Dossier iranien : une étape pleine de finesses et de doutes (info # 010110/13) [Analyse]
Par Stéphane Juffa ©Metula News Agency
Hier (lundi), le Président Obama et le 1er ministre Netanyahu se sont rencontrés durant une heure et demi dans le Salon ovale de la Maison Blanche. Leur entretien a été suivi d’une courte conférence de presse. Les deux hommes ne s’apprécient toujours pas et leur approche du dossier iranien reste différente ; mais depuis la visite du président en Israël en mars dernier, les deux chefs d’Etat se sont assagis. Ils ont abandonné les coups bas et les entourloupes politiques et se parlent franchement. On pourrait même discerner un début de cordialité dans leurs regards.
Nous reviendrons par la suite sur les enjeux de leur entretien, mais il est surpassé en importance par un article publié sous la plume d’Amos Yadlin - l’ex-chef du renseignement militaire israélien -, sur le site Internet de l’Institut pour les Etudes de Sécurité Intérieure.
Yadlin y définit ce que les 5+1 et Israël doivent et peuvent raisonnablement obtenir de l’Iran : non pas un renoncement éternel à se doter de l’arme atomique, ce qui est intangible, mais s’assurer que la "République" Islamique soit cantonnée à "des années et non des mois de la capacité militaire".
Cela apaiserait effectivement les tensions et permettrait au monde de vivre autrement que sous la menace permanente d’une bombe atomique iranienne. Parce que cela procurerait la possibilité aux adversaires de Téhéran d’avoir le temps de réagir au cas où il remettrait en route son programme nucléaire.
A ce propos, le général à la retraite conseille indirectement à Binyamin Netanyahu de se focaliser, à l’occasion de ses échanges avec le président US, sur l’établissement d’un protocole définissant la manière dont l’Occident réagirait dans l’hypothèse où l’Iran contreviendrait au traité que l’on va tenter de négocier.
Selon l’ancien chef de l’Aman, l’Agaf ha-modiin, la section du renseignement de Tsahal, la négociation entre l’Occident et les ayatollahs est une bonne chose. Au pire, elle aura le mérite de démontrer "une fois pour toutes que l’Iran ne négocie pas sérieusement", mais si elle réussit, elle générera un "ralentissement de son développement militaire".
Dans son analyse, le général entrevoit trois issues possibles aux pourparlers qui vont se tenir les 15 et 16 courants à Genève entre les 5+1 et les émissaires de Khamenei. A ses yeux, deux de ces hypothèses sont favorables à l’Etat hébreu : "un bon accord, qui tiendrait Téhéran éloigné de la Bombe ou un échec retentissant qui légitimerait d’autres actions destinées à arrêter le projet".
Un mauvais accord consisterait quant à lui à l’acceptation par l’Occident de permettre à l’Iran de conserver ses 10 000 centrifugeuses anciennes, ses milliers de plus récentes et plus efficientes ainsi que de maintenir l’installation souterraine de Fodow et le réacteur d’Arak en état fonctionnel. Pour Yadlin, si ces moyens ne sont pas détruits, le régime théocratique pourrait confectionner une bombe au moment où il déciderait d’annuler l’accord qui se profile à l’horizon. Un traité qui ne provisionnerait pas l’oblitération de ces équipements serait "inacceptable".
Yadlin ajoute que les quatre conditions posées par le gouvernement israélien afin de considérer l’annulation du programme nucléaire perse, à savoir la cessation complète de l’enrichissement d’uranium, le retrait d’Iran de tout le minerai déjà enrichi, la suspension des activités de Fodow et des travaux sur le plutonium n’est pas réaliste et que Téhéran n’acceptera pas de s’y plier.
En revanche, l’auteur considère qu’un accord, même n’éliminant pas tous les risques, mais qui obligerait les ayatollahs à "l’enfreindre ou à le dénoncer" pour atteindre une capacité nucléaire militaire serait préférable au maintien du statu quo. Car la situation qui prévaut actuellement aboutira indubitablement soit à la Bombe iranienne, soit à une intervention militaire.
