ELIE ELALOUF, LE BOOSTEUR DE LA LISTE KAHLON, Par Jacques BENILLOUCHE
Ce pur francophone de la noblesse marocaine, puisqu’il est né à Fez, ne savait pas il y a deux mois qu’il irait «au charbon» pour faire de la politique. Il ne recherche pas les honneurs puisqu’il les a eus en étant collaborateur des plus grands hommes politiques israéliens, en particulier de Ygal Yadin, vice-premier ministre et ministre de la réhabilitation des quartiers défavorisés. Il a obtenu en 2011 le Prix Israël, le prix le plus prestigieux décerné chaque année par l’État d’Israël à des personnalités israéliennes ayant marqué l’année. La France lui a attribué la Légion d'Honneur le 29 novembre 2012.
Bon grand-père de famille
À 70 ans après une vie bien remplie, il aspirait à vivre sa retraite en bon grand-père de famille. Pourtant, il symbolise la jeunesse du cœur et des idées et il n’a pas résisté aux pressantes sollicitations de ceux qui pensaient qu’il savait parler de la pauvreté mieux que quiconque. Ce vrai homme du peuple, qui côtoie les déshérités dans sa ville de Beersheba, et non pas dans les beaux quartiers de Jérusalem, a été appelé en troisième place de la liste Kulanu par Moshé Kahlon qui avait besoin d’un bon connaisseur des classes sociales israéliennes.
Il mène une campagne de terrain au contact de ceux qui sont concernés par la politique économique. Il a réuni une bonne quarantaine de jeunes et de couples dans un appartement privé, s’excusant presque qu’il soit situé au nord de Tel-Aviv. Nous étions avec Jo Zrihen, président de la Fédération Israélienne Francophone, les deux «ancêtres» parmi une jeunesse active et dynamique, qui croit en sa nouvelle patrie et qui voulait démentir les fausses idées que les Francophones ne s’intéressaient pas à la politique israélienne. On peut dire qu’il a réussi sa soirée parce qu’il a su capter l’attention de son auditoire, lassé des propos stériles des hommes politiques.
De l’émotion transpirait dans ses paroles au point de condamner l’assistance à un silence de plomb. Il parlait dans un langage simple, certains diront celui de la rue, parce qu’il ne cherchait pas les effets de manche. Sans démagogie, il ne courrait pas après les voix de son auditoire, laissant libre cours à la décision de chacun, mais il voulait seulement qu’on comprenne ses préoccupations et les problèmes qui gangrènent le pays. Il est vrai que le sujet abordé était grave, lui qui a passé sa vie, sinon à combattre la pauvreté, au moins à rappeler aux dirigeants qu’elle n’était pas un mythe en Israël mais une réalité. Il évite les grandes théories politiques et il refuse les positions messianiques de ceux qui pensent que les implantations sont l’avenir du peuple juif.
Ni droite, ni gauche
Il insistait à dire que la pauvreté n’est ni de gauche et ni de droite, par ailleurs des concepts très français inadaptés en Israël. Il en parle avec conviction et une pointe de regret car malgré une vie consacrée à l’éliminer, il se sent impuissant face à des dirigeants politiques presque inconscients : «La pauvreté en Israël n'a cessé d'augmenter, plaçant Israël parmi les derniers en termes de pauvreté parmi les pays développés. Je ne doute pas qu’un leadership adapté, guidé par une sensibilité minimale face aux catégories faibles et aux besoins de la classe moyenne, nous amènera à une position beaucoup plus respectable».
Né pauvre dans une famille nombreuse de dix enfants, orphelin de père à quatre ans, il a vécu la misère tout au long d’une vie pourtant heureuse malgré les privations. C’est ce qui l’a conduit au poste de directeur général du fonds Rachi, pour atténuer le sort des populations défavorisées. Il n’a que des paroles d’amour vis-à-vis de ces populations car sa naïveté première lui faisait croire que : «la société était fondée sur l'idée que tous les citoyens sont égaux. Il est de notre responsabilité de rendre la justice. Le coût élevé du logement, que ce soit pour acheter un appartement ou payer un loyer relève du défi. Le comité Alalouf recommande de dépenser jusqu'à 6,3 milliards de shekels pour réduire la pauvreté de moitié».
