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La mosquee collee a la synagogue

 

 

 

 

Face à la pénurie de terrains au Kremlin-Bicêtre (94), la mosquée s'est installée sur la même parcelle que la synagogue. Les juifs religieux croisent tous les jours les musulmans en djelabbas. Et surprise : ça ne se passe pas trop mal.

 

Bienvenue au Kremlin-Bicêtre (94), son hôpital, son fort et … ses lieux de cultes. Dans la rue John Fitzgerald Kennedy, aux numéros 35 et 41, c’est une situation peut-être inédite en France : la mosquée et la synagogue de la ville se partagent la même parcelle. L’entrée dans les deux lieux de cultes se fait bien par deux portails distincts, mais la cour de la mosquée n’est séparée de la synagogue que par une fine palissade de tôle.

Vendredi 20 septembre, il est 21 heures 30 quand des fidèles en djellaba sortent de leur salle de prière en préfabriqué. Pendant qu’ils se rechaussent dans la cour de la mosquée, ils entendent résonner le tintement des couverts et le brouhaha des conversations de leurs voisins juifs religieux. De l’autre côté du mur, ces derniers partagent un repas en plein air pour célébrer le deuxième jour de la fête de Soukkot.

UNITED COLORS OF BENNETON 

Devant une anisette et une salade de poivrons marinés, le chef de famille de la tablée des Bensoussan* est d’humeur taquine : « Dites que le problème ici, ce n’est pas la mosquée mais bien la famille Chekroun* ! » Il désigne la table des voisins où une dizaine de convives déguste un saumon : « Regardez-les ! Les Chekroun, ils prennent beaucoup plus de place que la mosquée ! Ça, c’est un problème ! »

Ici, tout le monde est d’accord, « tout se passe très bien » entre voisins juifs et musulmans. Le gardien de la synagogue vante « la politesse » des fidèles de la mosquée qui « souhaitent de bonnes fêtes » quand ils se croisent sur le perron du petit centre communautaire. Tandis qu’au sortir de la mosquée, un dévot musulman arborant une barbe fournie se félicite du « respect » de ses « cousins germains »  juifs à qui « il n’a rien à reprocher ». Avant d’ajouter, le regard amusé :

« Quand il y a beaucoup de monde pour les fêtes, on gare les voitures les uns à côté des autres. »

VOLONTARISME 

Une mosquée et une synagogue sur le même terrain : voilà le fruit d’une expérience de la municipalité MRC du Kremlin-Bicêtre. Joint par StreetPress, Jean-Marc Nicolle, 1er adjoint au maire depuis 1995, revendique la paternité de cette « proposition ambitieuse » :

« Un jour, j’ai dit au maire : “Cela va peut-être paraître complètement ubuesque mais pourquoi on ne construit pas la mosquée à côté de la synagogue ? C’est le seul espace que nous avons et symboliquement c’est important pour montrer qu’ici, on n’importe pas les conflits”. »

Mais si le projet a pu voir le jour en 2007, d’après Jean-Marc Nicolle, c’est surtout grâce aux deux représentants communautaires, « deux hommes modérés qui se sont laissés convaincre facilement ». Joint par StreetPress, Albert Myara, président de la communauté juive du Kremlin-Bicêtre, assure avoir « dit “banco” tout de suite après le coup de fil du maire » :

« Il faut qu’on coexiste, on n’a pas le choix. Une mosquée à côté d’une synagogue, c’est un pari sur l’avenir ».

Des propos repris de concert par Mohammed Khodja, 50 ans et représentant des musulmans, qui insiste, lui, sur « les valeurs de la République » et « le vivre-ensemble qui doit primer sur tout le reste ». Le chirurgien de profession tient aussi à rappeler que l’imam qu’il a choisi est « assermenté par la Grande mosquée de Paris ». Dans sa bouche, un gage de sérieux et de modération.

 

CHEMIN PARCOURU C’est pourtant sur le terreau de la bêtise que cette situation, présentée aujourd’hui comme « un modèle » par la mairie, a pu voir le jour. Le 5 avril 2002, un cocktail molotov est lancé en pleine nuit contre la synagogue du Kremlin-Bicêtre . L’engin incendiaire n’explose pas mais l’affaire fait grand bruit : au même moment une vague d’agressions antisémites est recensée en France alors que l’Intifada enflamme le Proche-Orient. La communauté musulmane de la ville est pointée du doigt. Albert Myara, 61 ans et habitant du Kremlin-Bicêtre depuis son enfance, se souvient :

« Ça, des “sales juifs”, il y en a eu ici. Et il ne faut pas se leurrer, l’immense majorité des actes d’antisémitisme, ils viennent des musulmans. La courbe des actes antisémites en France est proportionnelle à la courbe des incidents au Proche-Orient. »

