Le génie de Porsche éclipsé par son passé nazi dans sa ville natale tchèque
Vratislavice (République Tchèque) (AFP) - Les amateurs se pâment devant les voitures de sport portant son nom, mais le passé nazi de Ferdinand Porsche divise sa ville natale en République tchèque.
En 2010, Vratislavice a ouvert un mémorial ultra-moderne consacré à l'enfant du pays, père de la Coccinelle, une des voitures les plus vendues dans l'histoire de l'automobile. Cet ingénieur autodidacte est aussi l'inventeur en 1898 du premier véhicule hybride essence-électricité.
Le groupe allemand Porsche AG mettait à la disposition du mémorial, près de la mairie, des véhicules illustrant le génie de l'ingénieur.
Mais l'an dernier une nouvelle équipe élue à la tête de la municipalité s'est offusquée que la petite ville de 8.000 habitants célèbre un entrepreneur ayant travaillé pour Adolf Hitler.
Vratislavice est située dans les Sudètes, région de Bohême peuplée d'Allemands depuis le Moyen-Age, incorporée à la Tchécoslovaquie après le démantèlement de l'Empire austro-hongrois, puis annexée par Hitler en 1938. En 1945, après la chute du IIIe Reich, les Allemands des Sudètes seront expulsés par le gouvernement tchécoslovaque.
Des vétérans de la Seconde guerre mondiale et la communauté juive protestaient contre l'absence de référence dans cette exposition aux liens de Porsche avec les nazis, explique à l'AFP le maire Ales Preisler.
Ils lui reprochent d'avoir eu recours à des prisonniers de guerre dans l'usine Volkswagen de Wolfsburg, en Allemagne, que Ferdinand Porsche dirigeait.
La mairie a retiré les pancartes de bienvenue dans la ville natale de Porsche et ajouté dans le mémorial une notice rappelant qu'il avait été un nazi.
Fin 2013, le groupe Porsche AG décidait de reprendre les voitures qu'il avait fournies. Et depuis, cette installation qui a déjà coûté près d'un million d'euros à la municipalité, est vide.
"Tous les véhicules de notre collection doivent faire l'objet d'une rotation régulière", explique sans plus de détail Dieter Landenberger du service des archives de Porsche AG, qualifiant cette affaire de "locale".
Ferdinand Porsche est né en 1875 à Vratislavice, alors Maffersdorf, ville majoritairement peuplée d'Allemands dans l'empire austro-hongrois. A 18 ans, il part s'installer à Vienne avant de déménager en Allemagne.
- Une "voiture du peuple" -
Ses talents d'ingénieur lui permettent de grimper les échelons chez des constructeurs automobiles prestigieux tels que Austro-Daimler et Mercedes.
Quand Hitler prend le pouvoir en Allemagne en 1933, il lui demande de concevoir une "voiture du peuple", bon marché: l'ancêtre de la Coccinelle de Volkswagen.
"Porsche était un nazi qui était en très bons termes avec Hitler et a utilisé cette relation pour faire avancer ses projets", assure Jan Vajskebr, historien du mémorial tchèque de Terezin, un camp installé par les Nazis près de Prague.
Encouragé par Hitler, Porsche a renoncé à sa citoyenneté tchécoslovaque en 1935, quatre ans avant que son pays natal soit occupé par l'Allemagne nazie.
"Il n'a pas hésité trois secondes", dit Ales Preisler.
Après la guerre, Ferdinand Porsche a passé 22 mois en prison et est mort en 1951, laissant l'entreprise familiale à son fils Ferdinand "Ferry" qui a lancé des sportives de prestige comme la légendaire 911.
Parmi les habitants de Vratislavice, certains trouvent que le génie de l'industriel ne doit pas masquer son passé politique.
"C'était un nazi. Les livres d'histoire ne mentent pas", lance Petr Jirasko.
Mais d'autres relativisent: "Porsche a produit quelque chose que chaque conducteur peut apprécier. J'ai de l'estime pour ce genre de personnes, peu importe ce qu'elles sont", dit Miloslav Spidlen, un retraité, près du cimetière où sont enterrés les parents de Ferdinand Porsche.
Malgré la polémique, un collectionneur, Milan Bumba, est en train de monter son propre musée dans une brasserie du coin avec les modèles qu'il possède: trois Porsche, une Coccinelle de 1956 et ... un tracteur Porsche.
"Porsche n'avait pas le choix. Hitler l'avait choisi et s'il avait refusé, il aurait fini dans un camp de concentration et n'aurait rien accompli", commente ce conducteur de bus de 54 ans, amoureux de la marque depuis trois décennies.
"Tout ce qui l'intéressait c'était de concevoir des voitures et je pense qu'il n'a pas vu ce qui se passait autour de lui", dit-il.
Sa collection a déjà reçu la visite de fans de la firme de Stuttgart venus d'Europe, d'Amérique et de Nouvelle-Zélande pour voir la ville natale de l'ingénieur.