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Et si mon fils épousait une goy ?

 

En prenant l’exemple des unions entre Juifs et non-Juifs, l’ancien président du Parlement Avraham Burg attaque le racisme qui dénature le message humaniste du judaïsme.

Jusqu’aux accords d’Oslo (1993), la liberté de circulation des Palestiniens des Territoires occupés était presque totale. Après 2000, l’édification du mur de séparation s’est doublée de l’adoption d’une “loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël”. Censé répondre à des impératifs de sécurité, ce texte durcit les conditions d’octroi de permis de séjour aux Palestiniens en Israël et est destiné à rendre quasi impossibles les mariages entre Arabes israéliens et Palestiniens et la naturalisation de ces derniers.

 

Les lettres envoyées par les rabbins – invitant les propriétaires juifs à ne pas louer à des Arabes ni à des non-Juifs [voir CI n° 1043, du 27 octobre 2010] – puis par les épouses de rabbins – exhortant les Juives à ne pas avoir de petits amis arabes et à ne pas travailler dans des endroits où elles seraient en contact avec des non-Juifs – viennent réveiller tous les démons d’Israël. La réaction première surgit comme un réflexe et avec force : gevalt (racistes) !

Vient ensuite une réaction bien plus réfléchie, plus profonde, un questionnement : serais-je moi-même prêt à épouser quelqu’un qui n’appartiendrait pas au peuple juif ? Je me suis trouvé face à la première réponse possible il y a quelques années déjà. “Je suis d’accord avec toi sur toutes ces idées humanistes”, m’a déclaré un ami, un homme intelligent, laïque, éclairé, “mais je dois bien avouer que, si mon fils me ramenait à la maison une goy, cela me fendrait le cœur”. “Et s’il ramène un homme juif ?” ai-je alors risqué. Après une longue hésitation, il a répondu en toute franchise : “Je préférerais un Juif homosexuel à une femme goy.” Pour lui comme pour tant d’autres, ce qui compte, plus que l’être aimant qu’est son fils, c’est le Juif.

La deuxième réponse possible, je l’ai trouvée tout récemment dans un article fin et courageux rédigé par Edgar Bronfman, ancien président du Congrès juif mondial, qui nous invite à rouvrir tous azimuts la tente d’Abraham, notre père à tous. Il souhaite que nous ouvrions notre cercle, que nous tendions la main et que nous adoptions dans nos familles des non-Juifs. Il veut que nous cessions de séparer et d’exclure. Heureusement pour moi, je suis déjà marié, et avec bonheur, mais cette question se posera bientôt pour mes enfants. Ils voyagent un peu partout dans le monde, font des études et, en tant que personnes à l’esprit ouvert, rencontrent des chrétiens et des musulmans. Or, comme cet ami à moi il y a quelques années, j’ai atteint cet âge où je dois me demander, en toute honnêteté, ce que je penserais si l’un ou l’autre était en couple avec un non-Juif.

Ma réponse est en fait très simple. Ce qui compte pour moi, ce n’est pas qu’ils soient juifs ou pas. La première et pour ainsi dire la seule question que je me pose pour apprécier les amis de mes enfants est la suivante : s’agit-il de gens bien ? La judéité n’est en tout cas pas ma première considération. Voilà qui nous amène à nous interroger sur ce qu’est le judaïsme. Quand les gens utilisent le mot “juif”, qu’entendent-ils par là ? Aux yeux de ces rabbins et de leurs épouses, auteurs de ces lettres, ainsi qu’aux yeux de tous leurs partisans simplistes et fanatiques, le judaïsme définit avant tout une communauté génétique, un lien du sang, la race de ceux qui sont “nés d’une mère juive”. C’est ainsi que ces gens-là font tout pour faire fuir les gens qui voudraient rejoindre notre communauté.

Le judaïsme se définit avant tout comme un système humaniste fondé sur des valeurs et ouvert à l’humanité tout entière. C’est pour cette raison que l’origine d’un individu compte bien moins à mes yeux que les principes qui l’animent et la façon dont il vit. Je rejette catégoriquement ce principe tacite qui voudrait que tous les Juifs soient de notre côté et tous les Gentils contre nous. Il existe des Juifs terriblement méchants, et des Gentils pleins de bonté et de vertu. Et ce sont ces derniers que je préfère, tandis que je méprise les premiers, en dépit de leur judéité. Israël ne perdurera et n’avancera que si l’ouverture l’emporte sur l’isolement, que si le peuple juif l’emporte sur les ignorants en son sein. Pour mesurer la portée de cette idée dans la vie quotidienne, il faut parfois pousser la théorie jusqu’à l’absurde. Imaginons que ma fille me présente deux gendres possibles : d’un côté le dalaï-lama, qu’elle aime de tout son cœur et de toute son âme, de l’autre le rabbin Meir Kahane [rabbin d’extrême droite assassiné en 1990], qu’elle entend épouser au seul motif de ses gènes juifs.

Imaginons aussi qu’elle me demande de choisir pour elle. Mon choix serait clair et sans équivoque : le dalaï-lama serait mon gendre d’élection, celui que j’aimerais comme un fils et admirerais comme un vrai compagnon, partageant le même mode et les mêmes principes de vie. Au fil du temps, patiemment, lui et moi nous nous démènerions pour tendre des ponts de compréhension entre la vérité de sa vie et les fondements de notre famille. Ensemble nous créerions un esprit de famille bien plus large que ce judaïsme obtus aux horizons limités. Le prêtre tibétain a beau de ne pas parler l’hébreu, il vit dans la “langue juive”. En revanche, si ma fille choisissait Kahane ou l’un de ses semblables, simplement parce qu’il est juif par son sang, malgré ses valeurs et son langage répugnants, c’est tout mon monde qui s’effondrerait. Je ferais tout mon possible pour être à ses côtés, mais mon cœur, qui connaît la vérité, serait brisé de savoir ma fille raciste.

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