A l’époque, le maire chevènementiste de la ville Jean-Luc Laurent demande à recevoir l’ensemble des responsables des différents cultes. « L’objectif, c’était d’instaurer un peu de dialogue. A ce moment, ils ne se parlaient pas et ne se connaissaient même pas ! » s’égosille le 1er adjoint Jean-Marc Nicolle. Résultat : les représentants des cultes juif, musulman, catholique et protestant prennent des rendez-vous réguliers pour « mettre fin à tout ça », dixit M. Myara. En 2007, ils créent même une association intercultuelle. « M. Myara est devenu un vrai copain », s’amuse le franco-algérien Mohammed Khodja, qui rencontre son homologue tous les mois. Jean-Pierre Nicole, fait, lui, la promo de la municipalité :

« La réunion qu’a convoquée le maire en 2002 a été le point de départ. A partir du moment où le dialogue peut s’installer, tous les préjugés tombent. C’est pour ça qu’on n’a pas mis très longtemps à les convaincre pour le projet de mosquée. »

COHABITATION FORCÉE 

Mais, à y regarder de plus près, la proximité entre la synagogue et la mosquée du Kremlin-Bicêtre a aussi des airs de cohabitation forcée. Si les dirigeants des deux cultes se parlent régulièrement, ce n’est pas le cas entre les fidèles. Anthony, un converti autour de la trentaine, fréquente la mosquée depuis 2007 : « On ne se connaît pas. C’est chacun de son côté. Parfois on se dit bonjour mais c’est tout. » Un constat que partage Albert Myara : « Au niveau des membres, on n’a pas encore de contact. » Le représentant de la communauté juive n’a d’ailleurs pas consulté ses ouailles quand il a donné son approbation au projet municipal. Et la décision d’installer la mosquée à côté de la synagogue passe toujours assez mal auprès de certains fidèles juifs. Une Krémlinoise, qui fréquente la synagogue depuis plus de 30 ans, râle devant son repas de Soukkot :

« La ville est grande quand même ! Et ils nous ont mis la mosquée juste à côté ! »

Un musulman fervent, qui se rend à la mosquée une fois tous les 2 jours, explique, lui, pourquoi il ne dit jamais bonjour aux juifs en kippa qu’il croise devant la synagogue :

« Ce serait bizarre. Un peu comme si je rentrais dans une synagogue avec un Coran. »

 

FONCIER 

Avec 17.000 habitants par km2, le Kremlin-Bicêtre est la 13e ville la plus dense de France. C’est en fait le manque de place qui a amené religieux juifs et musulmans à cohabiter de force sur la même parcelle. Jean-Marc Nicolle, le 1er adjoint au maire, dresse un rapide diagnostic de la situation :

« La superficie est de 154 ha, mais le 1/3 est occupé par l’hôpital et le Fort. Alors autant vous dire que des terrains disponibles, il n’y en a pas 50.000 ! »

Mohammed Khodja, le représentant de la communauté musulmane, déplore, lui, avoir passé plus de 5 ans à chercher un espace qui puisse accueillir la mosquée.

« On avait un gros problème : le Kremlin-Bicêtre, c’est trop près de Paris, et donc le foncier est trop cher. »

Des problèmes que ne connaît pas la synagogue. Ancienne forge réhabilitée par un mouvement de jeunesse israélite, elle est propriété de la communauté juive locale – des rapatriés algériens – depuis 1967, grâce aux fonds du Consistoire. Suite au départ d’un cirque en 1995, la municipalité a cédé à la synagogue une partie du terrain adjacent pour qu’elle effectue un agrandissement. C’est la parcelle restante de ce terrain municipal que se décide à accepter la commuté musulmane en 2007 pour construire sa mosquée. Un peu à contrecœur se souvient M. Nicolle :

« Eux-mêmes, ce n’était pas ce qu’ils souhaitaient. »

PROCHE-ORIENT 

A la synagogue du Kremlin-Bicêtre, les repas se terminent parfois autour de la chanteuse Joceline Dayan qui entonne, guitare en mains, « Israël ma maison ». Le sermon du rabbin, ce jeudi 12 septembre lors d’un hommage rendu à un défunt, est tout en allusion au « transcendantal » Etat d’Israël, « jamais admis par ses voisins ». Un drapeau israélien décore d’ailleurs la cabane installée pour Soukkot.

