Obama se soumet. L’accord avec l’Iran a du plomb dans l’aile(info # 011504/15)[Analyse]
Par Stéphane Juffa © MetulaNewsAgency
Lors de sa réunion d’hier (mardi) après-midi, le Comité des Relations Etrangères du Sénat a adopté à l’unanimité la proposition de loi sur l’accord avec l’Iran présentée par son président, le sénateur Républicain Bob Corker.
Auparavant, ce dernier avait négocié quelques amendements à son texte avec le sénateur Démocrate Ben Cardin. Ils ont convenu de deux modifications superficielles du libellé original portant sur la réduction de 60 à 30 jours de la période d’examenpar le Congrès d’un éventuel projet de traité avec Téhéran, ainsi que sur l’allègement des clauses portant sur l’abandon par la "République" Islamique de son soutien au terrorisme.
Suite à ces compromis, le Comité, qui siégeait en séance publique, a endossé le bill par 19 voix contre 0, soit les suffrages de dix sénateurs Républicains et neuf Démocrates. La proposition va prochainement être soumise au vote du Sénat, où l’on prévoit qu’elle sera acceptée à une écrasante majorité.
La nouvelle loi établit que l’administration Obama devra soumettre au Congrès le texte d’un éventuel accord définitif aussitôt qu’il aura été rédigé. Le gouvernement devra s’abstenir de supprimer la moindre sanction durant une période d’examen de 30 jours par les deux chambres, leur donnant la possibilité d’entériner ou d’interdire la levée des sanctions frappant actuellement le régime théocratique iranien.
Le président Obama a réagi par l’intermédiaire du porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest. Ce dernier a annoncé que le compromis résolvait certaines des objections soulevées par le président au sujet de sa mouture initiale, en réduisant la période d’examen et en adoucissant la clause sur le terrorisme.
Mais la nouvelle la plus importante rendue publique par Earnest concerne la décision du pensionnaire de la White House de signer la loi, alors qu’il avait déclaré jusqu’à présent qu’il lui opposerait son veto.
Le porte-parole a mentionné que "Nous sommes passés d’une proposition de législation que le président aurait rejetée, et qui a subi des modifications substantielles, jusqu’à revêtir la forme d’un compromis que le président est d’accord de signer".
L’instigateur de la loi, M. Corker, a vigoureusement repoussé cette interprétation qu’il a appelée "a spin", à savoir une grossière distorsion de la réalité, expliquant que le président avait, en vérité, "changé d’avis après s’être trouvé confronté à un rouleau compresseur".
Il est vrai que l’explication fournie par la Maison Blanche est peu crédible, particulièrement après avoir observé les efforts hors du commun déployés par l’administration pour faire pression sur les parlementaires Démocrates. Ce, afin qu’ils votent massivement contre le projet de loi, pour qu’il ne bénéficie pas de la majorité des deux tiers qui neutralise le droit de veto présidentiel.
On comprendra mieux la frustration de M. Obama en résumant les effets immédiats de la décision du Comité des Relations Etrangères du Sénat : le gouvernement U.S vient d’être privé par le Congrès de l’autorité de décider de la signature ou non du traité qu’il négocie avec Téhéran ; la décision ultime revenant aux législateurs.
Josh Earnest travestit la vérité lorsqu’il déclare : "De plus, plutôt que de réclamer le droit de décider sur la totalité de l’accord, le bill modifié prescrit un vote futur sur la levée des sanctions qui ont été imposées par le Congrès, ce que la Maison Blanche a toujours considéré comme nécessaire. Le compromis établit un vote qui se limitera à ces sanctions imposées par le Congrès, ce vote ne serait pas un oui ou un non relatif à l’accord".
Au niveau purement sémantique, le porte-parole a sans doute raison, mais dans les faits, si le Congrès décidait le maintien des sanctions à une majorité des deux tiers, il n’y aurait pas d’accord. Car Rohani a averti jeudi dernier que les Iraniens ne signeront aucun traité qui ne prévoirait pas la suppression de toutes les sanctions dès le lendemain de son entrée en vigueur.
Quant à la majorité des deux tiers, à en croire un Démocrate important au Congrès, "la loi aurait recueilli une adhésion écrasante, à l’épreuve du veto, en plénière du Sénat". Et le Sénateur Ben Cardin, l’autre Démocrate qui a rédigé le compromis avec Corker, de renchérir : "Nous sommes impliqués. Nous sommes impliqués ici, il n’y a plus que le Congrès qui puisse changer ou modifier de manière permanente le régime des sanctions".
En réalité, Barack Obama, qui affirmait, voilà une semaine encore, que les exigences du Congrès empiétaient sur son autorité, a été amené à céder la main en constatant que son veto allait être balayé par une majorité des deux tiers. Non seulement il ne pourrait parapher le contrat que son administration négocie avec les ayatollahs, mais, de plus, il aurait hypothéqué sa possibilité de gérer les affaires de l’Etat face à un parlement unanimement hostile durant la fin de son mandat.
