Les Juifs du Maroc au cours de l'histoire
A la veille de l'indépendance du Maroc en 1956, il existait plusieurs centaines de communautés juives à travers tout le pays, représentant une population totale d'environ 280000 personnes et constituant la plus importante entité juive du monde musulman.
Un grand nombre de ces communautés comptaient plusieurs siècles d'existence, et les origines de certaines remontent à l'Antiquité. La plus ancienne preuve manifeste de la présence des Juifs remontant à la période romaine.
La domination musulmane amena au Maroc de nouvelles vagues de Juifs, qui rejoignirent les communautés déjà existantes. Les premières communautés juives urbaines importantes furent créées aux IXe et Xe siècles. La dynastie berbère Almoravide fonda en 1062 Marrakech, qui devint la capitale d'un immense empire s'étendant du Maghreb à L'Espagne. Les Juifs y furent interdits de séjour, mais des Juifs D'Aghmat, ville de L'Atlas située à 75 kilomètres au sud-est, venaient à Marrakech pour y commencer.
La dynastie intolérante des Almohades, qui succéda aux Almoravides au XIIe siècle, contraignit pendant un certain temps les Juifs à se convertir a l'islam, et beaucoup se refugièrent dans les régions montagneuses du Sud, où beaucoup de communautés subsistèrent jusqu'aux années 1950. A Partir du XIIe siècle, les Juifs furent autorisés à demeurer à Marrakech, et une communauté importante se développa même après l'avènement de la dynastie des Mérinides, qui fit de Fès sa capitale.
Sous les Mérinides, un grand nombre de refugiés juifs d'Espagne s'établirent dans différentes parties du Maroc, surtout après les événements tumultueux de 1431, lorsque des émeutes antijuives se propagèrent à travers toute la péninsule Ibérique. Des vagues d'immigrants venant d'Espagne continuèrent d'affluer au Maroc au XVIe siècle, à la suite de l'expulsion de 1492, et s'établirent dans tout le pays. La population juive de Fès s'accrût fortement et le premier mellah fut crée dans cette ville en 1438.
La dynastie des Saadiens prit naissance dans la vallée du Dra au XVIe siècle. La politique des Saadiens vis-à-vis des Juifs connut une certaine constance depuis le règne du fondateur de cette dynastie : les communautés établies dans le royaume furent bien traitées et l'immigration, encouragée. Certains Juifs accédèrent même à des fonctions importantes à la cour et offrirent leur soutien pour affronter les troupes installées sur la frontière algéroise. L'autorité de la dynastie des Saadiens déclina dans la première moitié du XVIIe siècle et plusieurs centres de pouvoir émergèrent, qui se disputèrent le contrôle du Maroc.
Les Juifs marocains s'établirent aussi dans la région de l'Atlantique Nord, rejoignant les communautés sépharades de Londres et d'Amsterdam, ils y étaient appelés Berberiscos, comme les autres Juifs du Maghreb. L'influence européenne au Maroc cessa pendant les guerres napoléoniennes, alors que le pays était dirigé par Moulay Suleiman, sultan qui avait adopté la doctrine fondamentaliste wahhabite et qui considérait dangereuses des relations étroites avec l'Europe. En conséquence, Suleiman réduisit le nombre des commerçants européens au Maroc et se reposa sur une poignée de Juifs autochtones pour mener la majeure partie du négoce extérieur. Mais l'occupation de l'Algérie par les Français en 1830 marqua un tournant : le Maroc parvint à préserver son indépendance jusqu'en 1912, mais il ne fut pas à l'abri de pressions de la part des puissances européennes.
L'attaque française en 1844, le traité commercial anglo-marocain de 1856 et la guerre menée par l'Espagne en 1859- 1860 qui aboutit à l'occupation de la région de Tétouan, amoindrirent de plus en plus la souveraineté du Maroc. La protection consulaire qui permettait aux consulats et aux commerçants étrangers d'employer des autochtones marocains, et, ce faisant, leur conférait des droits extraterritoriaux, devint une des principales causes de la déstabilisation du système politique marocain.
Les Juifs marocains étaient concernés par ces mutations notamment parce que certains d'entre eux entretenaient déjà des relations étroites avec l'Europe. Considérés comme des intermédiaires essentiels pour le commerce en zone rurale, ils étaient les principaux bénéficiaires de la protection consulaire au Maroc. Cela devint une source grandissante de conflits, les juifs étaient tiraillés entre les intérêts divergents des puissances étrangères et le rôle important qu'ils continuaient de jouer au service du gouvernement marocain.
En 1912, après l'instauration du protectorat français sur la majeure partie du Maroc, et du protectorat espagnol dans le Nord, plutôt que mettre fin à la dynastie alouite, les autorités françaises préservèrent le gouvernement chrérifien comme une entité symbolique, se servant du sultan pour émettre des dahir ( décret royal ) et légitimer la domination française.
Certains Juifs marocains se réjouirent de cette mainmise coloniale, espérant que la fin du statut de dhimmi signifierait pour eux l'obtention de celui de citoyens français, comme pour les Juifs algériens en 1870. Mais ils furent déçus. Les Juifs furent décrétés sujets « indigènes » du sultan, relevant de la juridiction chérifienne, tant sous les français que sous les Espagnols.
La population marocaine juive était numériquement importante au milieu du XXe siècle. Elle ne souffrit pas de la Shoah car le Sultan Mohammed Ben Youssef, plus tard le Roi Mohammed V refusa (alors que le Maroc était sous protectorat français) que les lois antijuives du régime de Vichy soient appliquées à ses sujets juifs. Les Marocains juifs, même pendant la colonisation, furent restés des sujets de nationalité marocaine, comme les Tunisiens juifs, le décret Crémieux n'étant d'application qu'en Algérie alors française.
Entre la création de l'État d'Israël en 1948 et l'indépendance du Maroc en 1956, 90% des Marocains juifs émigrèrent. Les plus pauvres partirent en Israël, où ils constituèrent une part importante du prolétariat et de la population des "villes de développement", tandis que l'élite et la classe moyenne émigrèrent au Canada et en France.
Les Marocains juifs étaient des citoyens à part entière, électeurs et éligibles. L'État marocain leur avait établi un espace juridique conforme aux préceptes du judaïsme. Sur le plan du statut personnel, ils furent régis par la loi mosaïque, ce qui signifiait qu'ils étaient justiciables des chambres rabbiniques près des tribunaux réguliers pour tout ce qui touchait au mariage, à l'héritage et au droit des mineurs.
Si la communauté juive s'est trouvée forte de plusieurs centaines de milliers d'individus jusqu'au XXe siècle, elle s'est réduite pour ne plus compter actuellement qu'entre 3000 et 7000 membres, selon les sources. L'essentiel de cette communauté se concentre à Casablanca et à Rabat. Essaouira (Mogador), l'une des villes du Maroc dont le nombre d'habitants de confession juive dépassait les 60%, n'en compte plus que très peu et les anciennes communautés traditionnelles de Fès, Meknès ou Marrakech ont perdu leur population et leur éclat. Les différentes communautés juives d'origine marocaine comptent désormais plus d'un million de membres à travers le monde.