Iran : les généraux israéliens et la Ména sur la même fréquence(info # 010802/14) [Analyse]
Par Stéphane Juffa ©Metula News Agency
Les conclusions stratégiques de la Ména contenues dans l’article "Iran : maintenant il y a un accord", que j’avais écrit il y a deux semaines avec Jean Tsadik [www.menapress.org] ont été totalement confirmées par les responsables sécuritaires israéliens.
Le ministre de la Défense et général de réserve, Moshé Yaalon, le chef d’état-major Benny Gantz et son second, Gadi Eizenkot, le commandant en chef de l’Armée de l’Air, Amir Eshel, et le responsable du renseignement militaire, Aviv Kochavi, intervenant dans divers forums publics, ont reconnu que la bombe atomique iranienne ne constituait plus la principale menace contre la sécurité de l’Etat hébreu.
Plus encore, c’est à peine si ce sujet, qui monopolisait leur attention ces dernières années, a occupé quelques minutes dans leurs interventions longues et complètes. Mais gare à toute euphorie déplacée : il faudra tout d’abord s’assurer que Téhéran respecte les engagements qu’il a pris le 12 janvier dernier ; à en croire les bulletins réguliers des inspecteurs de l’AIEA qui sont sur place, c’est actuellement le cas. On devra également suivre de près les négociations entre les 5+1 et les ayatollahs en vue d’un accord définitif : ses clauses influeront sur le degré de stabilité de la région pour les années à venir.
Pour le moment, tout n’est certes pas rose. La raison en est que l’Iran n’a détruit aucun des outils et des installations qu’il possède pour enrichir l’uranium et pour le transformer en arme. Nous ne pouvons ainsi contredire Moshé Yaalon lorsqu’il affirme que le but des Perses, dans le cadre des négociations avec les grandes puissances, consiste à "consolider leur position à un point de départ leur permettant de devenir une puissance nucléaire quand ils le désirent". A ce titre, ils restent assurément un danger majeur pour la paix du monde.
Mais cela ne saurait nous faire oublier que, depuis le 12 janvier, ils n’enrichissent plus d’uranium à vingt pour cent, que leurs centrifugeuses existantes sont au repos et désynchronisées les unes des autres, qu’ils n’en produisent plus de nouvelles, et que les inspecteurs de Vienne visitent chaque jour les usines de Natanz et de Fodow pour vérifier que je ne vous donne pas de fausses nouvelles.
Et puis, et cela est au moins aussi important, si tout continue comme ça a commencé, à la fin de ce mois de février, la moitié du stock d’uranium enrichi à 20% de la "République" Islamique aura été définitivement neutralisé. Et fin mai, elle n’en aura plus et n’en fabriquera plus.
En résumé et si les choses se déroulent comme convenues, les Iraniens conserveront – avant un éventuel accord définitif avec les 5+1 – leurs connaissances et leurs moyens de construire une bombe, mais le breakout time - le temps qui leur serait nécessaire pour y parvenir - a été considérablement rallongé.
En novembre dernier, au moment de l’annonce des faux accords à Genève, nous vous informions, reprenant les rapports de spécialistes américains reconnus, qu’il ne manquait plus aux Iraniens que quelques semaines pour parvenir à leurs fins. A partir de mai, Jean Tsadik estime qu’il leur faudra au moins un an et demi pour revenir à leur état de progression de novembre 2013, s’ils décidaient de rompre l’accord, de renoncer à la levée des sanctions économiques qui les frappent, et de s’exposer à des risques accrus d’intervention militaire.
Face à ce tableau, prenant en compte qu’à fin mai ils n’auront récupéré que 7 ou 8 milliards de dollars des cent milliards de leurs avoirs bloqués dans les banques occidentales, qu’ils n’auront pas encore pu rénover leurs installations de pompage et de transport de brut pour faire passer leur production de 2 à 3,5 ou 4 millions de barils par jour, j’ai de la peine à envisager une volte-face de leur part.
Ce, d’autant plus que, comme nous n’avions cessé de l’écrire dans ces colonnes, le régime théocratique en place à Téhéran n’a fait que feindre l’irresponsabilité pour faire monter les enchères durant les négociations. En fait, il a cessé de jouer juste à temps pour éviter une attaque israélienne. Une opération qui l’aurait à la fois privé de programme atomique, au moins pour un temps, et dont les conséquences l’auraient maintenu au ban des nations et dans la misère.
