Les femmes de l’Islam 1 : Khadija, de Marek Halter
par CAROLINE DOUDET
Que les dieux, que les sombres et terribles dieux, s’ils se souciaient encore des demi-vivants sous les tentes de Mekka, en soient remerciés ! Et qu’ils voient. Qu’ils reconnaissent cette vérité : l’amour entre Muhammad ibn ‘Abdallâh et son épouse Khadija bint Khowaylid était le plus pur, le plus fort, sans simagrées, sans hypocrisie ni mensonge.
J’ai déjà dit combien j’appréciais la manière dont Marek Halter s’emparait des textes fondateurs de la culture judeo-chrétienne pour raconter les histoires importantes du point de vue des femmes. Il l’a fait dans sa trilogie Les femmes de la Bible. Sarah, Tsippora, Lilah, qu’il a poursuivie ensuite avec Bethsabée ou l’éloge de l’adultère, Marie, et enfin La Reine de Saba*. Cette dernière est particulièrement intéressante d’ailleurs, car son histoire est racontée aussi bien dans L’Ancien Testament que dans le Coran, quoique de manière légèrement différente : finalement, elle est un peu une première pierre au nouvel édifice que tâche de construire Marek Halter, celui des femmes de l’Islam. Qu’il commence par le commencement : l’histoire de Khadija, la première épouse (et sans doute la plus importante) de Mahomet.
Khadija bint Khowaylid, veuve d’un riche marchand, est l’une des puissantes de Mekka, et mène ses affaires, pour ainsi dire, comme un homme. Mais, homme, elle ne l’est pas, et n’a donc pas voix au chapitre à la Mâla, l’assemblée de la ville. Donc, pour échapper aux complots des uns et des autres et notamment de son cousin, elle est contrainte de se remarier. Mais elle ne veut pas être asservie, et exige un homme dont elle sera la première épouse, ce qui, vu son âge (37 ans) l’oblige à choisir un homme bien plus jeune qu’elle. Ce sera Muhammad, un de ses caravaniers, et ce ne sera pas seulement un mariage politique…
Marek Halter possède un indéniable talent de conteur qui lui permet, dès les premières lignes, d’attraper le lecteur par la manche et l’entraîner à sa suite dans l’histoire. Et pas n’importe quelle histoire : intrigues, complots, trahisons, tous les ingrédients sont là pour qu’elle soit riche en rebondissements. Mais il y a surtout une histoire d’amour, riche et belle, entre un homme dont on tend parfois à oublier l’humanité et qui s’avère ici touchant et émouvant dans sa tendresse envers sa femme et ses enfants, sa loyauté, son honnêteté, et ses doutes, et une femme particulièrement fascinante : fière, orgueilleuse, Khadija ne s’en laisse pas conter, et parvient à s’imposer dans ce monde dominé par les hommes. Dans cette histoire, nous sommes à une époque charnière, celle où le polythéisme va petit à petit laisser la place au monothéisme, mais dans ce volume c’est le premier qui prédomine, Mahomet n’ayant la révélation que loin dans le roman. Pourtant, tout est déjà là : la pierre noire, les circonvolutions autours de la Kaaba autour desquelles se racontent de nombreuses légendes fascinantes. C’est, bien évidemment, passionnant d’un point de vue culturel, on apprend énormément de choses et Marek Halter tisse des liens entre les différents monothéismes, par le biais de l’histoire d’Abraham/Ibrahim. C’est aussi éminemment sensuel, il y a chez Marek Halter une véritable jouissance dans la description des parures servant d’écrin à la beauté flamboyante de Khadija, mais aussi des lieux. Et des scènes d’amour très troublantes.
Bref, un magnifique roman encore une fois, que je conseille sans réserve !
Les Femmes de l’Islam 1. Khadija
Marek HALTER
Robert Laffont, 2014