Il parle de ses adversaires sans haine et sans agressivité mais avec réalisme. Il les connait pour les avoir fréquentés pendant longtemps. Mais il fustige ceux qui, comme Yaïr Lapid, étaient au pouvoir mais n’ont pas mis les moyens de l’État au service des pauvres. Il veut que l’on encourage le travail tout en augmentant les allocations pour les dépenses des personnes âgées et logements publics. Il insiste pour dire que l’argent existe mais qu’il est mal exploité ou mal dirigé. Certains budgets d’État non utilisés sont reversés au Trésor tous les ans.
Bien sûr il n’accepte pas que des sommes énormes soient mises au service des implantations alors que le centre du pays manque de logements sociaux. Naftali Bennett a, selon lui, dilapidé des budgets énormes qui auraient pu, au moins en partie, être investis en Israël, pour les nouveaux immigrants en particulier.
Programme simple et sérieux
Sur le plan sécuritaire et politique ses positions ne sont pas originales mais fermes. Il refuse la division de Jérusalem ; il veut garder les grandes implantations de Cisjordanie ; il est pour le principe de «deux États pour deux peuples» et il estime nécessaire de relancer les négociations avec les Palestiniens pour un plan de paix réaliste dans le respect de chacune des parties. Il considère que la population arabe israélienne doit profiter des aides gouvernementales pour éviter de la plonger dans les bras des extrémistes. L’aide aux pauvres ne doit avoir ni de religion et ni de couleur.
Sur le plan international, il insiste pour renouer et maintenir des relations apaisées avec les États-Unis,«notre seul véritable allié» et il compte sur l’ancien ambassadeur Oren pour s’atteler à cette tâche. Il faut par ailleurs que les relations avec la France reviennent au beau fixe car c’est un «pays leader en Europe».
Il ne fera aucune concession sur les intérêts sécuritaires du pays et sur le maintien de la dissuasion de Tsahal. Il compte sur le général Yoav Galant pour s'atteler à cette tâche. Au contraire, il veut intégrer de nombreux jeunes «pauvres» au sein des unités d’élite de l’armée pour qu’ils acquièrent une expérience technologique qui leur ouvrira les portes des industries israéliennes au sortir de leur service. Pour lui l’éducation, fer de lance d’une politique sociale, est indispensable à la réduction de la pauvreté. Il se plaint que de nombreux jeunes ne parviennent pas à finir leurs études secondaires en raison de leurs difficultés financières et de leur environnement social.
Son programme le rapproche certainement du «camp sioniste» et moins du Likoud dont il qualifie la politique d’ultra-libérale. Mais il veut se distinguer des travaillistes parce qu’ils sont trop idéologues alors que lui est pragmatique, loin de la théorie et plus proche du terrien que ne le sont les professionnels de la politique. Il n’a pas osé dire, mais on l’a senti en filigrane dans ses propos, que le parti travailliste n’est pas le parti des séfarades comme l’est assurément le parti Kulanu. Mais il n’a pas d’exclusive puisqu’il veut gouverner avec ceux qui offriront à son parti le ministère des finances et la gestion des terres domaniales. C’est le levier indispensable, selon lui, pour changer la politique sociale du pays.
Une place de leader francophone
La communauté francophone se plaint de ne pas avoir de leader charismatique qui puisse peser sur les décisions gouvernementales en matière d’immigration des Juifs de France. Elle a cherché en vain à adouber des candidats qui n’avaient ni la trempe, ni la compétence, ni l’expérience pour lui permettre d’exister au sein des instances politiques. D'ailleurs ils ont échoué à figurer sur une liste en position éligible.
Elie Elalouf parle le français qui est sa langue natale et d’éducation ; il est installé en Israël depuis 1967 ce qui lui confère un droit d’aînesse et qui lui permet de dominer la langue hébraïque pour s’exprimer à la Knesset. Il a occupé des postes de prestige qui le crédibilisent et qui plus est, argument fallacieux pour certains, c’est un séfarade qui ne renie pas ses origines marocaines.
Pour une fois qu’on comprend ce que dit un homme politique qui n’a pas la grosse tête car sa carrière est derrière lui, pour une fois qu’on découvre tardivement un homme désintéressé sur le plan personnel, pour une fois qu’on peut avoir une politique «takhless» comme on dit ici, pour une fois qu’on n’a pas besoin de dictionnaire pour comprendre un programme politique simple pour ne pas dire simpliste, alors au moins pour une fois, une fois seulement, il faut prendre la balle au bond pour aider un volontaire de l’éradication de la pauvreté en Israël.
Par Jacques BENILLOUCHE
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