Obama tient certes à son traité avec la "République" Islamique, mais pas au point d’entrer dans l’histoire comme un président qui s’est mis à dos non seulement les parlementaires Républicains mais également ceux de son propre parti.
Il s’agit pour lui d’une âpre défaite, mais agissant en pragmatique dès que sa personne est concernée, il aura préféré circonscrire ce revers en changeant de camp, que risquer un Pearl Harbor politique.
Reste que les dégâts pour sa présidence sont déjà considérables ; à commencer par mentionner qu’Obama aura à faire face à un Congrès revivifié et uni, qui se montrera intraitable sur les sujets-clés d’un éventuel accord avec l’Iran. Cela implique le droit pour les inspecteurs de l’AIEA de poser des caméras de surveillance et de contrôler le site de leur choix quand ils le désirent, au besoin en effectuant des visites surprises ; la modification du réacteur d’Arak, de sorte qu’il ne puisse plus produire d’eau lourde en quantités suffisantes pour confectionner une bombe ; la fermeture de l’installation souterraine de Fodow ; la fin de l’enrichissement de minerai au-dessus de 3.5 pour cent et la neutralisation vérifiable des stocks existants ; la limitation draconienne des activités de recherche, de manière à ce que le breakout time ne soit pas réduit au terme du traité, et, bien entendu, la levée graduelle des sanctions, au fur et à mesure des progrès réalisés par les Perses, et uniquement après vérification par les commissaires de l’agence viennoise.
Autant dire que John Kerry a du pain sur la planche et qu’il va devoir revoir ses positions de négociation à la hausse…
Non. Soyons plus précis encore : les chances pour que Khamenei accepte les termes d’un traité qui ait une chance de passer la rampe au Congrès sont pratiquement inexistantes ; la décision d’hier sonne ainsi vraisemblablement le glas de la négociation avec la "République" islamique. C’est la portée réelle du vote du Comité du Sénat.
Et ce n’est là qu’une partie de ses conséquences. Lorsque les négociateurs se retrouveront le 21 de ce mois, les Iraniens auront compris que ce qui se discute avec leurs homologues des 5+1 n’aura pas d’effet définitif, puisque ce qui sera décidé devra encore recevoir l’aval du Congrès U.S. Cela change pas mal de choses, à commencer par la quasi-certitude que Zarif exigera la réciprocité, à savoir la nécessité de l’homologation de tout compromis par le Majiles. A Lausanne, on négociait un accord, désormais, on négociera une "proposition d’accord". A partir de ce matin, ce n’est plus Obama qui décide.
Que cela semble loin tout à coup. D’autant plus que Kerry devra proposer à ses parlementaires un texte sans floutages, décrivant très précisément les clauses du contrat et les moyens crédibles de les vérifier. Nous nous trouvons dans un remake de Mission impossible.
Autre conséquence de la décision d’hier, l’Administration va désormais devoir très sérieusement préparer des alternatives à l’échec probable des pourparlers. Il s’agit d’un durcissement des sanctions et de l’éventualité d’une action militaire, précisément ce que le président désirait éviter à n’importe quel prix. Mais il ne pourra pas revenir devant son opinion après avoir signé le bill Corker, et transférer la faute de l’échec des discussions en direction du Capitole. Il ne pourra pas non plus dire : "Les négociations n’ont pas abouti, laissons alors les ayatollahs fabriquer leur bombe".
Sommes-nous en train d’assister à une victoire de la ligne Netanyahu ? En partie à tout le moins, même si les parlementaires américains agissent pour ce qu’ils considèrent être, en premier lieu, l’intérêt de leur nation et non celui d’Israël. Reste que Netanyahu leur a bien expliqué les enjeux de l’affaire et les a convaincus de s’impliquer pour que leur président ne signe pas n’importe quoi.
C’est aussi la victoire du parlementarisme tel qu’il est pratiqué en Amérique, et aussi au Royaume-Uni et en Allemagne, sur ce qui se fait à la Knesset et à l’Assemblée Nationale française. Les sénateurs Démocrates et Républicains ont démontré hier, une nouvelle fois, qu’ils placent l’intérêt de leur pays au sommet de leurs préoccupations, et qu’ils sont capables de travailler ensemble à la poursuite de cet objectif.
Les Khavrei Knesset et les députés du palais Bourbon, pour ne parler que d’eux, œuvrent encore dans le seul intérêt de leur parti, n’ayant pas encore complètement délaissé, qui les tranchées dessinées par Jaurès ou par de Gaulle, qui celles creusées par Ben Gourion et Jabotinsky.
Il faut choisir si le parlement national n’est qu’un champ de bataille où s’affrontent des idéologies surannées ou un terrain de rencontre. La réponse donnée hier à cette interrogation par les sénateurs U.S participe en tout cas d’une belle démonstration de leur manière de concevoir la démocratie.