Le monde arabe a une aspiration profonde à la liberté
INTERVIEW - Selon Benjamin Stora, historien spécialiste du Maghreb, il y a au moins un point commun aux différents mouvements observés dans cette région du monde...
Ils n’en sont pas au même point, ils n’ont pas le même système politique, ni la même histoire, mais plusieurs pays du monde arabe sont actuellement en proie à des troubles. Après la Tunisie, l’Egypte est en pleine insurrection, les Yéménites sont dans la rue, l’Algérie connaît des grèves à répétition et une manifestation est prévue le 20 février au Maroc… Le monde arabe est-il en train de faire sa révolution? Réponse avec Benjamin Stora, professeur des universités, spécialiste du Maghreb et auteur de Bibliographie de l’Algérie indépendante 1962-2010 (Editions du CNRS 2011).
Le monde arabe compte 22 Etats très différents, qui vont de la Mauritanie à l’Oman, qu’est-ce qui les rassemble?
La langue - l’arabe - la religion musulmane, dominante dans une majorité de ces pays, et dans l’histoire récente, le nationalisme arabe issu des combats contre la colonisation (française pour l’Algérie, le Maroc et la Tunsie, anglaise pour l’Egypte, italienne pour la Libye…). Tout cela a forgé une histoire, un imaginaire, une sensibilité identiques.
A l’inverse, qu’est-ce qui les sépare?
Chacun a des traditions nationales différentes, selon qu’il se situe au Maghreb, qu’on appelle l’Occident musulman, ou au Machrek, l’Orient arabe. Il y a également des différences du point de vue de la nature des Etats, avec des monarchies (Maroc, Jordanie…) et des Républiques (Tunisie, Egypte, Algérie, Syrie, Libye…). Ce sont surtout elles qui ont dérapé ces derniers temps en devenant des républiques dynastiques, des monarchies en quelque sorte. Leur point commun: une emprise de l’armée sur le système politique. Aujourd’hui, elle se confond avec l’Etat.
Est-ce cela qui a nourri la contestation dans ces pays?
Oui. Le monde arabe a une aspiration profonde à la liberté. La population souhaite parvenir à un Etat de droit et en finir avec un régime militaire qui a confisqué l’indépendance des pays, avec le soutien de l’Occident. Plus que des questions économiques, ce qui est au centre des revendications c’est la liberté individuelle, la liberté de conscience.
Pourquoi ce désir s’exprime-t-il maintenant?
En réalité, il a commencé avec la mobilisation démocratique contre le trucage des élections en Iran en 2009. Je pense qu’on assiste là à une onde de choc différée de la chute du mur de Berlin. Elle avait atteint l’Algérie dans les années 90, cela a été un échec. Mais là, ça repart. L’Egypte est le coeur du monde arabe, ce qui s’y passe est le signe d’un mouvement très important, d’une impulsion. On est face à une individualisation de la société, plus urbaine et connectée à la mondialisation culturelle et économique.
Malgré tout, l’avenir de ce mouvement reste incertain…
Tout à fait. Les Etats ne vont pas tous s’effondrer comme ça. La question, c’est est-ce que l’Occident va soutenir ces mouvements démocratiques? La transition va être très difficile. Le seul espace de contestation pendant très longtemps a été l’islam politique, laissant très peu de place à l’émergence de pôles et d’élites intermédiaires. Mais le monde a évolué. Le modèle de référence n’est plus le modèle théocratique iranien, qui a durement réprimé le mouvement démocratique de 2009. Aujourd’hui, c’est le modèle turc qui domine, soit l’association entre une armée garante de la laïcité et des islamistes qui la respectent. Entre les deux, émergent petit à petit des acteurs intermédiaires, des journalistes, des écrivains… Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura un avant et un après les évènements enTunisie et en Egypte.
Propos recueillis par Catherine Fournier