Côté israélien, on ne peut aussi que se féliciter de la tournure des évènements : on entendait éviter à tout prix que Khamenei possède une arme d’éradication massive et c’est la situation qui prévaut désormais, sans avoir eu à faire couler la moindre goutte de sang pour y parvenir.
De plus, si l’on avait dû avoir recours à la force, il aurait fallu déclarer et entretenir un conflit avec une nation scientifiquement avancée de 73 millions de personnes. Ce, sans pouvoir non plus anéantir l’entièreté de l’infrastructure nucléaire de l’ennemi et en lui fournissant, ès qualités d’agressé, la légitimité de la riposte.
En poursuivant l’analyse stratégique, on peut aussi relever que l’option militaire israélienne et occidentale n’a pas été définitivement abandonnée, et que l’on dispose de plus de temps pour intervenir qu’en 2013 dans l’hypothèse où les ayatollahs "péteraient soudainement les plombs". On constate également que l’écart technologique se creuse en faveur d’Israël avec le temps qui passe ; l’Etat hébreu disposera ainsi de la période nécessaire à terminer la mise au point opérationnelle de la protection en trois couches de son espace aérien, en sus des armes hyper-révolutionnaires et secrètes qu’il est en train de développer.
Dernière constatation stratégique sur l’Iran pour cet article : la pression a changé de camp. Jusqu’à l’accord du 12 janvier, c’était la perspective du franchissement par la théocratie chiite du point de non-retour et l’éventualité d’une confrontation armée pour l’en empêcher qui dominaient les débats. Le "reste du monde" était en situation de demandeur – avec des arguments en réserve, certes – mais c’est lui qui nourrissait de l’inquiétude. A partir de mai, la table tournera, et ce seront les ayatollahs qui seront en position de faiblesse, n’ayant plus de menace imminente à faire peser sur leurs interlocuteurs et n’étant pas réellement en position de faire machine-arrière.
Et cela change beaucoup de choses ; la préoccupation des 5+1 consistera à assurer l’avenir d’un Iran non-nucléaire sur la durée. Mais, possédant 93 milliards de dollars de la junte khomeyniste dans leurs caisses, et la capacité de faire redémarrer son économie, les membres permanents du Conseil de Sécurité auront le loisir de "se presser lentement". Tandis que Téhéran sera plus enclin à faire des concessions afin de réaliser au plus vite les avantages de son renoncement à la bombe.
Yaalon, Kochavi, Gantz, Eizenkot et Eshel ont chacun tenté de reporter l’attention qu’ils réservaient jusqu’à maintenant à l’Iran sur les périls du Djihad islamique global. J’ignore, depuis mon rocher métulien, s’il s’agit d’une manœuvre médiatique concertée entre ces généraux, mais aucun des analystes de la Ména ne les suit sur cette voie.
Non que nous soyons indifférents au renforcement de la mouvance Al-Qaeda en Syrie, au Liban et dans la péninsule égyptienne du Sinaï ; à l’afflux de mercenaires islamistes venus de France, de Belgique, de Grande-Bretagne et d’ailleurs, mais cette menace est largement gérable pour un Etat d’Israël à la puissance économique grandissante, au potentiel militaire inégalé dans la région, et disposant des services de renseignement qui sont les siens.
C’est encore sans compter avec le fait que ces djihadistes, avant de retourner leurs armes contre nous, doivent principalement faire face à Béchar al Assad, à ses supplétifs du Hezb libanais, et à l’assistance qu’ils reçoivent de la part de l’Iran. Et le moins que l’on puisse en dire est qu’ils ont encore du pain sur la planche.
Il est vrai, d’autre part, qu’ils disposent de dizaines de milliers de roquettes, de plus en plus lourdes et sophistiquées. Mais la menace qu’elles représentent est non seulement moindre que celle d’une bombe atomique chiite, elle est aussi largement plus maîtrisable que les périls que faisaient peser sur notre nation les armées syrienne et égyptienne lorsqu’elles étaient à leur apogée.
Le chef de l’Aman, le Général Aviv Kochavi, l’a reconnu explicitement à l’Université de Tel-Aviv, en déclarant : "L’Armée syrienne est à son niveau d’aptitude le plus bas depuis sa création à cause de la guerre civile qui se prolonge". Preuve en est que Tsahal intervient dans ses plates-bandes chaque fois qu’elle le souhaite, y compris dans sa capitale Damas, sans avoir à se soucier d’éventuelles représailles.