Côté musulman, le représentant de la communauté M. Khodja assure que la politique n’a pas droit de cité dans l’enceinte de la mosquée. Pourtant, Yacine, lycéen et fidèle dévot, rend compte de ce qu’il a appris de l’imam local :

« Il nous dit toujours dans ses prêches de ne jamais oublier de faire la différence entre les sionistes et les juifs non-sionistes »

Etudiant en première, il explique aussi :

« Si je peux avoir des amis juifs ? Il faut faire la différence entre des amis et des connaissances. Le conflit nous empêche de nous rapprocher. »

 

STÉRÉOTYPES 

Dans ce contexte politisé, un élément extérieur vient cristalliser le ressentiment : la camionnette de CRS garée lors des fêtes juives devant la synagogue, à quelques mètres seulement de la mosquée. Pour Yacine, solide gaillard de 18 ans, c’est là l’expression d’un « deux poids, deux mesures » :

« Ce qu’on ne comprend pas, c’est pourquoi eux ils sont protégés. Nous, on a plusieurs fois demandé à la mairie et jamais on n’a pu avoir une patrouille de police »

D’autres, comme cet habitué, sont persuadés que s’il y a une protection policière devant la synagogue, c’est à cause de la mosquée :

« Comme par hasard, il y a une concentration de musulmans, alors hop, ils ont mis des CRS devant chez eux. Je n’ai jamais vu de patrouilles devant d’autres synagogues. Ils ont peur de quoi ici ? »

Et malgré la proximité géographique, les clichés ont la vie dure. Le fidèle pas très au fait des subtilités du plan Vigipirate s’embarque dans un monologue à propos « des juifs qui contrôlent les médias ». Avant de regretter qu’ils entretiennent « le culte de la crainte » :

« C’est toujours caché devant chez eux. On ne sait pas ce qu’il font dans leur synagogue. »

Côté synagogue, on n’est pas en reste question stéréotypes. Une femme qui a appris que j’étais passé à la mosquée la veille en profite pour me demander si « là-bas, ça sent des pieds ». Un homme me livre, lui, sa fine analyse du conflit au Proche-Orient :

« Quand les juifs n’étaient plus en Israël, c’était une terre aride. Comment voulez-vous que quelqu’un qui a fait pousser des cailloux toute sa vie ne soit pas jaloux de nous ? »

 

SPIRITUALITÉ

 Aux dires des plus fervents fidèles musulmans, c’est parce qu’ils appliquent un islam rigoriste qu’ils vivent en harmonie avec les voisins juifs. William, 23 ans, converti depuis 1 an, porte une longue barbe rousse et une djellaba d’un blanc immaculé. Il explique pourquoi il dit toujours bonjour aux habitués de la synagogue :

« Ils ont des idées préconçues sur les musulmans, ils croient qu’on veut les exterminer. J’espère qu’avec mon comportement souriant, je peux les guider. Comme je vous l’ai dit, c’est notre devoir de propager notre religion. On espère que tout le monde va passer le pas vers l’Islam, alors pourquoi ça ne marcherait pas avec des juifs ? »

Chez les juifs religieux, Albert Myara se lance dans un cours sur « le messianisme », « la ligne d’horizon des juifs » :

« On sait qu’un jour, le Bien va l’emporter. Mais en attendant, on prend sur soi. »

Plus prosaïque, cette maman juive à béret a une tactique pour désamorcer les tensions :

« Moi, quand je sens qu’on me regarde mal lorsque je me balade avec mon fils qui porte la kippa, je dis bonjour à tout le monde ! Les gens sont surpris et ils sont obligés de me répondre ou de me faire un sourire ! »

PETITE DÉLINQUANCE 

Le 7 janvier 2009, un nouvel acte de vandalisme a eu lieu à la synagogue du Kremlin-Bicêtre, bien que la mosquée se soit installée à côté. Cette fois-ci, c’est une Toyota, avec une grosse étoile de David à l’intérieur, qui est incendiée devant le lieu de culte . Au même moment, Israël est en train de bombarder Gaza. « Ceux qui se rendent coupables de ces actes antisémites, ce sont des jeunes désœuvrés qui n’ont aucune culture musulmane ! » coupe court Albert Myara qui fait valoir que « les musulmans qui fréquentent assidûment la mosquée sont des gens paisibles avec un sens du religieux et une morale. »

Jean-Marc Nicolle, le 1er adjoint au maire, refuse aussi de voir un lien entre la religion et les incidents racistes. Il préfère parler de « bêtises de collégiens » et rappelle que le Kremlin-Bicêtre a « toutes les caractéristiques d’une ville populaire de banlieue avec son parc social de 37% et ses jeunes touchés de plein de fouet par la crise. » L’élu continue de croire que la cohabitation entre la mosquée et la synagogue est « un modèle à dupliquer » :

« Le dialogue fait tomber les barrières et fait en sorte, qu’ici, dans les valeurs républicaines, on peut vivre ensemble. »

Yacine, venu à la prière du soir avec ses deux petits frères, est, lui, catégorique :

« Le fait que la mosquée soit à côté de la synagogue, ça ne change rien. Ici on vient pour prier et c’est tout. »

Au mois de juin 2012, le conseil municipal du Kremlin-Bicêtre a voté à l’unanimité la signature d’un bail emphytéotique de 99 ans avec l’association des musulmans du Kremlin-Bicêtre (AMKB). Le préfabriqué qui fait office de salle de prière va disparaître pour laisser la place à une mosquée en dur. La terrasse de la synagogue donnera sur le nouveau bâtiment.

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