Jérusalem-Washington : ça chauffe (info # 011511/13) [Analyse]
Par Ilan Tsadik ©Metula News Agency
La guerre est déclarée, mais pas avec l’Iran, entre le gouvernement israélien et l’administration Obama. Les coups fusent, la plupart du temps sous la ceinture ; la qualité des échanges fait plus penser à une rixe de cour d’école qu’à des argumentations conçues par des politiciens expérimentés. Plus même à ces combats-massacres, où toutes les frappes sont permises, qu’à un match de boxe anglaise.
La faute à qui ? Probablement aux Américains à l’origine. Ce sont eux qui avaient organisé de très sérieuses rencontres entre experts des deux pays avant le dernier round des négociations de Genève, afin de coordonner, disaient-ils, les positions avant cette rencontre cruciale, lors de laquelle, affirmaient-ils à l’occasion de la "réunion stratégique" de Washington, "n’importe quel faux pas pourrait avoir des répercussions désastreuses".
On était bien d’accord : l’unique allègement des sanctions devait concerner la restitution graduelle de 4 milliards de dollars iraniens bloqués dans des banques occidentales ; ce, parce que "la seule chose qui pousse Téhéran à stopper son programme nucléaire militaire, c’est l’état ingérable de son économie". En contrepartie, on "exigerait sans ciller la cessation complète des activités d’enrichissement et la destruction des 185 kilos d’uranium déjà apurés à vingt pour cent" [il en faut 250 pour fabriquer une bombe. Ndlr.]. Cela augmenterait le breakout time, le temps nécessaire à produire la première bombe, à plus de six mois, et permettrait ainsi de négocier l’abandon total du programme sans pression.
Ou plutôt si, en maintenant tout le poids économique des sanctions sur les ayatollahs afin de les amener à transiger.
Puis il y eut cette volte-face de Kerry à Genève, qui se baladait dans l’hôtel Intercontinental avec un texte vague en main – indigne de par son flouté des 5+1 – et qui prévoyait, contre moins que ce qui avait été décidé avec les Israéliens, de réduire l’effet des sanctions de 40%, selon le ministre hébreu des Affaires Stratégiques et du Renseignement, Youval Steinitz. Sans affecter la capacité des Perses de fabriquer la bombe quand bon leur semblerait, cette mesure, toujours selon Steinitz, procurerait un bénéfice de quarante milliards de dollars à l’économie de Khamenei. Dix fois ce qui avait été convenu.
Et sans la ferme opposition de Laurent Fabius samedi soir dernier, les 5+1, entraînés dans l’euphorie provoquée par la proximité d’ "un accord enfin signé avec les khomeynistes", auraient plus que probablement griffé le papier proposé par le Secrétaire d’Etat.
Ce qui a déclenché la "guerre" entre Washington et Jérusalem, c’est aussi – surtout ? – les messages volontairement erronés et lapidaires que le coordinateur US envoyait aux dirigeants hébreux depuis la cité du bout du lac. Lorsque des négociateurs anglais et français les informèrent de la supercherie, le sang juif ne fit qu’un tour et Netanyahu engagea immédiatement la contre-attaque avec au moins autant de hargne que de réflexion.
Sur trois axes : en implorant les chefs des autres gouvernements représentés dans la capitale lémanique de ne pas signer le projet Kerry, en en appelant aux dirigeants juifs américains à s’opposer à l’initiative de leur président, et en demandant aux membres du Congrès étasunien de la torpiller.
Netanyahu a contraint John Kerry à se présenter devant le Sénat, sur la colline du Capitole, pour conjurer à son tour les représentants de l’Union de ne pas voter un nouveau train de sanctions contre l’Iran, proposé à l’initiative des amis d’Israël, largement majoritaires dans les deux chambres.
Il s’est bien sûr fendu d’un discours jugé très anti-israélien par ceux qui l’ont subi. Un peu plus tôt, le Secrétaire d’Etat avait envoyé son porte-parole, Jen Paski, en avant-garde "assurer" la presse, "sans entrer dans les détails", que l’évaluation de Steinitz était "inexacte, exagérée et sans rapport avec la réalité".
Puis les grands chefs entrèrent dans la danse, avec Binyamin Netanyahu affirmant, devant la Knesset, que "le mauvais accord [en préparation] avec l’Iran pourrait finalement mener à la guerre" ; ce à quoi la Maison Blanche rétorquait en écho : "dynamiter un agrément en imposant de nouvelles sanctions pourrait « ouvrir la porte vers une confrontation »".
Confrontation qu’Obama ne désire à aucun prix, susurre-t-on dans les ruelles de Jérusalem, même si Téhéran devait posséder l’arme atomique et en dépit de ses promesses itératives jurant qu’il ne le laisserait pas faire.
Et les susurreurs de la ville trois fois sainte ne sont pas seuls à le penser, puisque c’est aussi l’opinion déclarée de membres de la délégation US et d’amis et de conseillers proches de Barack Obama.
Si les sénateurs Démocrates ont respecté la consigne qui leur avait été donnée de ne faire aucun commentaire sur l’exposé de Kerry, leurs collègues Républicains, eux, s’en sont donné à cœur joie. Bob Corker, du Tennessee, a ainsi jugé le Secrétaire d’Etat, "décevant", tandis que son confrère de l’Illinois, Mark Kirk, l’a trouvé "très non-convaincant" (c’est de l’américain).
Comme nombre des représentants au Parlement US, des deux partis confondus, Kirk semble accorder plus de crédit aux sources israéliennes qu’à celles émanant de son gouvernement. Il a ainsi ajouté : "Je suis censé mettre en doute tout ce que les Israéliens viennent de me dire, même si je sais qu’ils ont probablement un excellent service de renseignement", pourtant, compléta-t-il, "la somme des changements [sur ce qui avait été discuté entre les deux alliés] proposés [ne] fait reculer le programme [nucléaire militaire perse que] de 24 jours". Vous parlez d’un allongement significatif du breakout time !