Or les djihadistes et le Hezbollah ne disposent ni d’aviation, ni de chars ni d’artillerie lourde. Ils peuvent évidemment lancer quelques dizaines de Katiouchas et même des missiles Fateh de conception perse, ils peuvent assassiner quelques-uns de nos concitoyens, mais, ce faisant, ils s’exposeraient à une contre-attaque des Hébreux qui leur serait probablement fatale. A observer le zèle avec lequel le Hamas tente de neutraliser les lanceurs de roquettes de ses concurrents islamistes à Gaza, on saisit que la situation a nettement évolué en faveur d’Israël.
Car la guerre ne fait pas uniquement rage entre chiites et sunnites, elle divise aussi, durablement, la partie sunnite en trois clans ennemis : les djihadistes, les radicaux et les modérés, ces derniers tenant le haut du pavé dans les grands Etats de la région.
Et le chef du Khe’l Avir (l’Armée de l’Air israélienne) a également révélé les "avancées extraordinaires" de son arme, "dans sa capacité à atteindre plusieurs cibles simultanément". Le Général Amir Eshel a confié que cette capacité est quinze fois supérieure à ce qu’elle était il y a sept ans et demi, lors de la guerre de 2006 face au Hezbollah. Ici, nous sommes persuadés que Nasrallah et Khamenei sont au courant de ces développements.
Lors, comparer la menace que ces organisations font peser sur la pérennité de l’Etat hébreu avec celle que représentait le programme nucléaire iranien jusqu’au début de cette année ne serait pas sérieux. Ce serait perdre le sens des proportions, perdre du même coup la pertinence de ses évaluations.
Ces modifications des rapports stratégiques obligent toutefois l’establishment israélien de la Défense à repenser ses priorités de fond en comble, et si c’est une bonne affaire, ce n’est pas pour autant une mince affaire. Il va notamment falloir faire face à des réorientations, à des réductions conséquentes dans le budget de l’Armée et à des diminutions conséquentes d’effectifs. Elles ont déjà commencé.
On retiendra à ce sujet l’avertissement de Kochavi au sujet de la guerre électronique. "La cyberguerre", a annoncé le chef de l’Aman, "apparaîtra comme une révolution plus importante que la découverte de la poudre à fusil et que la réalisation du potentiel de la force aérienne durant le siècle dernier". Dans ce domaine, on peut faire confiance aux Israéliens qui ont plusieurs encablures d’avance sur leur temps. Et on peut aussi affirmer, en tenant strictement compte des avertissements que nous venons d’énoncer, que l’avenir de leur pays n’a pas été aussi serein depuis sa renaissance.
Il me faut conclure mon papier de ce jour en rappelant à ceux qui ont tendance à l’oublier, et à se ruer à Téhéran pour faire du business avec le régime perse, que le fait qu’il ait été contraint de renoncer (momentanément ?) à la bombe atomique n’en fait pas un système fréquentable.
Témoin la pendaison du poète et activiste Hashem Shaabani, perpétrée le 27 janvier dernier. Cet intellectuel, parfaitement innocent de tout crime, avait été condamné à mort par un "tribunal révolutionnaire", qui l’a reconnu coupable de 14 chefs d’accusation, dont l’un était : "la propagation de la guerre contre dieu".
Shaabani, dans une lettre à sa famille, a écrit : "J’ai tenté de défendre le droit légitime dont chaque personne en ce monde devrait jouir, qui est celui de vivre librement avec tous ses droits civiques. En dépit de tous ces malheurs et ces tragédies, je n’ai jamais utilisé d’autre arme pour combattre ces crimes atroces que ma plume".
Shalom Haver !
Le poète avait été copieusement torturé durant ses interrogatoires. C’est le "président" Hassan Rohani qui a donné l’ordre de son exécution. Celui avec qui la Baronne Ashton échange des sourires complices. Celui que le Président Obama prend soin de ne pas froisser.
Parce que tout n’est pas uniquement affaire de stratégie et de l’intérêt des Etats, et pour la population d’Iran, je crois tout de même qu’il reste urgent de débarrasser la planète de ces barbares sanguinaires. Mais, à l’instar de leur bombe atomique, ce n’est pas le problème de la seule Israël.