Il est clair pour l’analyste stratégique que la raison principale pour laquelle Téhéran reprend les discussions – nous, d’ajouter : la raison pour laquelle il a remplacé Ahmadinejad par Rohani – vise, pour la dictature perse, à tenter de consentir à des "gestes insignifiants de construction de confiance" en échange du retrait des sanctions économiques qui pèsent d’un poids très lourd sur la "République" Islamique.
Et c’est précisément la raison, écrit le spécialiste, pour que lesdites sanctions ne soient annulées que lorsque l’Iran acceptera, par un traité, de réduire significativement la portée de son programme nucléaire.
Amos Yadlin souligne enfin la contradiction existant entre l’intention déclarée par Hassan Rohani d’accéder à un accord sur le problème nucléaire dans les trois mois et la "flexibilité héroïque" prônée par le guide suprême Khamenei. La seconde option pourrait indiquer que le chef incontesté de la junte religieuse au pouvoir tente de flouer à nouveau ses interlocuteurs et n’a pas l’intention de renoncer à son ambition de devenir une puissance nucléaire.
A Washington, Netanyahu a rappelé à Obama qu’il avait, depuis quelques semaines et au gré du réchauffement des relations avec la théocratie chiite, omis de brandir à nouveau la menace d’une opération armée. Le 1er ministre a en outre exhorté son interlocuteur à ne pas adoucir les sanctions existantes avant d’obtenir des concessions concrètes de la part des Iraniens, martelant que l’unique façon d’éviter la confrontation militaire passait pas l’augmentation et non la diminution des pressions.
Une position partagée par le chef de la diplomatie de l’Union Européenne et négociatrice principale des 5+1 lors des pourparlers avec Téhéran, Catherine Ashton, qui vient de déclarer que son "approche générale à une négociation passait par le maintien de la pression", et que "la pression existait à cette fin : amener les gens à discuter pour essayer de réaliser des progrès".
Hier, le Président Obama a donné satisfaction au premier ministre hébreu en réitérant sa formule selon laquelle toutes les options demeuraient sur la table.
Satisfecit plus mitigé en ce qui concerne les sanctions : le pensionnaire de la White House se contentant de déclarer qu’il ne les adoucirait pas avant que les Iraniens ne réalisent des actes significatifs dans le dossier du nucléaire. Mais justement, c’est sur la définition de ce qui est "significatif" dans ce domaine que les deux leaders peinent à s’entendre.
C’est aujourd’hui que Binyamin Netanyahu va s’adresser à son tour à l’Assemblée Générale des Nations Unies. Il est venu à New York afin de gâcher la fête et il l’admet volontiers. La fête de la réconciliation très médiatisée entre Washington et Téhéran, s’entend. Son problème consiste en ce que Rohani, Obama et les autres ténors ont délaissé la grande salle de l’ONU depuis une semaine déjà et que l’Israélien ne va s’exprimer que devant des chaises vides et des assesseurs.
Nous, de poser l’équation de manière claire à notre habitude : au rythme actuel de la progression du programme nucléaire perse, Khamenei atteindra la capacité de concevoir une Bombe dans environ six mois. Si les discussions qui débuteront les 15 et 16 courants se concrétisent réellement dans les trois mois, le monde aura gagné entre cinq et dix ans de répit. Si ce n’est pas le cas, on se retrouvera dans la situation du printemps dernier, avec plus de pression encore sur Jérusalem et moins de temps pour prendre une décision capitale.
Il faut aussi espérer qu’en cas d’échec les alliés occidentaux auront le bon goût et la présence d’esprit de constater à temps et "une fois pour toutes que l’Iran ne négocie pas sérieusement". Et de prendre les mesures alternatives qui s’imposent.
On peut compter enfin sur les négociateurs perses pour tenter de noyer le poisson avec l’habileté qu’on leur reconnaît. A moins qu’ils n’aient compris qu’ils jouent la pérennité de leur régime et que le temps ne s’écoule plus forcément en leur faveur. Une chose est sûre, d’un point de vue stratégique, on partage sans retenue le point de vue de la baronne Ashton et du roturier Netanyahu : si l’on veut donner une chance à la paix, il importe absolument de maintenir la pression.