Kerry s’efforçait, très irrité, dans les travées du sénat, de couper instantanément les nombreux propos de ce genre, intimant chaque fois, presque en criant : "Vous devez ignorer ce qu’ils vous disent, cessez d’écouter les Israéliens à ce sujet !".
Mais Kirk et les autres sénateurs de demeurer sur leur quant à soi, et l’Illinoisais d’ajouter sa voix à la comparaison qui fait actuellement florès entre le traité de John Kerry et le pacte de Munich, ponctuant, lui aussi à la manière de Winston Churchill : "Aujourd’hui est le jour où j’ai été témoin de l’avenir de la Guerre nucléaire au Moyen-Orient".
L’administration obamienne commet une erreur supplémentaire en tentant de lier les discussions avec la "République" Islamique et les pourparlers de paix entre l’Etat hébreu et l’Autorité Palestinienne. Kerry s’est placé en position de hors-jeu en Israël en tambourinant sur tout ce qui résonne que l’échec de ces discussions contenait pour Israël la menace d’une troisième Intifada. Netanyahu lui a répondu à la batterie annonçant d’on ne sait où la construction de 24 000 nouveaux logements dans les territoires.
Dans cette nouvelle "Guerre des boutons", le 1er ministre israélien, en mélangeant à son tour le "très très mauvais accord" préconisé par Kerry avec l’extension du peuplement en Cisjordanie a probablement perdu une bonne partie du soutien qu’il avait amassé dans les chancelleries européennes pour son opposition sensée au projet du Secrétaire d’Etat.
Le Maréchal Joukov, lors de sa contre-offensive historique à Koursk, en 1943, lors de laquelle il mit en déroute l’Armée nazie, sut s’arrêter à temps pour reprendre des forces, recevoir des renforts et réfléchir. Mais Netanyahu n’est pas Joukov.
Une réponse mesurée de sa part, comme celle proposée par son ministre de la Défense, Moshé Ayalon, aurait mieux servi le pays qu’il dirige :
"Il ne faut pas craindre les menaces d'une éventuelle troisième Intifada. Nous sommes dans un conflit ouvert et permanent, qui, en ce qui concerne les Palestiniens, n'a pas pris fin avec les frontières de 1967. Il y a Cheikh Mounis (Tel-Aviv), Majdal, (Ashkelon). Nous avons quitté la Bande de Gaza et ils continuent à nous agresser. Ils éduquent leur jeunesse dans la croyance qu’Haïfa et Acre sont des ports palestiniens et bien plus. Il n'y a là aucun signe de compromis. (…) Nous devrons nous montrer habiles et ne pas craindre les menaces d'une éventuelle troisième Intifada".
Quant aux Français, aux Israéliens et au front commun qu’ils opposent au gouvernement US, ils irritent royalement Obama et son administration. Je ne résiste pas au plaisir de traduire et de partager avec vous ce qu’en dit aujourd’hui l’éditorialiste d’Haaretz Khémi Shalev :
"Israël, d’après ce qu’affirment les Etats-Unis, n’a pas du tout été surprise par les négociations de Genève, mais a été, au contraire, tenue informée des développements chaque minute. Les Français sont vos nouveaux héros ? Allez-y, vous pouvez les avoir ! Demandez-leur des milliards de dollars d’aide, les systèmes d’armement les plus sophistiqués sur Terre, et un bouclier diplomatique sans faille dans les forums internationaux. Persuadez-les que c’est OK pour la France de perdre ses droits de vote à l’UNESCO, parce que, hé, c’est pour une cause qui vaut le coup. Oh, et n’oubliez pas de leur demander de nous remplacer à la tête de la coalition internationale sans précédent qu’Obama a construite, celle qui a imposé à l’Iran le genre de sanctions nous ayant permis de négocier avec lui, à la place de remplir les réservoirs des bombardiers en prévoyance d’une attaque militaire qui, nonobstant le dédain présomptueux d’Israël, constitue un chemin bien plus périlleux à emprunter".
Cela donne matière à réfléchir en tout cas. Donner à réfléchir, c’est aussi l’objectif principal de l’offensive civile qu’a déclenchée Jérusalem suite à la poussée de Daladochamberlainisme qui s’est emparée du cerveau du pauvre John Kerry et de ses bons sentiments puisés dans Alice au Pays des Merveilles.
Netanyahu gonfle ses pectoraux pour montrer à Obama qu’il peut lui empoisonner l’existence, chez lui, à Washington, s’il n’ordonne pas à son Secrétaire d’Etat de revenir, le 20 novembre prochain à Genève, aux fondamentaux sur lesquels ils s’étaient mis d’accord pour un accord intérimaire avec les ayatollahs. Ou si, et ce serait nettement préférable pour tout le monde, il n’intimait pas à Kerry de négocier avec eux un traité définitif mettant le monde à l’abri de ces dictateurs religieux extatiques.
Sinon, il nous faudra emprunter le "chemin bien plus périlleux" en question.
En ce qui concerne François Hollande, le voilà prévenu – merci Khémi Shalev – de ce que nous allons lui demander, la semaine prochaine à Jérusalem.
Et la guerre avec l’Amérique ? Elle est destinée à ne pas s’éterniser, aucun des deux belligérants n’ayant le moindre intérêt à la voir persister. La question qui nous intéresse est de savoir ce qu’elle aura détruit avant l’accord de paix. Car, et c’est un commando qui vous parle, chaque conflit sème son lot de destructions irréparables.