’intervenir auprès de Bachar el-Assad pour éviter la guerre avec les occidentaux. Dans sa froideur habituelle, Ali Khamenei a simplement répliqué que «si les Américains attaquent la Syrie, alors l’ensemble du Moyen-Orient souffrira de brûlures».
Cette fin de non-recevoir a mis en état d’alerte l’ensemble des forces occidentales et l’armée syrienne, qui a pris des mesures pour disperser ses forces à travers tout le pays et pour évacuer les casernes. Israël, adepte de l’attaque surprise, ne comprend pas qu’on puisse informer ses adversaires de la date du déclenchement des hostilités et ne partage pas la stratégie employée consistant à mêler une dizaine de pays dans l’action militaire.
Israël a donc décidé de rester en dehors d’une action vouée, selon lui, à l’échec et préfère choisir le jour et le lieu de son intervention s’il estime que sa sécurité est en jeu. Le problème syrien prouve, après le problème nucléaire iranien, l’écart de plus en plus croissant entre les positions israélienne et américaine dans la stratégie géopolitique et militaire au Moyen-Orient.
Jacques Benillouche