EXTRAIT DU LIVRE « LA CHASSE À L’ARC EN CIEL »
PAR
THÉRÈSE ZRIHEN-DVIR
C'était une belle matinée de dimanche, jour férié au Maroc des années 1950, alors que le protectorat français tirait à sa fin. Les rayons de soleil étaient déjà très chauds en ces premières heures d’un jour de printemps précoce. Une brise soufflant du Sahara accumulait sans cesse des dunes de sable fin et doré autour de l’espace aride qui servait de terrain de sport aux gamins.
Contrairement à la population indigène musulmane, et à de rares exceptions près, la majorité de ces jeunes garnements juifs était vêtue à l'européenne. Le teint de leur peau généralement clair, leurs cheveux blonds ou auburn les distinguaient de la population arabe au teint nettement plus foncé.
Ceinturé par d'épais remparts, le Mellah, qu’on appelait aussi le quartier juif, avec ses labyrinthes de ruelles étroites et sombres, n'offrait que très peu d'espaces permettant les jeux de ballon. Les adolescents, en quête d’une aubaine leur permettant de donner libre cours à leur énergie réprimée, quittaient l'abri sécurisé du Mellah pour s'aventurer à l’extérieur avec ses dangers.
Assis à même le sol, tout le long de l'extrémité sud du terrain, adjacente à l'artère asphaltée, un groupe de spectateurs, enfants et adultes, Juifs ou autochtones, suivaient attentivement le match qui venait à peine de commencer. Un assistant indifférent et à moitié assoupi n'était autre que le petit Alain, âgé d'à peine trois ans, laissé à la garde de son frère René. Ce dernier lui jetait à la dérobée que de rares coups d'œil de temps à autre, trop occupé à se démener comme un beau diable sur le terrain. Absorbés par le grand événement sportif, presque en état de transe, les joueurs perdaient tout contact avec ce qui se tramait autour d’eux. Plusieurs minutes s'écoulèrent avant que René ne réalisât la disparition soudaine de son jeune frère Alain. Il parcourut la foule d’un regard circulaire et, ne le repérant pas, il quitta le match en trombe pour inspecter les lieux, hurlant de désespoir :
« Alain, Alain, où es-tu ? »
Malgré sa panique, René scrutait du regard l'espace environnant, ses issues surtout. Il remarqua subitement la silhouette longiligne d'un indigène, engoncé dans sa longue djellaba foncée avec une large besace sur le dos. Il s'éloignait furtivement vers l'arcade séparant le cimetière juif de l'avenue menant au palais de la Bahia. À l'angle duquel commençaient les redoutables ruelles du quartier musulman.
‘Cet individu a sans aucun doute enlevé mon frère. Il faut agir sans tarder’, se dit le jeune garçon en s’élançant derrière lui comme un possédé.
René fonça vers l'Arabe en fuite et dès qu'il l’eut rattrapé, il lui sauta au cou, harponnant entre ses mâchoires le lobe de son oreille gauche qu’il arracha de ses dents. Pris par surprise, le fuyard se mit à hurler de douleur, lâchant brusquement le sac qui se défit alors sur le sol, libérant le petit Alain en larmes. Le bambin hurlait, tétanisé, tremblant comme une feuille morte. La présence d’une forme vivante se débattant dans la poche de lin avait déclenché l’attaque foudroyante de René. Réaction instinctive, aussi rapide et fulgurante que celle d'un crotale.
Ignorant délibérément la blessure de l'Arabe, qui pressait son oreille amputée de ses deux mains, René souleva en coup de vent son frère du sol et disparut comme un éclair. L’Arabe, grand de taille, complètement stupéfait par l’assaut soudain et violent, luttait pour contenir l’hémorragie qui ne cessait de gicler de son oreille mutilée.
Cherchant à éviter un esclandre, le ravisseur préféra ne pas s'aventurer dans son état dans le quartier juif et opta pour la fuite, détalant à grandes enjambées vers les ruelles sombres du quartier musulman.
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"La chasse à l'arc en ciel" est désormais disponible chez l’auteur (Toute personne intéressée est priée de contacter :